Chapitre 7 - Notre Terre qui êtes aux Cieux

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Je sortis de l’autre côté du portail et faillit tomber dans un vide laiteux : sous mes yeux ébahis, au bord d’une falaise, se trouvait une mer de nuages. Je reprenais mon équilibre à grand peine mais mon sauveur m’attrapa par le col pour me tirer en arrière.

— Doucement, me dit-il et je tournais la tête vers lui.

Il avait retiré son masque et je sus pourquoi sa voix m’était familière…

— M. Von Heimmer !

Le visage de l’homme noir aux larges épaules et au crâne chauve fit la moue.

— Laisse-moi m’occuper de ton père, après nous parlerons.

Ma stupéfaction était telle que je ne fis que hocher de la tête. Tandis que je regardais autour de moi, le vent soufflant dans mes cheveux : actuellement, nous nous trouvions sur une petite formation rocheuse flottant au-dessus des nuages, défiant toutes les lois de la physique. Quelques herbes sec et un arbre sinueux aux feuilles rouges poussaient sur le sol. Au loin et malgré le soleil de plomb, je distinguais les contours d’autres petites îles flottantes.

— Où sommes-nous ?! m’exclamai-je.

Bien que j’étais sur le point d’exploser de panique, mon professeur m’ignora pour se concentrer sur le vortex brillant : il fit un geste compliqué de la main et ce dernier se referma. Cela fait, il continua de me mettre un vent pour se tourner vers mon père, allongé là – je me sentis honteux de l’avoir oublié un instant – et s’agenouilla à son côté en murmurant dans cette même langue étrange. Je constatais avec une fascination surprise que les hématomes et petites coupures sur sa peau se refermaient.

— Comment vous avez fait ça ? murmurai-je, les yeux ronds.

— Le Tehm, Joan.

— Ogum en avait parlé, et Agiss…

Von Heimmer tâta le pouls de mon père et opina, l’air satisfait avant de répondre :

— Mis à part le Tehm, rien de ce qu’ils t’ont dit est vrai.

— Je m’en doutais un peu, le raillai-je malgré moi. Agiss a tabassé mon père sous mes yeux !

— Et tu lui as bien rendu, sourit faiblement mon sauveur. Tu te souviens de ce que tu as ressenti, lorsque tu as invoqué cette tempête ?

— Je… (mes sourcils se froncèrent) J’avais l’impression d’être au summum de ma forme et en même temps, j’avais mal.

— C’était le Tehm, un pouvoir qui coule dans tous les êtres vivants depuis le ciel.

Mon professeur s’approcha pour me prendre doucement la main, si bien que je ne résistai pas ; il me la révéla et je constatai qu’un tourbillon de brûlures s’était formé sur celle-ci. Il la caressa et je sifflai de douleur : ça lançait.

— Pardon, Joan… Mais tu dois comprendre que, n’ayant jamais utilisé le Tehm, il s’est accumulé jusqu’à ce maximum.

— Comme une surcharge ?

— Pas vraiment… (soudain, il tourna sa tête vers le ciel et sourit) Mais tu apprendras tout ça de sitôt.

Je fis de même et ne vit rien de prime abord… jusqu’à ce que j’entende un son cristallin mélodieux. Von Heimmer me montra l’horizon du doigt et je suivis du regard cette direction et distinguai des silhouettes sinueuses qui s’approchaient. Mes yeux se plissèrent pour filtrer la lumière brûlante de ce soleil et je redemandais :

— Où sommes-nous, monsieur Von Heimmer ?

— Appelle-moi Erik. Et nous sommes à Ulm, ta maison.

Ma bouche s’ouvrit pour nier cette affirmation quand une ombre jaillit des nuages en dessous de nous, passant à un cheveu de la petite île, et plongea vers le ciel. Je sursautai et fut stupéfait devant une sorte d’anguille ailée, verte et emplumée qui faisait des cabrioles aériennes, jusqu’à atterrir doucement en cercle autour de nous. La poussière soulevée me força à me protéger les yeux, bien que je devinai une silhouette humaine juchée sur le « cou » de la créature.

— Quentin, entendis-je dire M. Erik. Je suis content de te voir.

La poussière retomba et je vis Quentin pour la première fois : il avait des traits anguleux et séduisants, un regard ocre tantôt embrasé, tantôt perçant et une bouche effilée comme le fil d’une épée. Une unique cicatrice barrait sa joue gauche, son nez fin huma l’air avec circonspection. Ses splendides cheveux corbin noués en catogan à l’aide d’un ruban rouge. Puis je descendais mon regard et le rouge me monta aux oreilles : un justaucorps en cuir fin épousait son corps musclé et bruni par le soleil, bien que le vêtement ne cachait pas ses biceps et ses avants-bras musclés, eux aussi couverts de cicatrices. Sa main burinée se posait sur le pommeau d’une longue épée.

Lorsqu’il descendit en glissant de sa monture et la flatta, je le trouvai gracieux, distingué et très poli alors qu’il n’avait même pas parlé. Mes suppositions se confirmèrent quand il s’adressa à M. Erik :

Sentiments partagés, maître.

J’ignorais en quelle langue il parlait ; lorsqu’il se tourna vers moi, je fus pétrifié par son regard : inquisiteur et méfiant.

Qui est cette personne, maître ?

— Il s’agit d’un Oublié. Le fils Cardinali. C’est un Terrien.

Je perçus une crispation infime dans le visage du nouveau venu, alors je décidai de prendre les devants :

— Sa…salut, balbutia-je en tendant la main.

Il la regarda avec circonspection puis me demanda :

— C’est une coutume terrienne ? lâcha-t-il dans un français cassant.

— Euh… ouais ? (je lâchai un rire nerveux) Faut juste que tu me prennes la main et que tu la secoues gentiment.

Je rougis quant à ma phrase dont les mots tendancieux étaient mal choisis. Le garçon, lui, resta interdit un instant de plus avant d’opiner. Je souris et nous nous fîmes une solide poignée de main.

— Joan Cardinali, me présentai-je.

— Quentin E’noch, répondit-il avant de se tourner vers M. Erik : J’attends vos ordres, maître.

— Tu es devenu trop jeune pour que je puisse encore t’en donner… Mais soit : nous allons ramener les Cardinali.

Quentin opina et me fit un signe de tête pour que je monte avec lui sur sa créature. Je me tournai vers mon père qui, malgré son absence de blessures, semblait mal en point ; M. Erik m’offrit un air signifiant qu’il allait prendre soin de lui et je finis par suivre le « angui-lier » sur sa monture. Ma main se posa sur les plumes frémissantes et j’en perçus les vibrations, la chaleur de cet animal fabuleux. J’étais intimidé, à tel point que Quentin me tira de ma stupeur en disant :

— Elle s’appelle Naävis. Ne t’inquiète pas, elle ne va pas te manger !

Pour la première fois, je vis le garçon sourire : des dents droites, blanches et alignées qui finirent de lacérer ce qu’il me restait comme défense et mon visage vint faire honneur au soleil frappant. Quentin parut inquiet :

— Tout va bien ?

— Rien, rien… Le soleil, c’est tout.

— D’accord. Viens, je vais t’aider à te hisser.

Il me fit la courte-échelle et je m’appuyais sur son épaule – j’avais l’impression de toucher un bloc de pierre – et avec son aide, me voilà juché sur la partie arrière de la selle. Soudain, Naävis se mit à onduler et je m’écriais en tentant de garder mon équilibre :

— Qu’est-ce qui se passe ?!

Quentin éclata de rire. Bien que je m’attendais à un son cristallin et mélodieux, je fus accueilli par un caquetant cacophonique. Il s’aggripa à la nacelle et sauta sur la selle avec une agilité hors norme. Dès lors, il se mit à caresser le dos de sa monture en lui murmurant des choses dans la langue inconnue, qui n’était ni du wyvernien ni sa pendante cliquetante. Curieux, je lui demandais :

— Tu parles en quoi ?

— En… Ulm ? hésita Quentin. Ma langue natale.

— Naävis comprend ce que tu dis ? m’étonnai-je.

— Plus ou moins… c’est la langue avec laquelle on lui parle depuis sa naissance, alors elle finit par associer des mots à des intentions. Les… « Aéroptères » comme elle sont intelligents.

— En tout cas, elle est magnifique, commentai-je en toute sincérité.

C’était vraiment le cas : on aurait dit un amphiptère plumé à tête de poisson, mais son ramage aux teintes vertes qui devenaient bleues sous certaines ondulations me fascinaient. Quentin, lui, se mit à sourire et murmura quelque chose en « ulmien » et Naävis se mit à onduler frénétiquement en lâchant des cris qui ressemblaient à ceux des ânes. Je m’accrochais tant bien que mal alors que le cavalier riait :

— Elle aime beaucoup ton compliment, tu lui plais !

Il m’accrocha à un harnais sanglé à la selle et le serra si fort que j’en sentis mes veines blanchir, puis fit de même avec lui. Après ça, il se pencha le long du cou du serpentaire et glissa ses doigts entre ses plumes pour attraper des rênes attachées à je-ne-sais quelle mors, avant de se redresser en s’écriant :

Allez, Naävis, envole-toi !

Je lâchais un long cri alors que le puissant animal se laissait glisser dans le vide. Le vent siffla à mes oreilles, s’engouffra dans ma bouche et mes vêtements et j’eus juste le réflexe de mettre mes bras autour du torse de Quentin. Soudain, Naävis déploya ses ailes qui claquèrent en voile de frégate et je fus brutalement secoué par le changement soudain de vitesse. J’en avais les larmes aux yeux, peinai à respirer… et pourtant, quelle beauté ! Devant mes yeux ébahis s’étendait à perte de vue une mer de coton sous un ciel d’éternel azur ; nous avions pris de l’altitude et je pus enfin voir les nombreuses îles flottantes au-dessus de l’océan de nuages, avec parfois quelques cascades qui se jetaient dans les abysses laiteuses. Nous volions si haut ! Si vite ! À nos côtés fusaient les autres pilotes d’aéroptères et je finis par voir l’un d’entre eux transporter M. Erik et mon père. Le premier me fit un signe de la main en souriant, mais j’avais trop peur de tomber si je lâchai mon conducteur. Aussi je détournai le regard et vit avec délice des oiseaux faire des cabrioles autour de nous, lâchant des petits piaillements énergiques. Dans la vitesse, je les distinguai mal bien que je parvenais à deviner leur plumage ocre.

Quand je me tournais vers Quentin, je vis un homme concentré sur sa tâche, complètement absorbé par le vol : à l’aide de légères tensions sur les rênes, il dirigeait Naävis au gré des trous d’air et des secousses aériennes, sans l’aide de radars ou de détecteurs atmosphériques. J’étais bluffé de voir à quel point son instinct était fin, témoigné par son visage fermé et son regard toujours en mouvement. De mon point de vue, je regardais quelque chose de profond et de véritable, une connexion entre deux êtres qui s’appropriaient l’air autour d’eux avec un naturel époustouflant. De nouveau, je rougis et mon excuse vint du soleil.

* * *

Le voyage se déroula sans encombres car il n’y avait pas beaucoup de vent, de pluie ou de tempêtes. En fait, je commençai à me sentir à me sentir nauséeux non pas à cause du vol mais surtout parce que le soleil me frappait sans discontinuer. Je regrettai alors les journées grisâtres de ma région, que je n’affectionnai pourtant pas particulièrement… Quentin dut remarquer mon état car il tourna légèrement la tête et cria :

— Tout va bien ?

— Oui, croassai-je en guise de réponse.

—…regarde dans mon sac, tu pourras y trouver de l’eau.

Je regardai autour de moi et remarquai une besace attachée à la selle. La corde qui la retenait permettant de la prendre sur ses genoux, je fouillai à l’intérieur pour y déceler une longue flasque ; je sentis le liquide pour m’assurer qu’il s’agissait d’une eau que je pouvais boire, avant d’avaler cinq gorgées. J’en proposai à mon conducteur qui refusa poliment et je rangeai le sac là où je l’avais trouvé, quand j’entendis le garçon corbin dire :

— Nous sommes arrivés !

Pendant un instant, je crus que la mer de nuages s’arrêtait là, tout simplement parce que l’île flottante était si vaste que je n’en voyais pas le bout – ce qui me confirma derechef que Ulm était sphérique, car j’avais déjà compris que j’étais dans un autre monde – mais aussi parce que cette île-ci n’avait rien à voir avec les précédentes : il y avait des montagnes, des forêts, des lacs et des rivières, ce qui m’étonnait car je ne distinguais aucun nuage.

Mais ça n’était pas tout : ça et là, je pouvais apercevoir d’en-haut les maisons minuscules regroupées en village, crachant de la fumée blanche légère. Entre elles, de petites silhouettes de taille et forme humaines qui se déplaçaient. L’avantage, c’était qu’en l’absence de nuage, je pouvais distinguer pas mal d’éléments, sauf que les mirages de chaleur m’empêchaient le plus souvent d’en capter les détails. Cependant la beauté singulière du lieu me faisait oublier les récents événements : je ne doutais plus de moi, il s’agissait bien d’un autre monde.

— C’est si beau…, soufflai-je.

— Nous sommes à Ashvra, s’écria Quentin dans le vent. La plus grande île d’Ulm et la plus peuplée. Tu vois, là ? (il montra vaguement un petit village avachi sur le flanc d’une montagne) C’est l’endroit où je vis.

Je hochai la tête avant de reporter mon attention, l’air inquiet, sur l’aéroptère qui transportait mon père ; Quentin dut capter mon regard car il me fit part que notre destination finale n’était plus si loin. En effet, après une minute et demi, je vis la magnifique Ashvra, homonyme de l’île.

Il s’agissait d’une cité immense, majestueuse qui absorbait la tête d’une colline dolente ; s’étendant au-delà du regard, je ne parvenais cependant pas à décrocher le mien du château resplendissant, un cristal jaillissant du creux d’un rocher : les trous fusaient haut pour pointiller le ciel, les remparts s’imposaient face au vent et au soleil et la bâtisse principale, un titan de pierre blanche qui m’éblouissait.

Nous nous posâmes dans la ville qui entourait le château, sur une plateforme d’atterrissage prévue à cet effet ; je l’avais deviné grâce à sa forme particulière et ses couleurs criardes. Dès que ce fut fait, de nombreux jeunes de mon âge débarquèrent pour s’occuper d’aider à descendre cavaliers et à amener aéroptères vers leurs écuries ; ils montaient à l’échelle de la plateforme jusqu’à notre niveau et guidaient les créatures à l’aide de bâtons bleus. Quentin, lui, se laissa glisser de Naävis ; je bredouillais des remerciements quand il me tendit la main pour m’aider à faire de même.

— Où allons-nous, maintenant ? m’enquis-je en descendant, alors que je regardais Naävis partir en sinuant autour du pilier central de la plateforme pour rejoindre le sol, les ailes repliées sur son dos.

— Notre destination se trouve près du Palais d’Argent : il s’agit de l’Ecole Sainte des Arts Tehmiques, ou l’ESAT si tu préfères, expliqua Quentin en montrant une direction.

Comme nous étions surélevés par rapport aux toits des maisons, je pouvais voir que la ville était très étrange : des bâtiments anciens – leurs briques délavées les trahissant – se mêlaient aux nouveaux dans un rocambolesque manège architectural. Au loin, près du Palais d’Argent se dressait une tour immense, aussi blanche que le palais, que je fus surpris de voir maintenant alors que je ne l’avais pas remarqué depuis le ciel. Au vu de ma réaction, Quentin ajouta :

— La Tour d’Ivoire. C’est le bâtiment qui regroupe l’ESAT, l’Institut de Recherche Thaumaturgique et les Milles Grimoires.

— Qui sont… ?

— Descendons, je t’explique après.

J’obéis et le suivis sans attendre. Une fois en bas de l’échelle, la rue nous accueillit dans un entremêlement de bruyantes allées et venues des citadins noirs. Leurs vêtements ressemblaient un peu à ceux de mes semblables terriens, sauf que le blanc et les couleurs très pâles semblaient refléter la mode des sombres par chez moi. Je vis une femme sur un véloU+0020avec des poules dans le panier, sans que ça ne surprenne personne ; je remarquai une voiture passer et les gens s’écarter, sans l’odeur caractéristique des polluants automobiles ; j’admirais les chaussures brillantes qui permettaient de glisser au dessus du sol.

Quentin sortit de sa poche un petit dodécaèdre de sa poche et appuya sur l’une des faces colorées, qui s’illumina. Une des voitures s’arrêta et baissa sa fenêtre conducteur, révélant un gamin : la peau mate, des cheveux verts, courts et frisés, un volant dans les mains et un regard fureteur. Il parla dans la langue des ulmites et son sourire enjôleur, ainsi que son accent pétard, me fit rire, parce que je n’entendais que des claquements de langue et de lèvres accompagnés de brefs éclats de voix. Le gamin haussa un sourcil et j’arrêtai de rire pour lâcher quelques excuses. Quentin se plaça devant moi près de la fenêtre, se mit à parler rapidement dans la langue étrange et j’entendis des bruits cliquetants de monnaie. Après ça, le garçon nous laissa entrer dans la voiture.

— C’est bizarre, dis-je en m’installant. Je pensais que…

— Que quoi ? s’enquit Quentin en mettant sa ceinture.

— Que ce monde serait une sorte de parodie médiévale avec de la magie.

— Tu as de la chance, je connais assez bien ton monde pour savoir ce que les artistes ont pu créer sur les mondes imaginaires.

Je vis son visage se fermer brièvement et voulut m’excuser, en me rappelant les mots de mon père : « les gens qui s’excusent souvent sont souvent les moins excusables ». Alors je me tus et regardai défiler les silhouettes par la fenêtre. Après un court instant de silence, le gamin au volant jacassa quelques mots à Quentin lequel répondit sur un ton froid. Quand il vit que j’observai la conversation, il reprit son sourire poli.

— J’oubliai, tu ne parles pas ulmique… Bon, ne bouge pas, d’accord ?

Je hochai la tête quand Quentin me la prit entre ses mains. Il posa son front sur le mien et je sentis la chaleur monter si vite que j’en eus le souffle coupé. Après cela, il parla dans la langue magique :

Partage nos deux parlers, connaissances égalées.

Tout à coup, mes oreilles se mirent à siffler légèrement avant que je n’entende un bruit lointain : on aurait dit des milliers de voix lointaines qui parlaient, discutaient et chantaient. Cela ne dura qu’un instant et je retrouvai le bruit de la voiture. Quentin s’était déjà écarté lorsque j’entendis le chauffeur parler en français :

— Ah, vous êtes un tehmiste !?

— Je comprends ce qu’il veut dire, soufflai-je, ébahi.

— Hein ? (le gamin se retourna, étonné) Il parle finalement not’langue, l’étranger?

— Regardez la route, ordonna Quentin avant de me dire : J’ai lancé un sort qui crée un lien entre nous : tant que nous sommes proches, tu comprendras l’ulmique comme je le comprends ; rassures-toi, c’est temporaire.

— Mais si tu n’es pas là ?

— Je restes avec toi.

Son assurance m’ébranla et je détournai le regard, trop peu enclin à soutenir le sien pendant le reste du voyage, durant lequel je profitais pour faire la connaissance de Zek, le conducteur :

— Alors vous v’nez de la Terre, hein ? C’est comment, là-bas ? Z’avez combien d’îles ?

— Cinq principales et plein de petites.

— Ah, c’est comme nous, alors !

— Excusez-moi de vous demander ça… (Zek fit un geste vague de la main, les yeux rivés sur la route) Quel âge avez-vous ?

— Douze ans, l’terrien ! (le gamin aux cheveux verts capta le regard courroucé de Quentin) Pardon… « monseigneur ».

— C’est rien, appelle-moi Joan. Je peux vous appeler Zek ?

— Ouais, si vous voulez.

— Et je peux vous tutoyer ?

— Seulement si je peux faire de même !

Je souris et acquiesçai, avant de continuer notre conversation :

— Depuis combien de temps vous êtes conducteur ?

— Depuis mes cinq ans. J’ai commencé tôt dans l’métier mais faut bien ! Ici, à Ashvra, on doit savoir se débrouiller ou bien… ‘fin, tu sais !

— J’avoue que non, avouai-je dans un rire gêné.

Avec un peu moins de tact en gorge, je n’aurais pas hésité à lui demander où se trouvait ses parents mais je ne voulais pas bousculer Zek, surtout avec Quentin qui prenait un air de plus en plus fermé. Je remerciai notre conducteur et me replongeai dans un silence courtois. Dehors, les rues s’élargirent ; je pus apercevoir un peu plus de choses que Zek, dans mon silence, interpréta comme de la curiosité, alors il s’empressa de me donner quelques indications intéressantes…

— R’vois c’bâtiment ? C’est les Bains Publics ; les gens s’y réunissent pour se prélasser, discuter affaires… ‘fin, j’imagine que c’est pareil sur Terre ! (j’opinai distraitement) Oh, et là ! C’est le Stade : la dynastie des Ashbor y organise les matchs les plus sensationnels de l’histoire d’Ulm ; faudrait y passer un jour, c’est à en tomber ! Et là, tu peux voir le lac Astrée qui est scindée par l’Aqueduc Ligoron, où on peut y faire des ballades magn…

— Conducteur, taisez-vous, gronda Quentin.

— Pardon, monseigneur, répondit Zek avec déference.

Il croisa mon regard dans le rétroviseur et je lui fis un sourire d’excuse ; le bougre me fit un clin d’œil avant de faire ce qu’il était sensé faire. Il nous conduisit jusqu’au pied de la Tour d’Ivoire ; Quentin et moi sortîmes.

— Salut, Zek ! lui dis-je en regardant par la fenêtre passager. Ravi de t’avoir rencontré !

— De même, Joan ! J’espère qu’on s’reverra !

Il me fit un clin d’oeil avant d’appuyer sur le champignon. Tout en faisant un signe léger de la main, je vis Quentin regarda la voiture s’éloigner en grommelant :

— Aucun n’arrive à faire son travail correctement…

— Je le trouve sympa, pas toi ? lui confis-je mi-figue, mi-raisin.

— Écoute, Joan… (Quentin me regarda avec un air de pitié assez énervant) Les gens comme ce type sont des arnaqueurs, ça se sent à des kilomètres.

— Ah oui ? Je te ferais remarquer qu’il nous a amené à bon port !

Les yeux ocre du beau corbin me lancèrent des éclairs.

— Tu comprendras bien assez tôt qu’il faut reconnaître tes alliés et tes ennemis, Joan. Allez, suis-moi.

— Attends ! Pourquoi on va à la Tour d’Ivoire ? Et où est mon père ?

— C’est justement pour ça qu’on est là. Pour assister à son procès.

Au milieu de la foule d’étudiants qui passait entre nous, affublés de leurs éternelles bures que j’apprendrais malgré moi à connaître, le sol se déroba sous mes pieds. Le ciel, les arbres et les maisons, même la Tour tangua. Je dus me retenir de tomber quand je m’exclamais :

— QUOI ?!!

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