Les étoiles scintillaient dans le firmament comme autant de joyaux à dérober. Depuis son navire, Black Sam leva les yeux au-dessus du port, vers l’imposant palais impérial, à la recherche d’une réponse sur sa façade. Mais aucun claquement métallique, aucune agitation ne le guida.

D’ordinaire maître de lui, Sam arpentait fébrilement le pont de commandement. Il réfléchissait à toutes les étapes de la mission et cherchait chaque détail, chaque imprévu qui aurait pu la mettre en péril. Où sont-elles ? se répétait-il. Les voiles de l'Etoile du Sud, transformé en simple navire marchand, lui répondaient en bruissant doucement.
Près du gouvernail, Bosco caressait sa médaille de la Gardienne des Savoirs Anciens qu’il ne quittait jamais et le suivait du regard.
— Par la Gardienne, calme-toi ! Elles vont y arriver. Elles sont les meilleures, tu le sais bien.
Malgré le calme apparent du capitaine, Bosco avait compris le tourbillon de questions qui assaillait Sam.
— Mary n’aurait jamais dû avoir sa première mission de commandement au palais. C’est trop risqué (sa main se crispa sur le pommeau de son épée). Je devrais être là si quelque chose tourne mal. A deux, elles ne pourront rien faire.
— On a balayé les options et graissé la patte à ceux qu’il fallait. Elles vont revenir d’un instant à l’autre. Saines et sauves. Les filles connaissent le boulot et ici nous avons besoin du capitaine pour prendre les décisions qui s’imposent.
Bosco posa une main sur le bras de Sam, tant pour le rassurer que pour partager le poids des responsabilités. Le capitaine détailla son ami de son regard acier. Son ton apaisant ne trompait pas Sam tant son second frisait sa moustache rousse. Autour d’eux, la tension était aussi palpable que le champ magnétique qui retenait le navire à quai. L’attente devenait insupportable.

Sam trompa le temps en scrutant les quais à travers sa longue vue, mais rien n'avait changé. Il ne distinguait que la lumière grésillante des lampadaires et leur reflet dans les flaques. Les dockers tardaient à arriver. La garde avait fini sa ronde. C’était pourtant le moment idéal. Le moment convenu.
— Elles devraient déjà être là. Il y a un problème, j’y vais. Fais allumer le moteur et préparez-vous au combat… Tu prends le commandement jusqu'à mon retour.

L’attente avait raison de lui, il devait agir.

Au loin, un vrombissement régulier annonçait l’arrivée d’un aéroplane. La vie allait reprendre dans le Dôme de l’Empereur. Sam se dépêcha de quitter le navire et courut sans se retourner. Ses longues foulées lui donnaient l’impression de voler sur les pavés irréguliers. Arrivé à l'orée des maisons, il sortit son épée, mêla son ombre aux murs et tendit l'oreille. Elles passeraient ici, c’était le chemin le plus direct. Le chemin convenu.
Des clapotis réguliers, comme quelqu’un approchant à vive allure sur le sol trempé, se firent entendre. Mais la rue était déserte, à peine s’il distinguait de fines gouttelettes jaillissant des flaques. Sam sourit, cette petite a du potentiel. Il n’avait aucun doute sur l'identité de la personne et rangea son épée.
Il s’approcha de l'angle de la rue et hulula. Les éclaboussures dérivèrent pour le rejoindre sous une porte cochère. Une main ôta une capuche invisible et dévoila un visage aux joues constellées de taches de rousseur.
— Gamine, il va falloir que tu arrêtes de me voler !
Sam fronçait les sourcils et tenait le bord de la cape humide en diphylleia, qui avait permis à Gamine de rester invisible. Cette cape lui appartenait et était particulièrement fragile. La fillette le dévisagea avec insolence, elle avait repéré la fossette qui se dessinait sur la joue de Sam.
— C’était l’idéal ! se défendit-elle.
Sam souffla et réprima sa fierté, l’audace de cette enfant l’épaterait tous les jours. Bien qu’il ne puisse le lui avouer, il était soulagé de la retrouver.

Au-dessus d’eux, Mary sauta avec grâce depuis un toit, sa jambe valide repliée sous elle, celle métallique allongée. Elle leva la tête en direction de Sam.
— Deux gardes, à une rue d’ici.