Episode 10

9 minutes de lecture

L’agitation autour de moi me réveille. Je me fige un instant car je ne reconnais pas l’endroit où je suis. Jim Do apparait dans mon champ de vision et me dis avec un sourire mi sérieux mi moqueur.

- Alors ? C’est l’une des seules journées que nous avons de libre et la seule chose que tu trouves à faire c’est trainer au lit ? Aller debout !

Je secoue la tête pour me remettre les idées en place et je sors du lit. Je suis dans la chambre de l’appartement français à Paris. Et aujourd’hui j’ai toute ma journée pour trouver Mélanie. Je me prépare rapidement et je vais trouver le manager pour l’informer que je pars.

- Tu vas retrouver ta correspondante ? Assure-toi de préserver ton identité, je ne veux pas de scandale.

- Ne vous inquiétez pas, elle n’est pas au courant, et puis elle n’est pas comme ça.

- Ne rentre pas trop tard non plus, demain vous avez une grosse journée.

J’acquiesce mais grimace en même temps. Ce voyage ne va pas être de tout repos visiblement. Je choisi d’être discret donc transports en commun plutôt que taxi. Je choisi ma destination sur le GPS de mon téléphone et je suis ses indications. Après m’être arrêter pour acheter des fleurs j’arrive enfin à l’hôpital, d’après Mélanie c’est ce qu’il se fait en France, chez moi j’aurais plutôt acheté du jus de fruit ou des fruits.

Je ne veux pas avoir à être questionné par quelqu’un parce que je sais que mon français est trop hésitant et j’ai peur qu’ils me mettent à la porte, donc je fais comme si je savais parfaitement où je vais. Je m’arrête pour refaire mon lacet tout en essayant de savoir où je dois aller en regardant sur les panneaux. D’après ma logique elle est hospitalisée depuis un moment, elle n’est plus une enfant donc j’oublie le service pédiatrique.

Alors que j’essaye désespérément de comprendre le panneau je vois un homme se diriger avec assurance vers l’ascenseur. Rien d’anormal jusqu’à présent, sauf que je le connais. Je l’ai déjà vu sur la photo de famille que m’a montré Mélanie. C’est son père ! Je n’arrive pas à croire la chance que j’ai.

Je me redresse et le suis le plus naturellement possible. Je monte derrière lui dans l’ascenseur et pour ne pas éveiller ses soupçons j’appuie sur l’étage juste en dessous de celui sur lequel il a déjà appuyé. Ce n’est pas que je ne veux pas faire leur connaissance, mais comment vais-je expliquer comment j’ai connu leur fille ? « J’ai discuté avec le fantôme de votre fille pendant tout le temps où elle a été dans le coma. » C’est sûr ça ne pourrait que mal se passer. Je préfère attendre avant de les rencontrer.

Je rejoins à pieds l’étage supérieur le plus rapidement possible via les escaliers. J’aperçois le père de Mélanie lorsqu’il tourne dans un couloir. Je me dépêche de rejoindre le croisement pour ne pas le perdre de vue trop longtemps.

Au moment où j’arrive dans le couloir je le vois qui disparaît derrière une porte. Je m’approche tout doucement. Ce doit être la chambre de Mélanie.

J’y suis presque. Je n’ai plus qu’à attendre que sa famille ne sorte pour pouvoir aller la voir.

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Mon père entre dans la chambre. J’étais en grande discussion avec ma mère juste avant et je profite de cette interruption pour leur conseiller de rentrer à la maison.

- Je vais mieux maintenant, ils me gardent ici pour des tests complémentaires mais je vais bien. Rentrez vous reposer au moins aujourd’hui. Vous n’êtes pratiquement pas partie d’ici depuis que je me suis réveillée

- Mon cœur, me dis ma mère en me regardant avec douceur, ne t’inquiètes pas pour nous. Concentre-toi sur ta guérison d’accord ?

Ma mère ne changera pas d’avis aussi facilement. Je me tourne vers mon père en espérant un peu de soutien. Il hoche la tête discrètement avant de prendre la parole.

- Chérie, Mélanie n’a pas tort. Nous pourrions rentrer à la maison et la préparer pour son retour… ici les médecins et les infirmières s’occupent très bien d’elle et cela ne nous empêchera pas de revenir la voir régulièrement. De toute façon je viens d’aller parler à son médecin qui m’a dit qu’elle se remettait très bien. Les résultats des tests sont très encourageants, si cela continue comme ça elle pourrait sortir la semaine prochaine.

Ma mère marque un temps d’arrêt. Puis elle hoche la tête et se lève pour prendre son sac et ses affaires.

- Très bien ma puce, me dit-elle avec un sourire, nous allons te préparer un bon lit douillet a la maison, commence aussi à réfléchir à ce que tu aimerais bien manger comme ça j’irai faire les courses pour te les préparer. Ça te changera des plats de l’hôpital.

J’affiche un grand sourire qui se veut rassurant et les remercie. Mon père se dirige vers la porte pour l’ouvrir et attend que ma mère l’ait franchi pour la refermer, non sans me faire un clin d’œil.

Je me retrouve seule.

Enfin.

Ce n’est pas que leur présence me dérangeait mais j’avais besoin d’être seule pour réfléchir. Des bribes de souvenir me reviennent de plus en plus mais je n’arrive pas encore à tout comprendre. Particulièrement dans la chronologie des évènements. Le dernier rêve que j’ai fais me reviens alors en mémoire. Cette ambiance effrayante et sombre et soudain cette voix si apaisante.

Jun.

Un garçon que je connais, j’en suis sûr, avec qui j’ai partagé beaucoup de chose mais qui ne rentre pas dans les souvenirs que j’ai d’avant l’accident. Or après j’étais dans le coma dans ce lit. Quand est-ce que je l’ai connu ? Plus j’y pense plus j’ai une sensation bizarre.

Mais à part ça il y a autre chose qui occupe mes pensées. Anna. Mes parents ne me l’ont pas clairement dit mais je sais qu’elle ne fait plus partie de ce monde. Ou plus exactement qu’elle n’est plus « visible » dans ce monde. Mais elle est toujours là quelque part, tant que quelqu’un se souviendra d’elle.

Je suis sûr de ça mais je ne sais pas pourquoi j’en suis à ce point certaine. Comme si j’avais vécu des choses mais qu’il n'en restait que des traces en moi. Je me donnais l’impression d’être le disque dur d’un ordinateur que l’on aurait tenté de formater sans vraiment y parvenir.

Anna. Ma frangine, ma jumelle avec qui je partageais tant de choses. La savoir disparue me rend triste. Je sens un vide intérieur, mais je sens une sorte d'apaisement aussi. Une fois de plus je sais qu’elle ne m’en veut pas pour ce qu’il s’est passé. Mais je ne sais pas d’où je tiens ça.

Est-ce ma conscience qui essaye de se rassurer comme elle peut ?

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Je vois son père et sa mère sortir de sa chambre. Je vais pouvoir y aller. Je me lève mais me fige aussitôt. Je lui dis quoi ? Elle ne doit plus se souvenir de moi. Et si elle appelle à l’aide ? Je ne veux pas de problème moi… il ne manquerait plus que ça. Mais après tout ce que j’ai fait pour la retrouver, ce serait stupide de m’arrêter ici.

Je tape doucement sur la porte avant d’entrer. Je referme la porte mais n’avance pas davantage dans la pièce. Elle est là dans son lit, recouverte des draps de l’hôpital. Elle me regarde les sourcils froncés, comme si elle essayait de se rappeler d’où elle me connaissait. Je suis encore en train de réfléchir a ce que je vais lui dire et a comment je vais lui dire, qu’elle me pose la question que je redoutais.

- Excusez-moi mais vous êtes qui ? Vous vous êtes sûrement trompé de chambre… ?

- Non !

Elle hausse les sourcils. Je me rends compte que j’ai répondu trop vite, trop fort. Je reprends plus calmement.

- Non, pardon, je veux dire, non je ne me suis pas trompé de chambre. C’est bien toi, Mélanie, que je suis venu voir.

Elle écarquille les yeux. Je m’attendais à cette réaction mais je ne sais toujours pas quoi dire. Je pivote d'un quart la main sur la poigné de la porte, prêt à partir.

- Non attend ! Ne pars pas !

Je me fige et la regarde surpris. Je ne m’attendais vraiment pas ça.

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Ce garçon… plus je l’observe plus il m’est familier. Je ne sais pas d’où je le connais, c’est un mystère que je compte bien résoudre en lui posant des questions. Mais une chose est sûre, c’était sa voix. C’est sa voix qui m’a rassuré et apaisé lors de cet étrange rêve. Ou cauchemar plutôt. C’est cette voix avec cet accent bien prononcé qui m’avait appelé par mon prénom et qui vient de le refaire. C’est pout ça que je ne veux pas qu’il s’en aille, je compte éclaircir avec lui quelques points et remplir les trous de ma mémoire.

- Ecoute… je ne souviens pas qu’on se soit rencontré mais visiblement tu connais déjà mon prénom… est-ce que tu pourrais me dire le tiens aussi ? Je lui demande, en pensant fort au prénom Jun, qui est venu si naturellement durant le cauchemar.

Je le vois hésitant il a l’air prêt à s’enfuir en courant, il se ravise et s’approche de mon lit d’un pas hésitant. Je l’encourage en l’invitant à s’asseoir sur la chaise à côté de moi. Une fois qu’il est installé je lève un sourcil. Il ne s’est toujours pas présenté !

- Dong Jun. Enfin, Jun. Tu m’appelais Jun.

- D’accord, enchantée Jun. J’ai une question assez délicate à te poser… Dis-je comme si je découvrais son nom, j’avais donc raison…

- Comment je te connais ?

- Oui… c’est que comme tu peux le constater, j’ai vécu un moment assez… compliqué, et il y a des informations qui m’échappent.

- Sur une application il y a environ un mois. Je cherchais quelqu’un pour m’aider à apprendre le français, et toi pour apprendre le coréen.

- Le coréen ? Mais ce n’est pas moi qui voulais apprendre le coréen, c’était Anna…

- Anna… tu t’appelais comme ça au début sur l’application… c’est ta…

- Sœur. Oui c’est ma sœur jumelle. Elle est morte.

- Je sais, je l’ai lu…

- Tu l’as lu ? Où ?

- Eh bien, tu m’avais parlé un jour de la presse française et des faits divers, alors en venant en France, j’ai jeté un œil sur les journaux d’il y a environ un mois et j’ai trouvé un cours article sur un accident de voiture qui aurait fait deux victimes. Anna et toi… C’est comme ça que j’ai su que tu étais hospitalisé ici.

- Montre-le-moi s’il te plait, dis-je d’un ton limite suppliant.

- Tu es sûr ? Il y a une photo… je ne suis pas sûr que dans ton état ce soit une bonne idée…

- Montre je te dis ! Dis-je d’un ton pressé et sans appel.

Il n’hésite pas plus, sort son téléphone et après quelques mouvements sur l’écran, sélectionne l’article en question. La photo d’une voiture défoncée avec du verre, du métal et un pneu en vrac s’étale sur l’appareil au-dessus d’un texte assez court.

Je prends le téléphone et détaille l’image. Une douleur nouvelle et pourtant familière me vrille le crâne faisant sonner les machines autour de moi. Les images, les sons, les odeurs, la peur, le froid, la solitude et la douleur de ce moment tragique vinrent se superposer dans mon esprit pour reformer un souvenir complet.

Je me souviens de tout maintenant. Je sais pourquoi je suis dans ce lit d’hôpital, je sais aussi pourquoi ma sœur manque à l’appel.

La seule chose que j’ignore encore c’est comment j’ai pu rencontrer Jun. Enfin, non. Comment, maintenant je sais. La vraie question c’est quand ?

Avant l’accident, aucun souvenir que je me sois inscrite sur une application pour trouver un correspondant. Ensuite, trou noir et puis maintenant. Autre chose me revient en mémoire. Jun vient de me dire que ça datait d’il y a un mois or d’après la date de l’accident de voiture, au moment où nous nous sommes apparemment rencontrés, j’étais à l’hôpital dans le coma… je n’ai pas le temps d’approfondir ma réflexion. Je suis interrompu par une infirmière alertée par le bruit des machines.

Retrouver mes souvenirs et comprendre tout ça, n’a duré que quelques secondes.

L’infirmière mets Jun dehors le temps de m’ausculter. La douleur dans ma tête diminue déjà. Je la rassure et lui explique ce qu’il vient de se passer, elle part chercher le médecin.

Lorsque la porte de la chambre s’ouvre, je cherche Jun du regard, pour lui faire signe de récupérer son téléphone mais il a disparu.

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