Chapitre VIII : Des amitiés et une prévention

22 minutes de lecture

Comme prévu, Hannah s’est énervée. Pour plusieurs raisons, d’ailleurs. La première, comme je pouvais m’y attendre, c’est d’avoir accepté la journée avec Finn et Sam sans la concerter. La deuxième, c’est d’avoir disparu sans donner de nouvelles. Quand je leur ai expliqué ce qui s’est passé, Lise et Hannah sont rentrées dans une colère noire. On était en appel le soir, mais elles menaçaient déjà d’étrangler tout le lycée dès lundi.

Ce soir-là, Finn a fait une publication sur Instagram. Il s’agissait d’une photo de nous deux sur le banc, un peu avant midi. Dans la légende, il expliquait que ce qu’ils avaient entendu – peu importe l’origine de la rumeur – était faux. Il leur a aussi demandé de ne plus y faire allusion et de ne pas parler de ce qu’ils ne savaient pas.

Sam a laissé un commentaire sur le post de son ami en approuvant ses propos, et en me soutenant également dans la situation que je vivais. Voir que lui aussi est de mon côté me réchauffe le cœur. Je ne connais pas particulièrement Sam même si on se voit souvent aux temps de midi, mais il m’a tout de suite plus. Il est vraiment gentil, avec un grand cœur. Pas étonnant qu’il soit le meilleur ami de Finn.

Allongée dans mon lit, je fixe le plafond comme si j’allais y découvrir tous les secrets du monde. Mais non. Rien. Il est juste blanc et horriblement sale.

J’ai réussi à convaincre mes parents de me laisser sortir avec mes amis aujourd’hui. C’était long et j’ai bien cru devoir annoncer à tout le monde que je ne pourrais pas venir, mais ils ont fini par accepter. Évidemment, ils m’ont punie pour avoir séché les cours. Mais au fond, je crois qu’ils s’en fichent. Ça fait déjà longtemps qu’ils se sont désintéressés à moi.

En fait, ils ont arrêté d’êtres proches de moi à partir de L’Incident Salie. Si avant nous partagions de vrais liens forts et sincères, cet épisode nous a considérablement éloignés. Ils m’en tiennent toujours rigueur, d’ailleurs. Papa est persuadé que j’ai fait ça pour attirer l’attention, et maman prétend que je n’aimais pas Salie.

Pour ce deuxième point, elle n’a pas totalement tort. En fait, je détestais Salie, mais ce n’est pas ça qui m’a poussée à agir. Malheureusement, ça, ils ne le comprendront jamais parce que mes parents refusent d’entendre raison. Ils n’ont jamais envisagé d’écouter ma version des faits.

Le pire dans mon vécu, c’est que cette histoire a fait le tour de la petite ville dans laquelle on vivait. Après quelques jours seulement, tout le monde savait. Ou plutôt, tout le monde croyait. Car ce qui était raconté sur tous les toits, c’est que j’avait harcelé Salie. Certains ce sont mis à raconter toutes sortes d’idioties pour défendre mon comportement – Spoiler Alerte : ça nous a tous pourri la vie, au final. Il y en a qui prétendait que j’avais une maladie mentale, que j’étais folle. D’autres encore ont prétendu que mes parents m’avaient élevée dans la violence et m’avait battue.

Evidemment, c’est cette dernière histoire qui est parvenue aux oreilles du patron de ma mère. Lui qui tenait une grosse boite, il ne pouvait pas se permettre d’offrir un salaire à une femme qui avait potentiellement battue sa fille. Alors, il l’a virée.

C’est comme ça qu’on a finit par rentrer chez nous. Mes parents n’avaient plus rien à faire là-bas, et ils ont préféré s’éloigner de cette vie. Ils ont décidé d’oublier ce qui s’y était passé, et ont repris le cours normal de leur vie, dans notre ancienne maison – celle dans laquelle nous vivons à nouveau aujourd’hui.

Papa et maman n’ont plus voulu me parler pendant longtemps et je l’ai mal vécu. Parce qu’ils avaient pitié de moi, ils ont décidé de me payer des rendez-vous psy toutes les deux semaines. Celle-ci, après que je lui ai relaté les évènements que j’ai vécu, a insisté pour en parler à mes parents, mais j’ai refusé. Je savais qu’ils s’en fichaient. Alors, on a continué à parler, et en creusant un peu plus la situation, elle a réussi à me diagnostiquer un traumatisme.

Au début, j’avais du mal à vivre avec cette idée, je n’y croyais pas. Mais après avoir accumulé les soirs en larmes, les insomnies et une chute considérable de mes points à l’école, j’ai fini par m’y résoudre.

Cela fait maintenant presque un an que nous avons cessé de nous voir. J’ai décrété que j’allais mieux. C’est vrai, d’ailleurs. Oui, ça me prend encore parfois de verser une ou deux larmes, mais je ne ressens plus la même douleur qu’avant.

Le bruit de la sonnette me sort de ma rêverie. Finn. C’est lui qui vient me chercher pour notre journée entre amis. Il a insisté, refusant que je me rende à pied à notre lieu de rendez-vous. Mes parents étaient réticents d’apprendre que c’était un garçon – un garçon ! – qui venait me chercher, mais ils n’ont pas trop insisté. Et puis bon, ils sont tellement ravis de leur choix de punition – devoir m’occuper de tout dans la maison, seule, pendant deux mois entiers – qu’ils ne vont pas chipoter pour un garçon.

Je me lève de mon lit et me dépêche de rejoindre la porte d’entrée avant que ma mère n’ouvre à ma place. Malheureusement pour moi, j’entends déjà la voix de celle-ci résonner dans le hall d’entrée. Je dévale les marches quatre à quatre et me rue devant la porte. Là, je vois maman dévisager Finn de la tête aux pieds.

— Et tu accompagnes ma fille au bowling habillé comme ça ? grimace-t-elle.

Bowling ? Mais je suis nulle au bowling !

— Enfin, jeune homme ! On s’habille correctement quand on va dans ce genre d’endroits ! Que vont-ils penser de ma fille si c’est un garçon comme toi qui l’accompagne ?

Je pousse ma mère sur le côté et la fusille du regard. Alors, en grinçant des dents, je lui réponds avec l’air le plus glacial possible :

— C’est bon, maman. On a compris. Il a compris.

Elle me regarde de travers avant de tourner les talons sans m’adresser la parole. Je soupire et claque la porte derrière moi. Une fois que nous sommes seuls, je me permets de jeter un coup d’œil à la tenue de Finn. Un t-shirt. Un jeans. Normal. Alors quel est donc le problème de ma mère ?

— Ta mère est charmante, ironise Carder alors que nous montons dans la voiture.

Je lève les yeux au ciel et grommelle :

— Si tu savais ! Tu lui as parlé, quoi ? Une minute ? Maintenant, image vivre avec elle. Tout le temps.

— Oui, tu as raison, je ne survivrais pas, répond-il avec un petit sourire entendu dans ma direction.

J’attache ma ceinture et il démarre. Le trajet se fait dans le silence mais, étrangement, ça ne me gêne pas. D’habitude, j’aime qu’il y ait un minimum de bruit, ne serait-ce que de la musique. Mais ici, ce silence entre nous n’est pas dérangeant.

Il nous faut cinq minutes avant d’arriver à destination. Finn se gare dans les graviers, sur le bord de la route et il coupe le moteur avant qu’on ne sorte de la voiture, je le questionne.

— On va vraiment faire du bowling ?

Il a un sourire en coin avant de me répondre d’une voix innocente.

— Si tu veux tout savoir, c’est ton amie, Hannah, qui a insisté. Elle a dit que tu adorais. Mais vu ton expression, je commence à avoir des doutes.

Que Hannah aille au diable ! Elle sait pourtant que je déteste le bowling. Je l’imagine déjà me narguer avec un air sadique sur le visage : « La prochaine fois, tu me préviendras ». Hannah est très gentille. Simplement, il y a quelque chose que j’ai très vite compris avec elle ; il ne faut jamais la contrarier. Jamais. Elle peut s’emporter facilement quand les choses ne sont pas comme elle voudrait qu’elles soient.

— Tu fais bien de douter. Mais ce n’est rien. Hannah est juste vexée parce que je l’ai prévenue à la dernière minute. C’est du donnant donnant.

Un rictus vient égayer le visage de Carder, et il finit par déclarer :

— De toute façon, j’ai comme l’impression que tu vas la battre.

— Oh non, je ne pense pas. Je suis terriblement nulle au bowling ! je m’exclame.

— C’est bien pour ça qu’on va faire équipe, toi et moi. Comme ça, ton amie sera obligée d’être avec Sam. Et tu veux que je te dise un truc ? Tu te trouves nulle au bowling ? Eh bien Sam est bien pire !

Je pouffe devant son air triomphant. Carder a l’air assez confiant, et ça me redonne le sourire. Avec tout ce qui s’est passé hier, j’ai perdu l’habitude de sourire à tout. Pourtant, quand je suis avec Finn, c’est une évidence. Je ne pourrais pas faire autrement.

Je ne sais pas comment l’expliquer. C’est juste que le voir me donne l’envie d’être heureuse, et je ne peux pas m’opposer à cette volonté. Je n’ai jamais ressenti ça avant, et ça a le pouvoir de me déstabiliser.

— Bon, viens ! Ils vont se demander ce qu’on fait.

J’acquiesce et nous sortons de la voiture. Ensuite, Finn m’entraine vers un bâtiment un peu plus loin. Le lieu est grand et entièrement blanc, mis à part la grande affiche qui annonce en grandes lettres imprimés « BOWLING ». Les portes vitrées laissent entrevoir des lumières colorées à l’intérieur.

Nous nous dirigeons vers l’intérieur et, à peine nous passons le pas de la porte que Sam nous tombe dessus.

— Vous voilà ! crie-t-il pour se faire entendre avec la musique qui résonne dans le lieu. La copine de la petite tête commençait à s’impatienter !

— Elle a un nom « la copine de la petite tête » ! s’énerve Hannah en apparaissant derrière Sam, un grand sourire sur le visage.

Ensuite, son regard croise le mien et elle me demande d’une voix innocente :

— Alors, Jess ? T’es contente pour le bowling ? (Je n’ai pas le temps de réagir qu’elle m’interrompt déjà) Je savais que ça te plairait !

Je pouffe. Elle n’est vraiment pas possible, quand elle s’y met. Finn me donne un coup de coude comme pour me transmettre son soutient et il m’offre un petit sourire.

— Trop d’amour ! s’écrie Sam en mimant une nausée.

Tout le monde explose de rire. Sam n’est pas au courant que notre couple est faux. Carder ne lui a pas dit, et c’est mieux comme ça. J’aime bien Sam, mais il a la langue trop pendue.

— Comment ça va, ma chérie ?

Je me tourne vers Lise qui vient d’arriver. Elle est magnifique, comme à son habitude. Cependant, un pli d’inquiétude déforme les traits posés de son visage. Elle parait vraiment préoccupée. D’ailleurs, soudain, tout le monde autour de moi semble pendu à mes lèvres. Ils ont tous l’air vraiment intéressés pas la réponse. Je préfère être honnête, mais sans rentrer les détails.

— J’ai déjà été mieux, je déclare simplement avec un petit sourire triste et en haussant les épaules.

— Je comprends, dit Lise en me frictionnant le dos. Sache qu’on est là si tu as envie d’en parler. Tu sais bien qu’on ne te jugera pas.

Evidemment que je le sais ! Hannah et Lise sont bien les dernières personnes qui seraient capables de me juger. Elles me comprennent, quoi que je leur dise. Je pourrais bien tuer quelqu’un qu’elles chercheraient d’abord à savoir ce que cette personne m’a fait avant de me prendre pour une folle.

— Oui, je sais, je lui réponds avec un sourire sincère. Et j’espère que vous savez que je suis là pour vous aussi.

Lise m’offre un grand sourire qui me réchauffe le cœur. Hannah pose ma main sur mon épaule et je me sens mieux. Sam et Finn nous regardent, ne sachant pas vraiment où se mettre. Heureusement, comme à son habitude, Hannah est là pour sauver la situation.

— Bon. On la fait ou pas cette partie de bowling ?

— Oui, mais en équipe, répond Finn avec un clin d’œil dans ma direction. Et je suis avec Morgan.

— Comme par hasard, commente Sam avec un regard entendu en direction de son ami.

Carder lui répond par un léger coup de poing dans l’épaule, ce qui fait sourire Sam.

— Puisque c’est comme ça, dit celui-ci, je me mets avec la copine de petite tête. Et, comme plus on est de fou plus on rit, l’autre petite vient avec nous.

Lise et Hannah dévisagent Sam. Ce dernier ne prête pas attention à leurs regards, il fonce réserver et payer une piste.

— Je suis si petite que ça ? s’inquiète Lise.

— Ne t’en fais pas, commente Hannah. Dans un groupe d’amis, il faut toujours une grande, une petite et une moyenne. Je suis la grande, Jess est la moyenne et toi, tu es la petite. C’est parce qu’il faut un équilibre.

Je pouffe et elles m’imitent. On discute un moment, puis Sam arrive et nous désigne la piste qu’il nous a pris.

— J’ai demandé la meilleure, mais le monsieur derrière le comptoir m’a pris pour un fou, alors il nous a donné celle-là, mais je pense que c’est plus une technique pour qu’on soit le plus loin possible de lui. Oh, et j’ai aussi demandé les barrières. Pour moi. Vous, vous ferez sans.

— Et on peut savoir pourquoi ? s’interroge Hannah. Parce que Jess aussi en aura besoin.

Je fais mine d’être vexée ce qui fait rire tout le monde, puis nous nous munissons de paires de chaussures à notre taille. La matière me gratte la plante des pieds, mais je m’abstiens de faire le moindre commentaire parce que ça donnerait satisfaction à Hannah – et ça, je refuse. Elle va bien voir ; Carder et moi allons gagner.

D’ailleurs, en parlant de Carder. Je trouve qu’en ce moment, on se rapproche un peu trop et ça m’embête. Je ne dois pas perdre de vue mon objectif. C’est pour ça que j’ai décidé qu’il était temps de passer à la Phase 2 de mon plan. À partir de maintenant, je dois être gentille avec lui. Souriante, me rapprocher. Il faut qu’il comprenne qu’on a peut-être une chance. Une vraie chance, je veux dire. Il faut qu’il doute, qu’il se rapproche. Et quand ce sera le cas, je pourrai partir avec Dan, comme je l’ai toujours prévu.

Si je décide de faire ça maintenant, c’est parce que je commence à douter de l’efficacité de mon plan. Je commence à bien m’entendre avec Finn. Enfin, je l’apprécie en tant qu’amis, pas plus. Mais j’ai du mal à m’imaginer lui broyer le cœur. C’est pour ça que je dois faire ça le plus vite possible. Avant que je ne m’attache trop. Pour ne pas que je me brise en même temps que lui.

Une fois que nous sommes tous prêts, on se dirige vers notre piste – celle à l’autre bout de la salle – et nous regardons l’ordre de passage. Sam est le premier à jouer, suivi par Finn, puis Lise, moi, et Hannah joue en dernière. Mon amie laisse échapper un râle ce qui fait rire Sam, puis nous commençons à jouer.

Comme prévu, Sam ne sait pas jouer. Même avec les barrières, il arrive à faire dévier la boule de bowling au dernier moment pour ne faire tomber aucune quille. Un air dégouté se dessine sur son visage, et il rabat sa casquette devant sa tête. Finn se moque ouvertement de son meilleur ami avant de lui-même faire tomber les dix d’un seul lancé. Il revient, fier, près de nous, mais Sam déclare d’une voix chantante :

— Tu connais le diction, Fifi ?

Carder lève les yeux au ciel sans rien répondre à son ami. Celui-ci ne se départit pas de son petit sourire et joue avec la chaine autour de son coup. En dirigeant mon regard vers ma meilleure amie, je remarque qu’elle dévore littéralement Sam du regard. Le pire ? Elle n’essaie même pas d’être discrète quand elle le fait. Enfin, ça, je ne peux pas le lui reprocher, je ne suis pas mieux que je reluque Dan au lycée.

— A ton tour, petite ! s’exclame Sam en direction de Lise. S’il-te-plait, fais tomber des quilles, on ne peut perdre à 2 contre 3 !

Lise sourit mais ne répond pas. À la place, elle prend une boule et se concentre avant de la lancer sur la piste. Elle part en ligne droite et dévie de quelques centimètres à la fin, mais 8 quilles tombent tout de même.

Sam laisse échapper un cri de joie et prend Lise dans ses bras. Celle-ci parait mal à l’aise et lance un regard SOS. Finn rigole et demande à Sam de lâcher Lise. Il parait décontenancé mais s’exécute.

— T’es trop forte ! J’espère que ta copine l’est autant que toi, parce que je veux vaincre Fifi et la petite tête.

— Bien sûr que je suis forte ! s’offusque Hannah. ET J’AI UN PRENOM !

Sam fait semblant de ne pas l’avoir entendue et Lise part pour lancer sa deuxième boule. Elle arrive à en toucher une et revient, souriante. Ensuite, c’est à mon tour de jouer et, comme je pouvais m’y attendre, je ne me suis pas améliorée depuis la dernière fois que j’y ai joué. Mes deux lancés cumulés, j’ai fait tomber deux quilles.

Sam en rit ouvertement alors que Finn essaie de me rassurer.

— Ce n’est rien, Morgan. Il faut jusque que tu t’habitues. Et puis, ne t’en fais pas. Je vais les exploser à ta place, ajoute-t-il avec un clin d’œil.

Je lève les yeux au ciel sans pouvoir réprimer un sourire.

— Je meurs de soif, se pleins Sam.

— Va chercher toi-même, rétorque Carder.

— Non, j’en serais incapable. Tu veux pas y aller, toi ? Au pire, vas-y avec ta copine mais rapporte-moi de l’eau. S’il-te-plait, insiste-t-il avec un air de chien battu.

Pendant un long moment, les deux amis se défient du regard. Je finis par croire que Finn va envoyer Sam balader, mais il finit par céder.

— Bon, d’accord, râle Carder. Mais je prends ta carte.

Sam prend un air indigné.

— Mais c’est déjà moi qui ai payé le bowling !

— Tu veux y aller ?

Sam pousse un long soupire avant de tendre sa carte à Finn qui lui sourit. Ensuite, il se dirige vers le comptoir et je lui emboite le pas après avoir demandé à tout le monde ce qu’ils voulaient boire.

— Tu vois, je suis trop nulle au bowling, je me lamente alors que nous marchons.

Finn me regarde d’un air attendri avant de me répondre comme il répondrait à une gamine.

— Mais non, tu joues très bien.

Je soupire sans pouvoir m’empêcher de sourire. Je commence vraiment à apprécier Carder et sa compagnie, et ça me terrifie. J’ai la soudaine envie de m’enfuir à toutes jambes et de lui échapper, mais mes jambes le suivent d’elles-mêmes, comme si elles ne pouvaient plus faire autrement. Mon corps agit comme un aimant géant.

M’en rendre compte me rend folle, j’en ai des frissons. Je ne peux pas l’apprécier. Pas alors que je dois le détruire, le réduire en cendres. Je ne peux pas, je ne veux pas.

— Tu bois quoi, grenouille ? Un bon verre de marre ? Ou peut-être une mouche ?

Je le fusille du regard pendant qu’il rigole comme un idiot à sa propre blague. Je tiens à préciser que même sous ma carapace indestructible, je ne rigole pas. Parce qu’il n’est pas drôle, bon sang ! Il est ennuyeux, barbant, fatiguant, immature, désagréable et embêtant. En gros, je ne l’apprécie absolument pas !

Ma conscience me dit que c’est faux, que je me mens. Elle me dit que j’essaie de me persuader de quelque chose qui est faux. Heureusement, je n’écoute jamais ma conscience parce que j’ai l’impression d’être une sorcière à écouter ce que me dit ma tête.

Donc, c’est sûr, c’est certain, je ne l’aime pas. En même temps, pourquoi est-ce que je l’apprécierais ? Il n’a rien fait pour que ce soit le cas. D’ailleurs, lui non plus ne m’a jamais supporté. Je le sais parce que je n’ai jamais essayé de le faire changer d’avis.

Oui, c’est vrai, je suis têtue. Non, pas têtue. Je préfère le mot « obstinée ». Ça fait plus poétique, ça fait battante. Et je suis une battante. Dans une ancienne vie, j’étais chevalier. Non, pas chevalier. Plutôt magicienne. Oui, c’est ça. Et je lançais des sorts, j’anéantissais des gens.

Stop. Je ne vais pas bien, je dois me calmer.

— Non, plus sérieusement, tu veux boire quoi ?

OK, j’avais peut-être un tout petit peu oublié que j’étais avec Carder. Un peu beaucoup, même. Mais je ne laisse rien paraitre et je réponds de la voix la plus naturelle possible :

— Je prendrai un Fanta.

Pour le naturel, on repassera. Ma voix est montée dans les aigus, mes pieds ont trébuché. Carder me dévisage longuement, comme si j’étais folle. Oh, Finn Carder, tu ne vas pas t’y mettre, toi aussi, pas vrai ? Je ne suis pas folle.

En fait, j’ai carrément l’air d’une psychopathe, mais lui ne s’en rend pas compte. Déjà, parce qu’il n’est pas dans ma tête et ne peut pas deviner que je me parle à moi-même et que je m’imagine une ancienne vie dans laquelle j’étais magicienne. Ensuite, il ne peut pas s’en rendre compte parce qu’il n’a aucune idée de mon plan vis-à-vis de lui.

Oh bon sang, je suis tellement cruelle ! Comment peut-il me supporter ?

— Un Fanta, c’est noté. Tu as besoin d’autre chose ? Tu n’as pas l’air bien, tu es toute pâle.

EVIDEMMENT QUE JE SUIS TOUTE PÂLE, ESPECE DE FOU ! PARCE QUE JE SUIS FOLLE ET JE VIENS DE M’EN RENDRE COMPTE !

Mais bien sûr, ce n’est pas ce que je réponds !

— Ne t’en fais pas, je n’ai besoin de rien d’autre.

— Je ne m’en fais pas, répond-il avec un sourire.

J’ai comme l’impression que son visage indique en grand « IL MENT », mais je ne réagi pas. Après tout, pourquoi se soucierait-il de moi ? On n’est rien l’un pour l’autre. Enfin, si, techniquement. Mais tout ce qu’on est, c’est pour de faux, alors c’est comme si, finalement, rien n’existait entre nous.

— Je peux te laisser commander ? je demande soudain, une boule au ventre. Je reviens, je dois aller aux toilettes.

Il fronce les sourcils et son visage rieur se froisse en une expression plus sérieuse, presque inquiète.

— Tu es sûr que ça va ? Parce que, là, je commence à m’en faire.

Je lève les yeux au ciel, me battit un sourire confiant et déclare :

— Tu ne dois pas. J’ai juste… problème de fille.

On sait tous les deux que c’est faux. J’ai utilisé la même excuse à l’école, hier, après l’incident que j’ai décidé de nommer « Boulette De Papier ». Je me rends alors compte que ce que je viens de sous-entendre pourrait lui laisser penser que je suis dans un état comparable à celui d’hier. Ce qui, en d’autres termes, veut dire que je suis dans un été lamentable.

Alors, je me racle la gorge et rectifie :

— Je reviens vite, j’ai juste mal au ventre.

Finn Carder acquiesce. Je vois bien qu’il est méfiant, mais il ne réagit pas. Après tout, pourquoi le ferait-il ? C’est insensé !

Décidée à mettre le plus de distance possible entre lui et moi, je tourne les talons et me rue vers les toilettes, trébuchant et manquant de m’écrouler sur le sol un bon nombre de fois. Je finis par atteindre mon but et je soupire de soulagement.

Je m’arrête devant l’évier que je saisis aux rebords. Mon regard se perd dans le grand miroir et j’y cherche une quelconque trace de vérité. Allez, juste une réponse, une seule.

Mais rien. Je ne trouve rien qui pourrait m’aider. Alors j’en déduis que je ne ressens rien. Pour Carder. Ce qui veut dire que je peux lui briser le cœur sans le moindre remord. N’est-ce pas ? Si je ne l’aime pas, je ne pourrais pas m’en vouloir.

Problème réglé !

Je n’ai besoin de personne pour être heureuse. De personne sauf de mes amies. Parce que c’est grâce à elles que je souris. Quand je suis au plus bas, il me suffit de voir Hannah tenter de s’énerver avec ses petits points serrés, de voir Lise sourire à la caméra de son téléphone, pour que mon visage s’illumine à son tour.

Elles sont les seules en qui j’ai confiance. En qui j’ai aveuglément confiance.

Alors pourquoi m’embêter à tomber amoureuse quand la vie peut être tellement simple ? Quand le matin je n’ai pas à réfléchir à comment je dois être pour plaire ? Quand je n’ai personne à qui penser, personne pour me tenir éveillée jusque très tard la nuit ?

Non, c’est décidé. Je ne peux pas aimer. Je ne veux pas aimer. Je préfère les amitiés. Et Hannah est mon amie. Lise est mon amie. Je suis même prête à décréter que Dan est mon ami. Si ça peut me permettre de rester près de lui pour toujours sans partager de relation compliquée, je pourrais tout donner.

Mais Finn n’est pas mon ami. Finn Carder est mon ennemi, celui qui est la cible de mon plan diabolique, celui qui doit échouer.

Mes yeux captent leur reflet dans la glace en face de moi. Je parais déterminée, presque féroce.

— Tu vas voir de quoi je suis capable quand je me lance dans quelque chose.

Ses paroles ne s’adressent pas à moi. Pas à Hannah, Lise ou Dan. Ces paroles sont pour Carder. Parce que le petit me connait gentille, souriante. Peut-être triste et vulnérable, aussi. Mais il ne me connait pas coriace et machiavélique. Cette facette, il ne la découvrira que bientôt. Très bientôt.

Quand je quitte les toilettes, c’est avec une seule et unique idée en tête : mettre mon plan en action. J’ai longuement hésité, mais il est plus que temps de passer à la phase 2.

Je me dépêche de rejoindre mes amis sur notre piste. Quand Sam me voit, il ouvre grand les bras, bascule sa tête et s’écrie :

Alléluia ! Elle est enfin là, on va pouvoir continuer la partie !

Lise et Hannah me regarde d’un œil rieur mais Finn parait réellement inquiet. Alors, en passant à côté de lui, je lui fais une petite tape sur l’épaule et murmure :

— Je t’ai manqué ?

Avant de me détourner, je lui fais un clin d’œil. Quand il me dévisage, je comprends que c’était une terrible idée. Tout à coup, je me sens bête.

On a dit gentille, Jess ! Pas dragueuse ! Bon sang, ressaisis-toi !

Heureusement, j’ai le courage de saisir une boule bowling et de la lancer sur la piste. Elle tombe dans la rigole après à peine un mètre. Je soupire et m’occupe de mon deuxième lancé. Cette fois, j’arrive à faire tomber cinq quilles. CINQ ! C’est bon, je suis contente. On peut repartir maintenant, finir sur une note positive.

Malheureusement pour moi, Hannah ne semble pas être de mon avis. Tant pis. Je pars m’assoir et les regarde lancer, tour à tour, leurs boules de bowling. Les tours se succèdent et je m’améliore un peu plus à chaque lancé. Evidemment, ce n’est jamais rien d’exceptionnel, mais je suis déjà meilleure qu’au début de la partie, ce qui est déjà très bien !

Le niveau de Carder, lui, reste identique. Toujours impeccable. Si ce n’est pas au premier lancer, les dix quilles tombent au second.

Dans l’autre équipe, à part Lise qui est plutôt douée, Hannah et Sam, eux, sont nuls. Vraiment nuls. Ils le sont au point qu’on les devance d’une dizaine de points alors que nous sommes deux et que je ne suis pas vraiment forte.

Le dernier tour a vite fait d’arriver et je sirote le fond de ma canette de Fanta. C’est la dernière fois que je joue et je ne veux pas donner à Hannah le plaisir de me planter. Alors, j’inspire, j’expire. Et je lance. La boule part comme une flèche et renverse… HUIT QUILLES ! Oh mon dieu, je suis si forte ! Sortez le tapis rouge, ramenez les célébrités et qu’on me couronne ! Je ne mérite que ça.

Voyant mon air satisfait, Hannah me tire la langue en essayant tant bien que mal de ne pas sourire. Finalement, elle est peut-être contente pour moi ?

Mon deuxième lancé est pitoyable. Confiante, je lance la boule de bowling mais je le fais trop fort et sans viser. Résultat : la boule par dans la rigole avant même de toucher la piste. Tout le monde rigole franchement de moi et je les accompagne.

— Heureusement que je t’ai filmé quand tu as fait ce magnifique dernier lancer, ironise Carder quand je vais m’assoir près de lui.

Je deviens rouge tomate.

— Tu m’as filmée ?

— Evidemment ! C’est pour alimenter mes réseaux sociaux !

Devant la tête que je fais, il explose de rire.

— FINN CARDER ! Je t’interdis de divulguer cette vidéo à qui que ce soit, c’est clair ?

Ma colère ne fait que redoubler son hilarité. Je lui arrache le téléphone des mains pour vérifier sa galerie. Pourtant, quand j’allume l’écran, je sens mon cœur battre plus fort. Son fond d’écran. C’est moi. Avec un grand sourire. Dans mes yeux, on peut lire le bonheur. Il s’agit d’un cliché qu’il a du prendre au début de note fausse relation, mais je ne sais pas quand.

Je dévisage Finn. Sentant mon regard sur lui, il pose ses yeux sur moi. Quand il remarque que j’ai vu son téléphone, ses joues rosissent légèrement.

— Au cas où quelqu’un fouillerait mon téléphone. Il faut quand même que notre relation paraisse réelle.

Je ne cesse pas de le dévisager. À la place, je profite de son air gêné pour déverrouiller le téléphone et ouvrir sa galerie. Là, je supprime la vidéo qu’il a fait de moi. Je n’ai pas le temps de regarder les autres photos qu’il a déjà arraché le téléphone de mes mains.

— Pas touche.

Je souris. Ensuite, j’observe le tableau des scores et mon sourire s’agrandit un peu plus.

— On a gagné ! Je m’exclame en sautant dans les bras de Finn.

Il se raidit face à se contact. Moi-même je ne comprends pas vraiment. Mais… C’est le but du plan, non ? Paraitre gentille et naturelle en même temps. Je le sens se détendre et je décide qu’il s’agit d’une nouvelle victoire.

Mais il se baisse vers mon oreille et me murmure une phrase, son souffle chatouillant la peau de mon cou.

— Si tu continues comme ça, tu vas finir par perdre à ton propre jeu, grenouille.

Ce soir-là, je n’arrive pas à m’endormir. Les mots de Finn tournent en boucle dans ma tête.

___


Voilà pour le chapitre 8 ! Dites-moi ce que vous en pensez !

Je vous rappelle aussi que si ça vous intéresse, je publie également cette histoire sur la plateforme Wattpad sous le pseudo de Lyiis0.

Si vous avez l'application, n'hésitez pas à aller jeter un coup d'oeil, il y a des illustration, des montages photos, des aesthetic, etc, et ça me ferait aussi plaisir !

Bref, j'espère que vous aimez toujours mon histoire. Je ne sais pas encore quand le prochain chapitre va sortir, mais je peux déjà vous dire que nous sommes à la moitié de l'histoire !

Normalement, Our Game comptera 15 chapitres + 1 épilogue. Et si l'envie me prend, j'écrirai peut-être 1 ou 2 bonus.

Saluuut :)

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Chlo Yiis ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0