7. SIXTINE

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Sixtine guette l’heure qui clignote sur le radio-réveil. 5H36

Incapable de fermer l’œil de la nuit, elle n’a cessé de se tourner et se retourner dans son lit, en proie à ses angoisses. Ce matin, à quelques minutes d’affronter ses parents, le malaise qu’elle ressent se trouve renforcé. Pourtant, elle ne veut pas remettre à plus tard cette discussion, reportée déjà trop de fois.

La veille, lorsqu’elle est arrivée, elle n’en a pas eu le courage. Trop tôt. Les yeux pétillants de Sylviane et le sourire complice de Jean-Loup ont fait explosé la boule d’angoisse logée au creux d’elle depuis son départ de Vannes. Elle est venue se blottir dans leurs bras grands ouverts, bienheureuse de retrouver leur chaleur. Même si Vannes n’est qu’à une heure et quelques de Rennes, son travail à la librairie et ses week-ends avec Adam ont pris toute la place dans son quotidien, si bien que les allers et retours se font désormais plus rares. Ses parents ne lui en tiennent évidemment pas rigueur. « On n’élève pas des enfants pour soi, mais pour leur apprendre à voler de leurs propres ailes » les a t-elle toujours entendu répéter.

Sixtine admire ses parents depuis toujours, pour cette tendresse avec laquelle ils regardent le monde. Son enfance auprès d’eux n’a jamais souffert du moindre manque, ce qui, sûrement, l’a amenée à reléguer sa curiosité au fond d’un tiroir. Entourée de leur chaleur et de leur bienveillance, elle n’a jamais osé leur poser la moindre question concernant sa naissance par peur de les blesser, de leur faire croire que leur amour ne lui avait pas suffi. Mais aujourd’hui, plus que jamais, elle veut qu’on lui parle de ses parents, de sa mère surtout.

Le cœur battant, Sixtine descend l’escalier. Des photos d’elle à différents âges tapissent le mur et accompagnent sa descente de fragments de vie, comme autant de cailloux jetés sur le sentier pour retrouver là d’où l’on vient. Ce cadre ci la représente la bouche en cœur en train de souffler des bulles de savon, celui-là, le bras enroulé autour de leur chien Titan, l’autre là-bas, les yeux pétillants devant son gâteau d’anniversaire. Chaque cliché, témoin d’une enfance merveilleuse, semble la mettre en garde contre ce qu’elle s’apprête à formuler. La vérité en vaut-elle la peine ?

Sixtine s’approche timidement. La mélodie que fredonne Sylviane, les mains enfouies dans la farine, accroît son sentiment de culpabilité. A-t-elle le droit de tout gâcher maintenant ? Et pourquoi au fond ?

— Bien dormi ma chérie ?

— Pas trop.

Sylviane délaisse sa pâte et s’approche de sa fille en s’essuyant les mains dans un torchon.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? lui demande-t-elle en s’asseyant à ses côtés.

Sixtine se dérobe. Pour gagner un peu de temps.

— Avec Adam, c’est fini.

— Fini ? Mais je croyais que...

— C’est compliqué.

— Tu veux en parler ?

Reculer ne fera qu’accroître ses craintes. Elle a déjà sacrifié Adam, elle ne peut plus reculer.

— Il allait me demander en mariage...

Sylviane ouvre des yeux tout ronds.

— Tu n’es pas sûre de tes sentiments pour lui ?

— Tu vas me trouver bizarre mais son amour m’angoisse. C’est trop !

— Trop ?

— Je t’ai dit, c’est compliqué. Dans un sens je ne cesse de lui réclamer ce « trop » d’amour, et d’un autre côté, ça me fait peur.

— Qu’est-ce qui t’effraie au juste ?

— Qu’il parte…

— Je vois. Donc tu préfères rompre avant que ce ne soit lui qui ne le fasse.

Sixtine fait la grimace.

— Vu comme ça...

— Mais pourquoi te quitterait-il ?

— Je ne sais pas.

Sylviane lui sourit tendrement. Sixtine sait que sa mère a compris ce qui la taraudait. Elle s’est toujours arrangée pour quitter ses petits copains avant que leur relation ne devienne sérieuse. Hormis ses parents, à qui elle doit tout, elle n’a jamais laissée les gens s’approcher trop près de son cœur.

— Ça n’a rien à voir avec vous, se défend-elle. Vous avez été des parents merveilleux mais…

— … mais tu as besoin de savoir qui sont tes vrais parents.

Sixtine se pince les lèvres pour les empêcher de trembler.

— Je me demandais quand tu oserais m’en parler, ajoute Sylviane. Avec ton père, on savait que ça arriverait tôt ou tard.

— J’aurais voulu ne jamais avoir cette discussion mais je ne pense qu’à ça depuis un certain temps. Je suis vraiment désolée Mamou, parvient-elle à articuler malgré les sanglots qui pèsent sur sa voix.

— C’est normal de vouloir savoir. Malheureusement, je ne sais rien de tes parents biologiques. Nous t’avons cueilli, comme nous l’aurions fait si c’était bel et bien moi qui t’avais mis au monde : vierge de tout passé. Dès que nous t’avons vue, l’évidence d’être tes parents nous a submergé. Rien ne comptait hormis cet amour qui débordait de nous.

— Je comprends, souffla Sixtine en tentant de masquer sa déception.

— Néanmoins, il y a une personne à qui je peux t’adresser.

Le cœur de Sixtine se regonfla d’espoir.

— Qui ?

— Le jour où nous t’avons adoptée, une femme s’est présentée. Elle nous a demandé la permission de te dire Au Revoir. Elle t’a prise dans ses bras et fredonné une berceuse en italien. Tu la considérais d’un air si contemplatif pour ton si jeune âge ! Lorsqu’elle a tendu les bras pour te replacer dans les miens, elle nous a remercié. « Grazie Mille. Prenez bien soin de cette merveille. » Je l’ai regardée partir, le dos voûté et mon cœur s’est serré. Je t’ai observée ensuite, si minuscule au creux de mes bras, ne comprenant pas ce qui se jouait pour toi, et je t’ai imaginée bien des années plus tard, en proie aux questions que tu te poses aujourd’hui. Je ne pouvais pas t’arracher à ton passé sans t’offrir la possibilité de connaître un bout de ton histoire.

« — Mi scusi. Plus tard, si elle en fait la demande, pourra-t-elle venir vous trouver ? Lui ai-je demandé.

Si ! Mima sera toujours là pour elle. »

Les paroles de Mamou tourbillonnent dans l’esprit de Sixtine. Qui est Mima ? Une parente ? Sa grand-mère ? Les questions fusent mais une chose est sûre : cette Mima l’attend depuis sa naissance. Elle seule pourra répondre à ses interrogations. Sixtine se fait violence pour ne pas sauter dans sa voiture et parcourir les kilomètres qui la séparent de son passé. Mais demain, c’est le réveillon de Noël et elle tient à le passer avec sa famille.

Avec un pincement au cœur, elle pense également à Adam et le revoit, les yeux écarquillés de surprise en apprenant qu’elle le quitte. Rompre à deux jours du réveillon n’était pas ce qu’il y a de plus glorieux. Pourtant, Adam a réussi à dissimuler sa douleur sous un masque de compréhension lorsque Sixtine lui a avoué que son passé la taraudait et l’empêchait de se projeter. Ce matin, il lui a même envoyé un message auquel elle n’a pas répondu : « J’espère que tu trouveras ce que tu es partie chercher. Appelle si besoin. »

Sixtine s’allonge sur le lit et fixe le plafond en sondant ses sentiments. N’aurait-elle pas pu agir autrement au lieu de tirer un trait sur son histoire avec Adam ? Il s’était confondu en excuses et avait proposé d’oublier cette demande. N’aurait-il pas été plus sage de se blottir dans les bras qu’il lui tendait et de l’inviter dans ses démarches ? Et si, quand tout était fini, Adam ne lui offrait plus cette protection qu’elle lui a refusé ?

Sixtine continue de puiser à l’intérieur d’elle-même pour trouver une réponse à chacun de ses doutes. Pourtant, elle ne ressent pas de manque, pas d’appréhension. Rien ne compte plus que cette flamme que Mamou a attisé en lui parlant de Mima.

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