3

4 minutes de lecture

A bord de l'Étoile du Sud, le vent balayait le pont, emportant avec lui le parfum du bois humide et l’angoisse oppressante des dernières heures. Les marins patientaient, visages agressifs et armes au poing. Bosco avait anticipé la situation, à raison.
— Filons. Je viens de croiser Joshua, je pense qu’il n’a pas aimé que je le laisse comme ça.
Sam agita les insignes du maréchal devant son ami et Bosco se signa avec ferveur.
— Par la Gardienne…
— Arrête de jurer sur son nom sacré et passe les ordres, commanda Sam.
Dépité, Bosco saisit la manivelle donneuse d’ordres qu'il pointa vers la salle des machines et hurla dans le chadburn, le réseau de canalisations serpentines qui assurait la communication du navire. Puis, il sortit la médaille de sous sa chemise et chercha du réconfort dans une prière muette.

Sam tint la barre, le regard fixé sur l’océan céleste. Ses épaules, d’ordinaire si fières, s’affaissèrent au vrombissement du moteur. La toile trembla et la carlingue grinça, libérant par la même occasion les derniers stigmates de tension accumulée par Sam. Bosco courait sur le pont pour donner ses ordres. Partout, les marins s’activaient, les armes rangées. Certains gonflaient l’aérostat, une voile ronde permettant de gagner rapidement de la vitesse. D’autres démontaient les tentures qui avaient servi à déguiser le navire. Enfin, ils sortirent du champ magnétique.


En s'éloignant du quai, le Dôme de l’Empereur s'effaça pour laisser place aux contours flous d'une large goutte scintillante, suspendue dans l’océan céleste.


Depuis sa place, le regard vissé dans sa lunette, Sam s'assurait qu'aucune flotte ne les prenait en chasse. Lorsque Bosco souffla dans la corne d’appel pour rassembler l’équipage, il s’approcha de la balustrade puis posa un regard bienveillant et déterminé sur ses marins.
— Compagnons ! Ce soir, nous avons bravé l'impossible, volé l'Empereur dans son propre palais. C'était audacieux, dangereux et pourtant nous avons triomphé. Pour cet exploit, je suis fier de vous. De chacun d'entre vous. Car si Mary et Gamine ont été les mains de ce projet, nous avons tous joué un rôle crucial. Avec cette prouesse, nous avons assuré la sécurité de nos familles pour un temps précieux. Nous avons prouvé à l’Empereur que nous sommes l’ombre fugace qui pourra contrecarrer ces plans, comme lorsque vous vous êtes abolis de vos chaînes.


Quelques marins, bras croisés et visages fermés, s’échangèrent des regards méfiants tandis que l’allégresse des autres troubla la quiétude céleste. Sam les couva un instant de regard avant de se reprendre rapidement. Le temps des réjouissances n’était pas pleinement arrivé. Il inspira profondément pour que sa voix domine les murmures.
— Nous devons cependant rester vigilants. L’Empereur ne supportera pas d'avoir été ridiculisé dans son propre palais. Il va nous pourchasser, encore. Et nous vaincrons, encore. Ce sera difficile.

Il s’arrêta un court instant.
— Mais ! Pour le moment, savourons un instant cette victoire comme il se doit !
Tous les hommes se ruèrent vers le cuisinier qui ouvrait un tonneau de boisson. Sam souriait, la préparation de ce vol avait été compliquée. Il avait dû lever les doutes des marins et les rassurer sur le bien-fondé de cette mission. Mais il avait eu raison d’insister.


Bosco scrutait le pont inférieur que Gamine traversait à la hâte. Puis il se tourna pour détailler le capitaine, le visage fermé.
— Comment vas-tu ?
— Parfaitement bien. Les filles ont réussi leur mission, personne n’a été blessé, aucun dégât. Les marins sont soulagés et visiblement heureux. Que demander de mieux ?
— Tu sais très bien de quoi je parle. Avec lui, tes blessures sont le plus souvent invisibles.
Bosco le connaissait jusque dans sa moelle. Il savait que son capitaine avait fait ses classes d’armes avec le Maréchal.


A cette époque, une douce rivalité s'était instaurée entre eux pour devenir le major de leur promotion. Elle s’arrêtait à l’issue des épreuves, après une accolade ou autour d’un verre. Tous deux étaient pressentis pour devenir les prochains capitaines de la Garde. Mais les rêves de Sam s’étaient éteints après le putsch du nouvel Empereur. Sam avait préféré une vie de hors-la-loi plutôt qu’une obéissance aveugle à un tyran qui cherchait à étendre son pouvoir. Joshua avait fait ses propres choix, il avait une famille à protéger ; Sam n’avait plus personne.


— Il est toujours aussi fort et sa haine à mon égard de plus en plus palpable. Je ne connais plus cet homme. Il n’est plus celui avec qui j’ai fait mes classes. C’est la dernière fois que nous en parlons ainsi. Joshua est dorénavant un homme de main de l’Empereur. Uniquement. Le passé ne doit plus interférer.
Sam serra les poings. Cette décision le blessait, comme si on lui arrachait le cœur encore palpitant. Joshua l'y avait contraint en choisissant de servir l’Empereur jusqu'à sacrifier la vie de son ancien ami pour un instant de gratitude.
— Tu peux leurrer les autres Sam, mais pas moi. Rappelle-toi qu’on est une équipe, quand l’un flanche, l’autre le relève.

Sam posa une main emplie de gratitude sur l’épaule de son ami. Il pouvait compter sur lui pour l’aider à affronter les tumultes de son passé et envisager l’avenir avec un soupçon de sérénité.
— Il est temps de rentrer chez nous.
Sam sortit son astrolabe et ensemble ils décidèrent de la route à emprunter pour les diriger chez eux, dans les minuscules Dômes Iliens. Il proposa la voie la plus périlleuse, celle qui sillonnait parmi les deux anneaux, composés d'agglomérats de glace et de pierres, qui entouraient leur repaire. Bosco acquiesça. Comme lui, Sam faisait confiance à la dextérité et la connaissance de leurs marins pour assurer leur survie. Ils maximisaient leurs chances pour échapper aux éventuelles poursuites. Avec ses navires démesurés, la garde aurait du mal à naviguer dans ce dédale.


Sans plus attendre, Bosco indiqua la route via le chadburn et rétablit l’ordre auprès des marins tandis que Sam descendait dans sa cabine. Elle était telle qu’il l’avait laissée de longues heures auparavant, à quelques détails près. Le poêle diffusait une douce chaleur, mais il n’arrivait pas à la ressentir. L'ombre de sa rencontre avec Joshua persistait. Malgré la douleur de sa récente décision, il était persuadé que ce mal était nécessaire pour aller de l'avant.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Emy MB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0