8. FANNY

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— Salut Six’, alors comment ça va ?

— J’ai discuté avec Mamou, elle m’a parlé d’une Mima qui semble me connaitre.

— Qui est-ce ?

— Aucune idée. Mamou ne sait rien de plus. Cette femme est juste venue me dire Au Revoir le jour de mon adoption.

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Je vais aller à Pontorson.

— Tu crois qu’elle vit toujours là-bas ? Et si oui, comment tu vas faire pour la retrouver ?

— Je ne sais pas…

— Tu vas y arriver. Tu n’auras qu’à suivre ton instinct. Et des « Mima » il ne doit pas y en avoir des masses dans ce bled !

— C’est sûr. Et toi ?

— Il m’est arrivé un truc de dingue !

— Raconte.

— Maria Clarains est venue à la librairie avec son éditeur.

— C’est pas vrai !

— J’te jure et j’ai dîné avec eux hier soir.

— Tu me balades ?

— Pas du tout ! Et c’est pas tout ! Maria m’a proposé de lire les chapitres de son prochain roman.

— Wow ! C’est génial.

— Ouais, enfin je ne réalise pas trop. C’est chelou non ?

— Qu’est-ce qui est chelou ?

— Qu’ils viennent dans ma librairie et me proposent un « job ». À moi.

— Ils ont dû flairer la décortiqueuse d’émotions en toi.

— Tu crois pas si bien dire. Ils m’ont questionné l’air de rien sur ses romans.

— Et ?

— Bah tu me connais, j’ai dit ce que je pensais. Et je crois que je l’ai bien cernée et qu’elle a kiffé.

— Je trouve ça génial. Tu commences quand ?

— Elle revient après Noël…

— OK. À ce propos, t’as répondu à ta mère ?

— Bien sûr que non !

— Ça me rend triste que tu passes Noël toute seule…

— Je préfère mille fois être seule qu’aux côtés de ma mère.

— Viens chez nous.

— C’est sympa mais non, profite de tes parents avant ton grand départ pour Pontorson. Ça va aller, je t’assure ! Je vais prendre un bain et je vais bouquiner. Ça sera un Noël parfait !

— Bon, comme tu veux. On se rappelle ?

— Ça marche. Joyeux Noël Six’ !

— Joyeux Noël ma Fanny !

**

La journée s’achève. Les derniers paquets qu’elle vient d’emballer trouveront leur place au pied du sapin et des personnes seront heureuses de se plonger dans ces fictions qui mettent du baume au cœur et soulagent parfois les blessures qu’il renferme. C’est ce pouvoir de la littérature que Fanny aime par-dessus tout. Elle n’aurait jamais pu envisager un autre métier que celui dans lequel elle évolue. Elle n’a pas menti à Sixtine. Il lui tarde de monter, de se prélasser dans un bain tout chaud avec un bon roman entre les mains. Elle aura toute la nuit et le lendemain pour s’adonner à sa passion en toute tranquillité.

Fanny s’apprête à éteindre les lumières lorsque la cloche de l’entrée résonne dans la boutique.

— Adam ?

— Oh Fanny, désolé mais avant que tu fermes, j’ai besoin d’un bouquin.

— OK. T’as une idée de ce que tu veux ?

— Bof. Un polar.

— C’est pour offrir ?

— Non, c’est pour moi.

Fanny le dévisage. Il a l’air crevé. Lui, qui d’habitude traîne sa joie de vivre partout… La décision de Sixtine a dû lui foutre un sacré coup.

— Tu fêtes Noël en famille ?

— Non. Je me voyais mal débarquer chez mes parents pour leur annoncer que Sixtine m’avait plaqué.

— Je comprends. Comment tu te sens ?

— Je n’ai rien vu venir. Je m’apprêtais à…

Fanny baisse les yeux d’un air entendu.

— J’ai sans doute précipité les choses.

— Tu n’y es pour rien Adam. Elle tient énormément à toi, tu es la plus longue relation qu’elle ait jamais eue. Ce n’est pas rien.

— Je sais pas. Je t’avoue que je suis largué. Sans mauvais jeu de mots.

— Sixtine a beaucoup de choses à régler avec elle-même. Elle va revenir.

— Si tu le dis. Bon, je ne vais pas te faire perdre ton temps plus longtemps. Tu dois sûrement te préparer pour le réveillon.

— Ah ! Non ! Noël, les fêtes de famille, tout ça c’est pas pour moi. Non, je vais rester en tête à tête avec un bon bouquin.

— Bah on sera deux alors.

Adam lui adresse un sourire un peu forcé.

— Gabriel Paulsen, tu connais ?

— Non.

— Alors tiens, voilà le premier tome : « l’illusionniste ». De quoi penser à autre chose qu’à Sixtine, Noël et tout ce qui va avec.

— Je te remercie. Combien je te dois ?

— Rien. C’est cadeau.

— Merci Fanny. Et...joyeux « pas Noël » alors.

Fanny éclate d’un rire cristallin.

— Joyeux « pas Noël » à toi aussi.

Dans un dernier salut, Adam quitte le comptoir et se dirige vers la porte, le dos voûté. Fanny ne l’a jamais vu aussi accablé.

— Hey Adam ? Si tu veux, on peut fêter le « pas Noël » ensemble.

**

Une pointe de culpabilité vient se loger au creux du cœur de Fanny. Pourquoi a-t-elle invité Adam à monter ? Elle pense à Sixtine…. À Fred et Marie et se sent coupable. Elle ne fait pourtant rien de mal. Sixtine approuverait sûrement d’ailleurs, elle qui se sent si lâche d’avoir plaqué Adam juste avant le réveillon. Fanny décide de chasser ses pensées et de profiter du moment pour essayer de remonter le moral d’Adam.

— Qu’est-ce que je te sers à boire ? J’ai de la bière, du vin, du champagne aussi…

— Une bière ça ira.

— Une follette, ça te va ?

— Parfait.

Fanny tend sa bière à Adam et débarrasse la table basse des livres qui l’encombrent.

— Dis donc, il y en a presque autant ici qu’en bas.

— J’avoue, rit-elle.

— Au moins tu vis de ta passion.

— C’est vrai, je me faisais d’ailleurs la remarque que je n’aurais pu espérer mieux.

— Et la solitude, ça ne te pèse pas trop ?

Le sourire de Fanny s’évanouit.

— Tu sais, je crois qu’il y a des gens qui ne sont pas faits pour être en couple ou avoir une famille.

— C’est triste ce que tu dis.

— Tu crois ? J’ai l’impression moi de vivre dans une société où avoir un mari, des enfants et un chien est le modèle idéal et que tout le monde s’acharne à réaliser ce projet. Coûte que coûte.

— Je ne sais pas si c’est la société qui nous dicte cette image idéale. Peut-être qu’au contraire, on n’est pas faits pour vivre seul.

— Je vis seule et je m’en porte très bien.

— Tu as l’air oui, sourit Adam avant de porter sa bière à ses lèvres. Mais du coup tu ne te projettes pas du tout avec des enfants ?

Fanny prend le temps de la réflexion.

— Non. Tu sais, ma relation avec ma mère est compliquée. Je ne semble pas correspondre à l’image qu’elle se faisait de moi. J’en ai beaucoup souffert. Je ne veux pas reproduire la même chose. Il faut penser au bien-être des enfants avant d’en faire. Parce qu’ils n’ont pas demandé à être sur cette Terre.

— Je comprends. C’est sans doute ce que pense Sixtine également.

— C’est surtout très difficile pour elle de se projeter. Même si elle a grandi auprès de gens extras… Ne pas savoir d’où elle vient lui pèse.

— Tu as raison ! Je ne me suis même pas posé la question. J’ai été maladroit et égoïste aussi. Mais je l’aime, tu sais ? Et je pourrais renoncer au mariage et aux enfants si elle me le demandait.

— Ne dis pas de bêtises. Laissez-vous un peu de temps.

Adam ne relève pas et s’empare du bouquin que Fanny lui a offert. Il en parcourt rapidement la quatrième de couverture et ouvre la première page avant de se raviser. Par politesse ? Conformité ?

— Lis le premier chapitre, tu me diras ce que t’en penses.

Adam la regarde, à la fois étonné et enthousiaste.

— Maintenant ?

— Pourquoi pas ? On a dit qu’on fêtait « pas Noël », si on a envie de lire, qui va nous en empêcher ?

— T’es une sacrée nana, toi !

Fanny rougit. Ça fait bien longtemps qu’elle n’a pas entendu ça !

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