Errances (titre provisoire)
de Angéline L.
" J'en peux plus... Je meurs de faim... Il reste de l'eau ?
- Non, et contente-toi d'avancer.
- Mais c'est ce qu'on fait depuis ce matin ! Tu veux que je meurs d'hypoglycémie ?"
Je me retournai avec violence pour lui faire face.
" Est-ce que tu vois une ville ou un abri quelqconque susceptible d'abriter de l'eau ou de la nourriture ? Alors arrête, je ne sais pas à quelle distance nous sommes du prochain village Et que je sache on ne va pas mourir de faim, on est partis hier soir et... "
Je marquai une pause, repensant aux évènements de la veille.
" Et tu as mangé, non ?"
Il se tut, puis se mit à ronchonner.
" Du pain rassis, tu parles que c'est nourrissant... "
L'aube dessinait des reflets dorés sur sa peau blanchâtre, et ses yeux boudeurs se levèrent pour observer le lever du soleil. Son regard noisette suppliait je ne sais quelle divinité de lui apporter un peu de nourriture. J'étais fascinée par la force qu'il montrait face aux récents évènements. Mais je ne pouvais pas l'empêcher d'avoir faim tous les quarts d'heure : il était en pleine croissance.
" Ton frère aurait sûrement apprécié que tu arrêtes de te plaindre... "
Il ne répondit pas, et ma voix se brisa dans l'ombre. Il baissa la tête, ses mèches brunes retombèrent sur son visage, aussitôt écartées par le geste habituel de leur propriétaire qui les repoussait d'un revers de la main. Où irait-il maintenant ? Il ne resterait pas avec moi éternellement, et, bien que ce soit égoïste de ma part, je ne supporterais pas d'avoir la copie conforme de son frère en face de moi. J'avais bien trop mal. Etais-ce cela un deuil ? Pleurer un être cher, parfois si précieux que la douleur en était insoutenable ? Mon cas était tout de même particulier. Devrais-je tout raconter à la police ou resterais-je muette face aux différentes interrogations que les gens se poseraient ? Impossible à dire, impossible à savoir. Seule l'avenir me le dira. Lui aurait pu me dire ce que j'aurais dû faire . Je balayais aussitôt le visage qui se dessinait dans ma mémoire, incapable de résister au choc que cela causerait. Mon coeur s'emballa avant de retrouver un rythme normal. Il fallait que j'arrête d'y penser. Ma raison le voulait, mais pas moi. Je désirais garder avec moi les derniers moments que j'avais passés en sa compagnie, bien que peu agréables, ainsi que son regard, gravé au fond de mon âme, au plus profond de ma chair. Je posai ma main sur mon front, épongeant la sueur naissante, rafraîchissant mes idées au passage.
Combien de temps encore ? Les paysages défilaient lentement, à la vitesse de nos pas épuisés de marcher depuis la veille. Je détestais la campagne. Je préférais ma ville et sa population stressée mais rassurante. J'avais besoin d'un peu d'humanité. J'étais toute seule depuis des jours, et mon caractère sociable commençait à s'effriter, bien obligé de s'adapter à la situation. Où étions-nous ? Difficile à déterminer. J'avais l'impression que les paysages étaient tous les mêmes, que je rencontrais les mêmes arbres, les mêmes prairies vertes. Tournions-nous en rond ou était-ce le fruit de mon imagination ? Sûrement le résultat d'une nuit blanche et agitée. En tout cas, lui n'avait pas l'air perturbé. Il regardait le sol avec une moue boudeuse, s'arrangeant pour me faire savoir qu'il en avait assez. Il me jetait parfois des regards en biais, puis retournait à son observation des cailloux se dressant sur le sentier aussitôt qu'il s'apercevait que je le regardais également. Il lui ressemblait tant. Encore quelques années et j'aurais devant moi un homme. A ce moment-là, il me serait impossible de soutenir son regard, sachant que ses yeux brillaient de la même lueur que les siens . Mais peut-être aurais-je définitevement fait mon deuil ? Nul ne le saurait.
" Attends... Je suis d'accord, on est partis que depuis hier soir, mais là on mérite une pause, non ?"
Il osait enfin lever les yeux vers moi, et je sus qu'il ne m'en voulait pas de l'avoir réprimandé.
" Si tu veux."
A ces mots, il s'affala sur le sol, et allongea ses jambes engourdies sur le sable caillouteux. Je m'assis en face de lui, et nous nous contentâmes durant quelques instants de nous comtempler mutuellement.
"Tu l'aimais, n'est-ce pas ?
- Plus que tu ne le crois, répondis-je en baissant les yeux.
- Tu lui en veux ?
- Je ne sais pas.
- Il ne t'aurait jamais fait de mal.
- Peut-être.
- Qu'est-ce que tu lui dirais s'il était encore là ?
- Je n'en sais rien... Il n'est plus là, je ne vois pas pourquoi tu me poses cette question.
- Pour savoir. Il ne faisait sûrement pas ça par pur plaisir.
- S'il te plaît... Ne m'inflige pas plus de cette culpabilité qui m'étouffe.
- Ce n'est pas ta faute .
- Arrête, je t'en prie, gémis-je tandis que mes yeux se mouillaient de nouveau. Je n'aurais jamais dû souhaiter cela. J'ai commis un meurtre !
- Il souffrait, tu n'as fait qu'apaiser sa douleur. Il était malade et tu le sais."
Je ne réprimais plus mes sanglots, recrachant ce que j'avais gardé pour moi au moment où l'irréparable s'était produit.
" Je savais que tu n'avais pas un coeur de pierre. "
Il posa sa main sur la mienne, et je sursautai à ce contact inattendu. Il m'observait avec un air rempli de compassion, et je lui adressai un sourire timide pour tenter de le convaincre que tout irait bien maintenant. Il parut y croire, et sa main reprit sa place initiale.
" Peut-être devrions-nous repartir ? Je me sens de nouveau fort, même si j'ai le ventre vide !"
J'acquiesçai d'un signe de tête, et il m'aida à ma relever. J'observai les alentours, me rendant compte que nous avions encore beaucoup de chemin à parcourir. Mais à l'horizon, une tache noire se profilait . L'espoir se levait-il enfin ? L'ébauche d'un village, enfin...
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Liberté | Chapitre | 1 message | 6 ans |
Le commencement | Chapitre | 0 message |
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