Temps de l'Avent

5 minutes de lecture

On me demande de reprendre mes chroniques. En réponse à l’expectative générale (mes groupies sont deux, mais laissez-moi l’illusion d’être devenue indispensable à une meilleure marche du monde), j’aurais envie de dire : concentrez-vous sur Noël, l’enchantement des fêtes, les cadeaux, la famille, la communion en Jésus Christ, la venue du Messie, tout ça, au lieu d’encourager chez moi le mauvais esprit. Ne vous crispez pas, mes agneaux.

Des agneaux…

C’est la seule demande que j’ai formulée concernant leur utopie agricole : quitte à vivre dans une ferme, je veux des agneaux. La sœur de Sylvain s’est moquée : élever des ovins dans l’Auxerrois ? Tu n’y connais vraiment rien ! M’en fous, ils mettront ça sur le dos de mes délires de grossesse. Mon fils nouveau-né dans une mangeoire veillé par une ribambelle de petits agneaux tout doux, blancs et frisés. J’ai commandé des moutons au papa Noël, et Joseph ne sait rien me refuser.

Tous les trois, Joseph, Sylvain, même Cécile, le projet les fait triper. Ils vont avoir droit à des formations à la chambre d’agriculture. Outils juridiques, maraîchage et production laitière. Ouahhh ! Ils s’emballent, les thèmes sont cools : utiliser la géobiologie pour protéger son troupeau, mettre en place et entretenir des haies, sécuriser son système fourrager face aux défis bioclimatiques. Mazette !!! Moi, j’ai négocié une période d’essai au garage Citroën du centre d’Auxerre, après mon congé. Je ne veux pas casser l’ambiance alors je me tais, mais j’ai de plus en plus peur.

Quitter ma banlieue.

Tout le monde crie son espoir de quitter la banlieue ! On le désire de tout son cœur quand on y habite. Mais là où je vais, il y a deux cinémas à trente kilomètres, pas de transport en commun, pas de « en-commun » du tout, parce que pas de voisins. J’ai rêvé que je transportais mon immeuble là-bas. Dans mon rêve, il y avait ma maison en dessous, avec Joseph, le bébé, les agneaux et tout… et puis posé par-dessus, mon immeuble avec tous ses habitants. Je n’avais même pas profité de la téléportation pour effectuer un tri, je les avais tous embarqués. Même l'irascible Fogelsong. Même la somptueuse Tina.

La future maison sera bien.

Les proprios sont des agriculteurs qui avaient fait construire trois pavillons, pour quand leurs enfants reprendraient. Mais leurs enfants sont devenus cadres et vivent en banlieue. J’imagine que les jeunes de l'Yonne crient leur espoir de quitter le monde rural. Le vieux couple résigné nous loue le logis et une partie des terres en conversion bio, en attendant de voir si on est repreneurs potentiels ou si on va se casser la gueule. Franchement... Non, rien. J'aurais l'impression de nous porter la poisse.

Le truc, c'est que je n'ai pas la capacité de Joseph à "me projeter". L'agent qui nous a fait visiter notre maison a senti une résistance. "Madame a peut-être du mal à se projeter ?" Tu m'étonnes. Il répétait : « fonctionnelle ». Fonctionnelle, donc. En tout cas, elle ne ressemble pas à une ferme, plutôt à une de ces villas des années 70 que relooke Stéphane Plazza. L’idéal familial de ma mère, en fonctionnel. Sylvain et Cécile ont adopté sa pareille, à quelques dizaines de mètres de chez nous. Joseph a déjà déterminé la place du chien dans la « grande salle ». Korinne, la sœur de Sylvain, leur mentor, lui a mis sa théorie en tête. À la campagne, il faut un chien « de l’extérieur », dressé pour protéger et qui ne doit pas rentrer dans la maison, et un chien « de l’intérieur », compagnon de la famille. Et aussi un chien de chasse, mais là faut pas déconner, j’ai posé mon veto.

Elle chasse, Miss Maggie. Elle fait mentir Renaud.

Parce que dans les rangs des chasseurs
Qui dégomment la tourterelle
Et occasionnellement les Beurs
J’ai jamais vu une femelle

La tourterelle, elle, elle la descend sans état d’âme, elle en fait du pâté. Ne parlons pas des « immigrés ». La théorie du grand remplacement trouve chez elle un terreau fertile. Elle ne donne pas trop envie, Korinne. Ah, elle est nature, ça oui, elle profite de l’air sain et de la bonne nourriture carnée ! Trop à mon goût ! À la couche de merde sous ses bottes, et sous ses ongles, et dans son cuir chevelu, on comprend qu’elle entretient ses défenses immunitaires par une exposition continue aux bactéries exogènes. Mon fils ne l’approchera pas, c’est juré ! Et je ne ferai pas de différence entre mes chiens… Jo peut prévoir une niche à deux places au milieu du salon ! Voilà que je m’énerve encore toute seule.

En ce moment, je rêve beaucoup. Je m’inquiète beaucoup et je rêve beaucoup. C’est peut-être lié. Qui de l’œuf ou la poule ? Est-ce que je rêve pour extérioriser ce que je contiens le jour ? Ou est-ce que je m’inquiète parce que mes rêves débiles multiplient les sujets ? Demandez à votre psychanalyste et rapportez-moi son interprétation.

J’ai eu un rêve érotique. Ne grimpez pas aux rideaux, pas encore, pas avant de connaître les récents développements de ma libido. Dans mon rêve, Joseph tombait amoureux. D’une de ses vaches. Sidonie. Sidonie a de longs cils recourbés. Une queue aguichante battant ses orifices. Dans mon rêve, Jo porte une cagoule et des bracelets de force en cuir. Aux pieds, des santiags. Sinon, rien. Il sangle l’abdomen de Sidonie, s’empare de son anneau nasal, lui fait baisser l’échine. Ainsi soumise, la bovidée (aucune raison de limiter la féminisation au genre humain dans ce cas précis) le suit docilement. Sur un geste de lui, elle s’arrête, repart. Dans mon rêve, il contourne l’animal, lui colle une claque sèche sur les fesses. La croupe frémit. Jo assure sa prise sur la ceinture ventrale. Sidonie a juste la bonne hauteur au garrot… au bassin. Joseph bande les muscles de ses jambes, et l’introduit tout debout. Puis, comme un bûcheron de Highland games écossais, il soulève le quadrupède empalé sur son sexe. Il lui fait subir un véritable rodéo, Sidonie secouée, son inoffensive prunelle affolée, les sabots battant l’air. Zoom sur Jo, ses biceps saillants et huilés, ses paupières fermées. Il envoie sa décharge. Hourras du public. Au moment où je me suis réveillée, Sidonie broutait son ballot de paille, impassible et reconnaissante.

Ce rêve a-t-il à voir avec le fait que je me sens comme une grosse vache ? Ou est-ce de la frustration ? Mon homme n’a plus de temps pour moi, entre son boulot et les soirées consacrées au changement de vie avec le couple Sylvain-Cécile.

Sûr qu’eux ne font pas les mêmes rêves que moi.

Je rumine seule mes pensées.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire carolinemarie78 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0