Chapitre 6
- Hector ?
La voix était lointaine, recouverte par un signal continu qui me vrillait les tympans. Ma tête tournait. J'ouvrai lentement les paupières, la silhouette penchée au-dessus de moi était floue mais je distinguai de longs cheveux. Rave ? Ma vision se précisa.
- Hector ! Tu m'entends ?
Olympe me secouait vigoureusement. Je tentai de me redresser, elle m'aida en soutenant l'un de mes bras.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- T'es tombé dans les pommes.
Je fronçai les sourcils et tentai de me rappeler. Le carnet, Rave.
- Je vais te faire à manger.
- J'ai pas faim. Sers-moi plutôt un..
- ...un verre de rhum, de whisky ? Tu crois vraiment que ça va te faire du bien ?
Je serrai les dents. Qu'est-ce que ça pouvait lui foutre ? C'était pas ma mère !
Elle me laissa là, le cul à moitié par terre et tandis que je me redressai pour récupérer cette foutue bouteille, un nouveau vertige m'en dissuada. Je m'affalai dans mon fauteuil dans un soupir et scrutai l'horloge qui, une fois de plus, me narguait. Je songeai qu'il me faudrait en acheter une autre, sans trotteuse.
Olympe revint quelques minutes plus tard, une assiette dans les mains.
- J't'ai dit que j'avais pas faim !
- Et ben mange pas !
Sa réponse me laissa bouche bée. Je la vis poser l'assiette sur la table basse et attraper la bouteille de whisky qui trônait sur le meuble avant de se rapprocher de moi et de me la tendre.
- T'as pas besoin de verre ?
Sa question ressemblait plus à une affirmation.
- Je vais faire un tour ! A plus !
La porte claqua. Je me retrouvai comme un con, une bouteille à la main et des papillons qui tournoyaient autour de ma tête. Putain, j'étais pathétique. Je ne valais pas mieux que tous ces gens que je ne connaissais pas et que j'avais haï toutes ces années. La seule différence, c'est que moi j'avais pas de gosse à qui montrer mes faiblesses. Sauf aujourd'hui.
Je pensai à mes parents. A ma mère qui avait toujours été douce et patiente avec moi, à mon père qui m'aimait sûrement sans que je le voie. Je n'avais jamais manqué de rien, j'avais juste été égoïste à vouloir tout garder pour moi. « Demande toi plutôt ce que tu pourrais perdre. » Les paroles de ma mère tournaient en boucle dans ma tête. Peut-être que je comprenais ce qu'elle voulait dire en fin de compte.
Mon ventre gargouilla. J'avisai l'assiette. Olympe s'était encore bien démerdée. Une omelette aux oignons et au gruyère. Elle avait même déposé quelques brins de ciboulette sur le dessus. Je souris malgré moi et avalai mon repas en deux bouchées.
J'avais été dur avec la gamine. Elle s'était comportée en adulte, tandis que moi j'étais toujours ce gamin paumé et furieux contre tout et tout le monde.
Où est-ce qu'elle pouvait être partie ? Est-ce qu'il valait mieux attendre qu'elle revienne ou bien partir à sa recherche ? Je décidai de lui faire confiance, elle reviendrait lorsqu'elle le sentirait.
J'allumai l'ordi et consultai mes mails. Rien de bien glorieux. Les annonces ne proposaient que des mi-temps ou des emplois saisonniers. Des boulots, j'en avais fait : DJ à mes tous débuts pour me faire un peu d'argent de poche, j'étais ensuite parti dans le bâtiment et avais travaillé comme plaquiste avec un ami de mon père, j'avais ensuite eu l'opportunité de travailler chez un cuisiniste pour finalement changer de voie et devenir agent immobilier. Mais rien ne me convenait. J'avais démissionné à chaque fois. Comment savoir ce qu'on veut faire quand on cherche encore qui on est ?
Mon dernier job en date : agent de sécu. De nuit. Un job parfait pour lutter contre mes insomnies. Mais manque de bol ou ironie du sort, je m'étais endormi devant les écrans de surveillance. J'avais loupé ma dernière ronde, celle pendant laquelle le matos que je devais garder à l'œil avait été volé. La bouteille de scotch retrouvé dans mon casier n'avait pas plaidé en ma faveur. J'avais été viré.
Je regardai l'heure. Olympe était partie depuis une heure et demie et elle n'était toujours pas rentrée. Tic-Tac, Tic, Tic, Tic-Tac... Horloger ! Peut-être que j'aurais dû être horloger.
La gamine rentra finalement en milieu d'après-midi. Je l'imaginais me jeter un regard dur ou, à défaut m'ignorer, au lieu de ça, elle m'adressa un faible sourire.
- T'as mangé ? me demanda t-elle.
- Oui....merci.
- C'est bien. T'as meilleure mine !
- T'étais passée où ?
Elle s'installa dans le canapé en face de moi.
- A l'église.
- A l'église ? Pour quoi faire ?
Elle releva la tête et planta ses yeux dans les miens de la même façon qu'elle l'avait fait la fois où je lui avais demandé si elle avait un père. Un de ces regards qui font vous sentir idiot d'avoir posé la question. Elle répondit tout de même.
- Prier.
Je ne savais pas quoi ajouter. L'église et moi ça avait toujours fait deux. J'y allais tous les dimanches quand j'étais gosse, contraint et forcé d'accompagner ma mère. Je me rappelle que j'étais là, une fois assis, une fois debout – je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi on ne pouvait pas simplement rester assis – à entendre le curé prêcher plus qu'à l'écouter. Je ne saisissais pas le sens de ce qu'il racontait, trop occupé à compter les minutes qu'il restait avant la fin de la messe. C'est marrant comme les dimanches matins, l'horloge pouvait suspendre sa course effrénée.
Si j'avais été baptisé et fait ma communion, je ne me considérais pas moins athée. Je ne croyais pas en un être suprême qui veillait sur nos vies. Pourquoi sinon, y avait-il autant de souffrances et d'injustice ?
- T'y crois vraiment ?
J'avais pensé à voix haute. Elle me considéra un instant avant de répondre.
- J'ai besoin d'y croire. De savoir que je peux partager mes angoisses.
- Avec quelqu'un qui ne te répond pas ?
Toujours ce regard. Toujours ce sentiment d'être un idiot.
- Les réponses à nos questions sont en nous.
J'étais complètement largué. Elle ressemblait à ma mère avec ses phrases énigmatiques. Elle ressemblait aussi à Rave. Je levai les yeux au ciel, je n'avais jamais rien compris aux femmes et ça resterait ainsi.
Le silence retomba quelques instants avant que la sonnerie de mon portable ne nous surprenne. C'était ma mère. Elle m'avait envoyé un message le matin pour m'informer que l'opération de mon père s'était bien passée, sans doute me prévenait-elle qu'ils rentraient.
Des sanglots étouffés recouvrirent la voix de ma mère que je ne reconnus pas.
- Maman ?
- Oh Hector !
- Maman, qu'est-ce qu'il y a ?
- Ton...père...il...
Mon corps comprit plus vite que mon esprit. Tandis que les mots cherchaient le chemin de mon cerveau, mon estomac lui se contracta et une lame acérée me perfora le cœur.
- Qu'est ce qui s'est passé ? Tu m'as dit que c'était bon !
Les trois lettres que prononça ma mère affluèrent aussi vite qu'une balle. Trois putains de lettres qui avaient touché mon père une première fois et l'avaient tué cette fois.
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