Une magie particulière
Trois aigles tournaient lentement au-dessus du marché de Zaraoussina. L’aigle était le symbole de la ville de haute-montagne qui s’était construite de la plus surprenante des manières. Les étrangers étaient toujours surpris. On pouvait les reconnaitre juste à la manière dont ils marchaient lentement alors que leurs yeux essayaient de comprendre chaque détail. Joll et Mastine avaient beau porter des vêtements locaux, riches en couleurs et épais pour les protéger du froid mordant, ils avaient cette allure qui les trahissaient. Le marché était particulièrement étonnant pour eux.
Les produits exotiques en tout genre venaient des quatre coins du monde pour être réuni ici, tout ça à la gloire du grand Zara, le Dieu local mais le commerce le plus florissant ne concernait ni les poteries fines de Jinsi, ni les baies les plus rares venues tout droit de Holyn, ni même les lampes de fer des mines d’Arne. Dans ce marché, les fermes d’élevages étaient mises en avant. Certaines proposées d’acheter du lait, directement traie aux mamelles de sorcières, de mages ou même de vulgaires humaines sans pouvoir. Quelques stands faisaient des démonstrations pendant que d’autres proposées de gouter le lait directement à la poitrine de quelques représentantes qu’ils avaient emmené pour l’occasion. D’autres fermes proposaient de copuler directement pour féconder les femelles de son choix, la ferme s’en occupait le temps de la gestation avant de leur renvoyer le bébé… Le petit était sous garanti assurait un vendeur au sourire convainquant.
Joll et Mastine n’étaient pas venu pour bénéficier de ce genre de pratiques. Ce qu’ils cherchaient étaient bien plus rare en soi. On leur avait promit que ce marché refermait une quantité de magie tout à fait impressionnante et il n’en fallait pas moins pour combler les envies de leur Seigneur et Maître, le Grand Mage Alnister. Ils cherchaient donc un homme ou une femme -peu importe- doté de pouvoirs suffisants pour lui convenir. Avec un autre Seigneur, cela aurait pu sembler facile, mais leur Seigneur voulait quelqu’un qu’il n’écraserait pas de sa propre puissance… Beaucoup de très grands mages tuaient leurs partenaires au moment de l’orgasme en déchargeant une pure magie insoutenable.
Mastine, le plus avancé des deux apprentis du haut de ses quarante ans, commençait lui-même à souffrir du problème depuis quelques années. Il n’avait encore tué personne et il espérait bien ne tuer personne, mais il provoquait de l’inconfort et assez d’effroi pour que ses partenaires ne reviennent pas. Joll quant à lui était beaucoup plus jeune, il avait tout juste vingt-sept ans mais une puissance magique qui lui causerait bien du tord dans les prochaines années s’il ne trouvait pas des partenaires adaptés… C’était peut-être pour ça qu’Alnister les avait envoyés eux précisément parmi tout ses apprentis. Parce qu’ils étaient à même de bien comprendre sa problématique et parce qu’en cherchant un partenaire correct pour lui, ils pouvaient trouver au moins de l’espoir et qui sait, peut-être reviendraient-ils avec des partenaires eux-mêmes ? Mastine avait accumulé bien assez d’argents pour s’offrir une jolie esclave sexuelle dans l’un de ces marchés. Joll était un peu moins riche, mais son ami lui prêterait le nécessaire si besoin sachant qu’en quelques sortilèges, il pourrait le rembourser. Cet homme n’était pas seulement riche d’une puissance impressionnante pour son âge, il avait une manière d’aborder la magie qui lui permettait de faire des prouesses à moindre coût… et pire encore, il pouvait oser des sortilèges si retord que même le Seigneur évitait d’y mettre les doigts. S’il n’avait pas été si adorable à côtoyer au quotidien, le Seigneur s’en serait sans doute méfier davantage et Mastine n’aurait pas été capable de dépasser sa jalousie première. Seulement voilà, malgré ses compétences, Joll était doux, humble, discret à sa façon d’être, toujours gentil et prêt à aider … Très différent de ce que son physique, étrangement sombre et sec, et ses pouvoirs laissaient présager.
Une ombre passa sur le visage de Joll et il leva les yeux au ciel pour observer les oiseaux majestueux. L’un d’entre eux avait quitté la danse répétitive qu’il semblait faire avec les autres pour s’éloigner vers le Nord. Sans trop savoir pourquoi, Joll entraîna son ami dans cette même direction. Il aimait suivre ce qu’il voyait comme de petits présages anecdotiques même si on lui avait déjà répété l’absence manifeste de magie là-dedans. Habituellement, il savait que ce n’était que de la superstition mais cette fois-ci, il se sentait un peu fébrile. Il avança, le nez en l’air, sans écouter les marchands qui vantaient le mérite de leurs produits. Passant tout près d’un étal d’esclaves, la description froide et crue d’un jeune mage le perturba légèrement mais il ne lâcha pas l’oiseau du regard. Deux fois, Mastine saisit son coude pour éviter qu’il ne rentre dans un passant. Puis l’aigle se remit à tournoyer, descendant lentement vers eux. Il se posa sur la pointe d’un poteau, juste au-dessus d’un étal bruyant où se produisait une scène suffisamment rude pour que les spectateurs ne remarquent pas l’arrivée de l’animal.
Joll finit par détacher ses yeux de lui, presque déçu. Le léger courant qui l’avait rempli d’une certitude étrange s’était brisé. Peut-être l’avait-il seulement rêvé ? Mastine l’observait, sans trop comprendre ce qui les avait conduits ici. Ils avaient quitté le secteur des produits alimentaires pour s’enfoncer dans les fermes humaines, ce qui n’était pas un souci en soi, mais au lieu d’aller vers celles qui proposaient de l’élevage de qualité, là où les plus grands taux de magies s’accumuleraient, ils s’étaient dirigés vers un endroit plus lugubre. Ils étaient passés à côté d’un stand qui marquait ses esclaves au fer et les cris lui avaient donnés envie de vomir. Juste à côté, des engins permettant des inséminations à la chaîne étaient installés et des démonstrations étaient visiblement prévues. Un peu plus loin encore s’étalaient des objets qui semblaient destinés à la torture de mages afin d’empêcher toute rébellion. C’était la partie la plus violente du marché qui s’étalait sur quelques allées, mais le stand devant lequel ils s’étaient arrêtés était peut-être le pire.
Le marchand vantait la possibilité de détruire les compétences magiques. Une hérésie. La magie faisait partie d’eux et elle ne faisait que grandir. Ce qu’il vendait c’était en réalité la destruction des portes de sorties de cette magie et il était en pleine démonstration. Un jeune homme, totalement paniqué, était attaché, ficelé même. Il avait beau se révulser entre ses liens, il ne pouvait pas s’enfuir. Son bras droit était maintenu tout près d’une série de rouleaux visiblement destinés à coulisser les uns sur les autres et à le broyer.
Mastine déglutit, saisit par l’horreur de la situation. Certains mages avaient besoin de signer leurs volontés pour qu’elle s’exerce. Briser leurs mains et parfois leurs bras les rendaient effectivement inaptes. Joll se raccrocha à son bras avec une force surprenante, attirant son attention.
- Nous ne devrions pas être là… chuchota Mastine.
Joll ne répondit rien mais sa main se verrouilla un peu plus sur le bras de son ami, le faisant grimacer. Ce ne fut qu’en le regardant que Mastine comprit qu’il y avait un souci. Joll avait les cheveux noirs d’encres, les yeux de la même couleur, un teint pâle mais surtout, il avait des traits secs. C’était ça qui le faisait paraître toujours moins aimable qu’il ne l’était. Mais à cet instant, il y avait quelque chose dans son visage qui fit douter Mastine et qui lui donna envie de s’éloigner. Joll lui parut dangereux, ce qui n’avait aucun sens.
- Matem Ma, chuchota Joll faisant sursauter son ami.
Mastine se tourna vers le petit mage dont le bras s’approchait drôlement des rouleaux. Matem Ma ? Dans la langue natale de Joll cela signifiait « compagnon d’âme », mais il était impossible de reconnaître un tel lien à l’œil nu. Ça ne pouvait pas être l’âme sœur de leur Seigneur. A peine la pensée l’effleura-t-il qu’il comprit. Ce n’était pas celle de leur mentor, mais celle de Joll. Aussitôt, il attrapa le poignet de Joll pour le retenir et bredouilla, à toute vitesse, dans une langue que seul quelques érudits maîtrisaient :
- Ne bouges pas ! Tu connais leurs lois ! S’ils le découvrent, ils ne te le laisseront pas. Ils te prendront avec !
Le regard noir sembla flamboyer un peu plus fort encore comme s’il se disait « qu’ils essayent ! » mais s’ils essayaient, ils réussiraient sans doute. Toute cette partie du marché était destiné à la contention et l’emprisonnement de mages. Les artéfacts pouvant réduire leurs pouvoirs les entouraient.
- Je vais l’acheter ! Je vais me débrouiller. Ne bouge pas ! chuchota-t-il encore avec urgence.
Si Joll attaquait et se faisait attaquer en retour, il ne serait pas capable de rester immobile. Il interviendrait et ils seraient tout les deux pris. Il fallait faire autrement. Il fallait vraiment qu’il réussisse. Alors il se composa un masque de suffisance et s’approcha au plus prêt de la scène. Le garçon était étrangement banal, trop maigre ce qui n’avait rien de surprenant et en humant sa magie, Mastine la trouva bien faible et dénuée de tout intérêt. S’il n’avait pas vu le visage de Joll et s’il ne le connaissait pas mieux, il aurait cru à une mauvaise blague. Qui pourrait se satisfaire d’un partenaire aussi peu doté ?
- Excusez-moi ? Le spectacle est fort réjouissant… et je suis impressionné par votre habileté, intervint-il assez fort pour arrêter le vendeur dans sa démonstration.
Tous les regards se tournèrent vers lui.
- Je suis en mission pour le Seigneur Alnister et j’ai l’impression que ce… déchet pourrait convenir aux critères spécifiques que l’on m’a confié.
- Celui-là ? bredouilla le vendeur en regardant le mage qu’il s’apprêtait à briser comme s’il le voyait pour la première fois.
- Oui… Un mage qui signe… avec une très faible capacité… Les produits de vos collègues sont un peu trop bien pour ma recherche, alors cela fait des jours que je parcours les marchés, en vain, mais celui-ci…
Le vendeur acquiesça. S’il l’utilisait ainsi c’était bien parce qu’il ne valait strictement rien. On lui avait donné avec un lot et il l’avait employé au service un peu moment avant de choisir de le revaloriser à travers quelques démonstrations. Il ne serait ni plus utile ni moins d’ailleurs après de telles tortures. Ses compétences étaient si limitées qu’il ne valait qu’à peine le prix du pain qu’il mettait dans sa bouche pour se nourrir.
- Un Seigneur mage, hein ? demanda le marchand tout en se grattant le menton, pensif.
- Oui, le Seigneur Alnister.
- Hum…
Le vendeur se détourna vers l’arrière de l’étal et cria de faire venir Juny tout en détachant tranquillement le petit esclave choqué qui fut envoyé à l’arrière de la scène.
- Je finis ici et je suis à vous pour les négociations, murmura le vendeur tout en appareillant un autre esclave, terrifié.
Mastine accepta en essayant de sourire même si, dans tous les cas, un bras allait être broyé simplement pour le spectacle et pour vendre un appareil de torture. Il suivit l’aide de camp, sans doute le fils du propriétaire, et l’esclave qu’il allait devoir payer une fortune il en était sûr. Le garçon fut jeté dans une cage lourde et se recroquevilla sur lui-même. Il ne portait que des loques mais c’était largement suffisant pour dissimuler son corps, ainsi, Mastine n’avait aucune idée de son état exact. Il ne s’approcha pas de lui, n’essaya pas de lui parler ou de le rassurer. Il attendit simplement en essayant de faire abstraction des cris d’agonies qui s’élevèrent quelques minutes plus tard. Dans la cage, le jeune mage émit un très faible gémissement, tremblant de la tête au pied en sachant que ça aurait dû être lui.
Il fallut encore quelques minutes d’attentes, entrecoupées d’hurlements qui achevèrent de glacer Mastine pour que le vendeur ne revienne, l’air satisfait, pour la négociation. Si ce mage avait une quelconque valeur, il ne le braderait pas. Mastine fit semblant de vouloir vérifier qu’il signait bien et de vérifier sa puissance exacte avec un test basique, destiné aux enfants, qui consistait à allumer une bougie. L’esclave y parvenait à peine… Ça n’avait pas le moindre sens. A moins qu’il n’ait un talent caché ? Si c’était le cas, il l’aurait utilisé, montré, pour obtenir une meilleure place. Un talent rare lui aurait assuré un rôle de marchandise de luxe ou à défaut, de reproducteur. Mais il n’y avait visiblement rien en lui qui ne soit intéressant.
- Je pense qu’il conviendra vraiment… C’est dur de trouver aussi faible.
- Faible mais parfait pour votre Seigneur.
- En effet…
- Alors je pense qu’il vaut une offre à la hauteur de ce grand service.
Mastine acquiesça sèchement, proposa un prix, le vendeur fit semblant d’être outré d’une somme aussi faible et en quelques minutes ils trouvèrent un compromis qui fixait le prix du mage à dix fois ce qu’il aurait valu en réalité. Mastine soupira, il ne pourrait pas faire mieux. Joll le rembourserait mais c’était tout de même ennuyant et à présent, il fallait réussir à évacuer le quartier et le marché sans que personne ne découvre que Joll était le compagnon d’âme d’un esclave… sans quoi, il perdrait sa liberté. Les risques que cela tourne mal était encore bien présent et c’était avec stress qui saisit sa récente acquisition par le poignet pour le tirer à sa suite. Le garçon couina mais obéit. Mastine ne lui offrit pas le moindre mot de réconfort, ni la moindre considération, préférant attendre qu’ils soient loin pour penser à lui.
Joll n’avait pas bougé. Il fixait le rideau qui cachait ce qui servait d’arrière-boutique, même la torture de l’esclave qui pendait misérablement, le bras toujours pris dans les rouleaux, n’avait pas suffit à détourner son regard. L’horreur lui glissait par-dessus tant il était concentré sur son compagnon d’âme. Mastine finit par réapparaître avec lui et le soulagement fut net. Il avait réussi. Mais il nota aussi la sueur sur le front de son compagnon et ses yeux qui semblaient voilé de douleurs. Il souffrait, il souffrait vraiment. Alors Joll lui dit immédiatement, dans cette langue que très peu comprendraient :
- Lâche-le ! Tu lui fais mal !
- Nous devons sortir. Maintenant.
- Tu lui fais mal !
Mastine se tourna vers l’esclave et effectivement, il semblait souffrir. A titre d’essai, il lâcha son poignet pour saisir son épaule, mais le garçon vacilla en haletant, souffrant horriblement. Le plus vieux le relâcha et posa sa main sur sa nuque dans un geste possessif qui déplut énormément à son ami mais qui ne causa pas davantage de souffrance à priori.
- Joll… Il faut que tu tiennes et que l’on parte.
Sous sa poigne, il sentit le petit esclave remuer. Ses yeux verts d’eaux s’étaient écarquillés. Il regardait Joll et le reconnaissait pour ce qu’il était. Des larmes s’accumulèrent à ses paupières et il se mit à pleurer un peu plus fort.
- Non ! Non ! chuchota furieusement Mastine tout en le traînant plus loin.
Les effusions ne feraient que les mettre en danger. Joll sembla le comprendre car il se mit à avancer d’un pas vif vers la grande porte de la ville. Il fuyait. Il fuyait pour sauver son âme-sœur. Cette fois-ci, il ne bouscula personne et personne ne frôla ne serait-ce que Mastine et l’esclave qu’il entraînait avec eux. Joll n’avait plus du tout l’air gentil. Il avait l’air brutal, sauvage et colérique, le genre de personne qu’il vaut mieux contourner et en fendant la foule de cette manière, il ouvrait un passage confortable à ceux qui le suivait. Ainsi, il fallut très peu de temps pour sortir de la ville et s’éloigner assez pour rejoindre un coin discret dans la première forêt qu’ils croisèrent.
A l’abri des arbres, Mastine put enfin lâcher l’esclave avec un soupir de soulagement. Il n’avait pas été certain que son ami ne l’agresse pas. Il ne fut pas surpris que Joll se saisisse de l’esclave et même le fait qu’il lui arrache ses vêtements n’avaient rien d’étonnant. La majorité du temps, les compagnons d’âmes se sautaient dessus au premier regard et faisaient l’amour comme des bêtes, alors Mastine commença à s’éloigner tranquillement mais il fut surpris que Joll se fige et l’appelle.
- Tu peux m’aider ?
- T’aider ? répéta-t-il en jetant un coup d’œil au corps nu de l’esclave avant d’étouffer un juron.
Il avait sincèrement cru que le petit n’avait pas eu le temps de trop souffrir, qu’ils étaient arrivés à temps, mais la forme et la couleur de son bras jusque-là dissimulé sous ses vêtements ne laissaient aucun doute. Ce n’était pas sa première démonstration. Son bras gauche avait déjà été sacrifié et broyé. A l’idée qu’il l’avait saisi avec tant de force, Mastine eut envie de vomir. Les tortures subies formaient une histoire sur son corps. Une histoire qu’ils pouvaient lire avec aisance.
- Je vais te soigner, promit Joll doucement en caressant la joue de son compagnon qui n’avait pas encore prononcé le moindre mot. Il semblait juste horriblement choqué.
Le mage réunie toute sa force et la canalisa en douceur pour qu’elle vienne lécher les plaies et qu’elle répare tout ce qui pouvait l’être. C’était de la grande magie et presque aussitôt Mastine le rejoint pour l’aider à concentrer sa force là où elle devait aller. Il ne fit qu’un travail d’accompagnant, un peu maladroit parfois car ce n’était pas du tout sa spécialité… ni celle de Joll à sa connaissance. L’esclave couina alors que les os de son bras, éclaté, se rejoignait pour former de nouveaux des articulations et des jonctions efficaces. Délicatement, Joll caressa le corps nu de son compagnon alors que les ecchymoses sombres s’effaçaient avec lenteur. Il toucha, délicatement, une cicatrice épaisse le long de sa gorge et murmura :
- Je ne pourrais rien faire contre ça…
Mastine observa les traces de ce qui avaient été d’une violence absolue. On avait tranché les cordes vocales du garçon. Joll se pencha sur la cicatrice et l’embrassa avec une dévotion évidente. Il enroula ses bras autour de son corps frêle, bien trop maigre en réalité, et le serra un peu plus fort contre lui. L’esclave allait déjà beaucoup mieux maintenant que ses blessures les plus fraiches étaient guéries. La magie de Joll l’enveloppait toujours mais elle ne le soignait plus.
Lentement l’esclave se mit à caresser son compagnon d’âme, bouleversé par le fait de l’avoir rencontré, surprit qu’il n’ait pas simplement été réduit en esclavage avec lui et pleins d’un espoir incrédule à l’idée qu’ils pourraient rester ensemble, dans ce qui ressemblait à de la liberté… A moins que l’autre mage ne soit leur Maître à tous les deux ? L’envie sexuelle la plus violente qui l’avait saisi dès que ses yeux s’étaient posés sur son âme-sœur avait été légèrement éclipsée par les douleurs insupportables, mais maintenant qu’elles avaient disparu entraînant un soulagement intense, ces envies revenaient en force. Elles s’installaient dans son ventre provoquant une forme de vide des plus étranges, dans ses reins où il y avait plutôt comme un trop plein, dans sa poitrine prête à exploser et dans sa tête qui n’arrivait plus à penser à quoique ce soit d’autres… Ses doigts caressèrent la peau de celui qui serait bientôt son amant et il fondit un peu plus entre ses bras.
Joll n’attendit pas vraiment, cédant à une envie qui ne permettait ni douceur, ni préliminaire, il ouvrit son pantalon pour dégager son sexe déjà tendu et gémit d’anticipation en le collant contre le plus joli pénis qu’il avait pu voir. Ils s’embrassèrent, désespérés d’établir plus de contact. Les doigts de l’esclave tiraient sur les vêtements de son compagnon comme pour le rapprocher d’avantage, comme s’il voulait fondre en lui. Joll saisit son genou pour le soulever afin d’accéder à son antre et d’un simple coup de rein, il le pénétra. Son âme-sœur noua ses mains autour de sa nuque et se souleva pour finir dans ses bras. Joll fit deux pas pour l’appuyer contre un arbre et il commença à remuer. Leurs halètements de plaisir se mélangèrent jusqu’à l’explosion. Joll resta planté dans son compagnon, se déchargeant durant une longue minute tout en l’embrassant, émerveillé. Jamais il n’aurait cru pouvoir le trouver un jour…
Sortir de lui fut un crève-cœur, mais il le garda dans ses bras, le câlinant tendrement. Il ne savait pas comment il s’appelait, il ne savait pas son histoire, son âge ou le moindre détail d’ailleurs. Son âme-sœur n’était qu’un esclave anonyme et lourdement handicapé par une mutilation irréparable… mais il l’aimait déjà avec une tendresse qui le bouleversait et l’idée même de pouvoir apprendre à le connaitre l’émerveillait.
Mastine les attendait un peu plus loin, perturbé. Comment un être aussi faible pouvait-il coucher avec Joll sans sourciller ? Sa magie s’était abattue sur eux avec assez de force pour que ce soit désagréable pour lui, l’amenant à prendre un peu plus de distance encore. Il n’avait pas senti la moindre force venant de l’esclave. C’était étrange. Pourtant lorsque son ami revint avec le petit toujours dans les bras, ils avaient l’air d’aller bien. Ce phénomène si particulier serait assurément à étudier se dit-il, pensif.
***
3 ans plus tard
Ranny détestait ce genre d’endroits et pourtant cette ferme n’avait rien à voir avec celles qu’il avait pu fréquenter. Au lieu d’admirer et de s’exciter, volontairement ou pas, sur les corps dénudés qui les entouraient, il gardait la tête basse et restait contre le flanc de son âme-sœur. Joll ne regardait pas vraiment les corps nus, lui non plus, pas parce qu’il était mal à l’aise, mais simplement parce qu’il n’était plus intéressé par qui que ce soit d’autres que lui.
Doucement, Ranny laissait sa faible magie caresser les corps nus sans même leur jeter un coup d’œil. Ils étaient dans le secteur des mâles. Harnachés, à quatre pattes, le sexe lié, ils étaient trait pour la collecte journalière de spermes. Certains avaient seulement des pompes qui glissaient le long de leurs hampes, d’autres avaient des jouets qui coulissaient à l’intérieur de leurs rectums et quelques-uns avaient également des stimulations au niveau de leurs mamelons.
Les machines faisaient un bruit de moteur, ronronnant doucement. Ce fond sonore était recouvert par les gémissements des hommes, les halètements et les petits cris choqués lors des premières pénétrations. Rien de particulier à leurs oreilles. Ils en étaient à une dizaine de fermes différentes, en vain.
Ils quittèrent le quartier de don de semences pour rentrer dans celui de dons d’ovules, sans grandes différences. Ranny demandait toujours, à l’aide de quelques gestes, à voir la totalité des esclaves. Les reproducteurs comme ceux qui travaillaient à l’arrière, dans le reconditionnement des ovules et du spermes, dans l’insémination ou plus à l’arrière encore, dans les cuisines par exemple. Ils visitaient les quartiers de repos, d’immenses dortoirs où s’accumulaient les corps fatigués. Et puis, ils repartaient, bredouilles à la grande différence qu’à présent ils ne cherchaient plus seulement un mage de grande force, mais également quelque chose de plus rare et de plus discret. Un mage dont les pouvoirs s’écrasaient sans se briser, permettant d’encaisser l’amour des plus puissants. Un tel profil, le profil de Ranny, conviendrait sans soucis au Seigneur… Alors au lieu d’une rareté, ils en cherchaient deux potentielles. En vain.
Une fois encore, ils repartirent, un peu déçus mais pas surpris. Les fermes étaient nombreuses et ils finiraient par trouver à moins que leur Seigneur ne découvre un profil compatible et intéressé dans les grandes réunions de mages qu’il fréquentait.
- La prochaine ferme est à quelques kilomètres à peine… On y va à pied ? proposa Mastine.
Ranny lui fit un immense sourire en acquiesçant. Il adorait marcher. Joll sembla heureux de ce bonheur simple et les suivit, papotant tranquillement avec son âme-sœur et son ami. Ce n’était presque rien, mais pour lui c’était vraiment ça, être heureux.
Note : Le mot du jour était « aigle » et j’ai voulu explorer les différentes possibilités autour des « fermes humaines » ^^
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