6. MARIA

5 minutes de lecture

— Qu’as-tu derrière la tête ? demande André en courant derrière Maria.

— Tu voulais me trouver une assistante ? C’est elle que je veux !

— T’es sérieuse ?

Maria s’arrête net et se retourne.

— Tu l’as entendue parler de mes romans ?

— Mais c’est une simple libraire, elle n’y connaît rien à l’écriture.

— L’écriture c’est mon domaine, André ! Qu’est-ce que tu cherchais au juste ? Un écrivain fantôme ? lui demande-t-elle, les yeux plissés en deux fentes suspicieuses.

— Bien sûr que non.

— Alors ce sera elle, conclut Maria en se remettant en route.

— Mais que vas-tu faire d’elle ? Elle n’habite même pas Paris !

— Ça tombe bien, tu voulais une bonne raison pour que je reste en Bretagne, n’est-ce pas ?


**


Maria, attablée dans le restaurant de son hôtel décolère enfin. Depuis qu’elle a découvert pourquoi André l’avait emmenée ici, elle est restée silencieuse. Il lui avait promis de ne jamais s’immiscer dans son passé, de ne jamais chercher à le rattraper. Alors, quand elle a compris qu’ils roulaient en direction de Vannes, son sang n’a fait qu’un tour.


« — Où tu m’emmènes André ? lui avait-elle demandé le cœur battant.

— …

— Fais demi-tour tout de suite.

— Détends-toi.

— Me détendre ? André, fais demi-tour immédiatement !

Indifférent aux protestations de Maria, André avait continué de rouler en lui jetant des œillades de temps à autres pour vérifier son degré de mécontentement.

— On s’arrête là, ça te va ? avait dit André en se garant à deux pas de la cathédrale Saint-Pierre.

Les bras croisés, Maria ne lui avait pas répondu. Sans s’en émouvoir, André était venu lui ouvrir la portière et lui avait tendu la main mais, là encore, elle l’avait ignoré, se dégageant de l’habitacle seule, en soufflant. En silence, ils avaient traversé la rue pour entrer dans la cathédrale. Ce qui avait adouci quelque peu Maria. André ne pouvait s’empêcher de rentrer dans une église à chacun de ses déplacements. Là où Nathalie, sa femme, trouvait la sérénité dans l’écho vibrant de son violoncelle, André, lui, la trouvait dans le silence froid des cathédrales. Sur ses talons, Maria l’avait regardé se signer après avoir plongé ses doigts dans l’eau bénite puis il s’approcher de la Vierge Marie. Au pied de la statue, il avait allumé un cierge qu’il avait longuement tenu au creux de ses mains avant de le déposer au milieu des autres. Puis il était allé s’asseoir sur une chaise en bordure d’allée et, les yeux rivés sur l’autel devant lui, il avait conversé avec Dieu. Assise aux côtés de lui, Maria avait contemplé les vitraux, mal à l’aise. Contrairement à son ami, elle ne ressentait ni apaisement, ni sérénité au milieu de ces hauts murs de pierre. Toutes ces statues, ces martyrs, lui renvoyaient l’image malfaisante qu’elle se faisait d’elle-même. Rongée par la culpabilité, elle s’était levée et avait quitté la cathédrale, laissant André prier en paix. Dehors, elle s’était trouvé un banc et, tout en regardant les passants défiler devant elle, les souvenirs de Gabriel l’avaient assaillie. Pourquoi André l’avait-il amenée ici ? Que voulait-il au juste ?

— J’ai loué un gîte sur l’île d’Houat, lui avait-il annoncé en revenant s’asseoir à côté d’elle.

— L’île d’Houat ! T’es sérieux ? Mais pourquoi tu fais ça ?

— Pour que tu écrives…

— Je peux très bien écrire à Paris.

— Je ne crois pas non. On sait tous les deux de quoi tu veux parler dans ton prochain livre et il n’y a qu’ici que tu sauras le faire.

Maria n’avait pas répondu et avait serré les dents pour ravaler le nœud qui s’était formé au creux de sa gorge. Elle ne lui avait pas parlé de ce projet qu’elle ruminait depuis des années mais dont elle n’était jamais encore parvenue à écrire le moindre mot, mais il la connaissait trop bien.

— Tu ne seras en paix que lorsque tu auras livré ton histoire à ta fille. Et, sauf erreur de ma part, c’est sur l’île d’Houat que son histoire commence. »


**


Les yeux rivés sur l’eau qui danse dans la nuit noire à travers la baie vitrée du restaurant, Maria songe à Gabriel. À son regard hésitant, trahissant ses propres mots. À sa peau brûlante de désir, dévoilant la puissance de son amour. C’est en effet sur l’île d’Houat, à deux-cent-cinquante kilomètres de Pontorson que l’histoire de sa fille débute…

Une nuit où deux corps que la morale avait tenu à distance des années durant s’unirent pour la dernière fois.

— Elle arrive…

La voix d’André la tire de ses réflexions. Les yeux rendus brillants par ses vieux souvenirs, Maria regarde la jeune libraire avancer vers eux dans une démarche gracieuse. Son look, à l’opposé du sien évidemment, mais foncièrement féminin dans son excentricité, l’a complètement séduite. Même dans ses jeunes années rebelles, elle aurait été incapable de s’afficher avec autant d’assurance et de sincérité. À bien y repenser, c’est cette qualité que Maria a instantanément saisi d’elle. Ses conseils et cette manière si naturelle d’exposer son ressenti l’ont ensuite particulièrement touchée. Pas seulement parce qu’ils détaillaient avec fidélité ce qu’elle-même pense de ses œuvres mais parce que, pour juger de leur contenu avec autant de justesse, il faut posséder ses propres fêlures. Sa curiosité attisée, Maria espère pouvoir en apprendre davantage sur cette jeune femme.

— Asseyez-vous, je vous en prie.

Maria lui laisse le temps de retirer son manteau et de s’installer puis enchaîne.

— Vous devez vous demander ce que deux vieux de passage à Vannes peuvent bien avoir à vous dire…

La réaction d’André ne se fait pas attendre.

— Deux vieux ? Parle pour toi !

Les yeux de Fanny s’étirent en même temps que son sourire.

— Je m’étonne un peu de cette invitation à dîner en effet.

— Je vous présente André Plumet, mon traître d’ami et accessoirement mon éditeur.

— Et voici l’aimable Maria Clarains, rajoute André sur un ton sarcastique.

— Je vois, rit Fanny pas le moins intimidée. Vous m’avez fait passer un sacré interrogatoire tout à l’heure.

— À dire vrai, j’ai beaucoup aimé la manière dont vous avez décrit mes romans. Et, nous avons une proposition à vous faire.

— Maria va rester quelques temps dans la région pour écrire son prochain livre.

— Et j’aimerais beaucoup, si vous l’acceptez, que vous relisiez mes chapitres au fur et à mesure.

— N’y a t-il pas des correcteurs au sein de votre maison pour s’occuper de cela ?

— Houla, vous ne connaissez pas Maria ! s’exclame André.

— En effet, elle ne me connaît pas, le toise t-elle. Je...n’ai pas pour habitude de confier mes chapitres à qui que ce soit.

— Alors pourquoi moi ?

— Parce que vous avez mis le doigt sur quelque chose que même ce professionnel n’a jamais évoqué.

Vexé, André s’apprête à rétorquer mais Maria stoppe toute tentative d’un geste de la main.

— Ce roman est assez difficile à écrire mais revêt une importance particulière pour moi. J’ai besoin de vous pour mettre en lumière les émotions sous-jacentes.

— Et bien…

— Nous vous proposons un réel travail et vous dédommagerons pour cela, s’empresse d’ajouter André.

— Là n’est pas la question, lui sourit Fanny.

— Prenez le temps de réfléchir. Nous repartons fêter Noël à Paris demain. Retrouvons-nous à mon retour pour discuter toutes les deux. Si le projet ne vous intéresse pas, je vous laisserai tranquille, promis !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rêves de Plume ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0