Chapitre 11

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Je lorgnai le carnet. Je revoyais Olympe quelques instants plus tôt, son regard perçant posé sur moi comme pour me sonder. Elle avait fait exprès de le laisser à ma portée. Qu'est-ce qu'elle pouvait m'agacer parfois !

Je n'avais pas la moindre envie de me replonger dans ce passé qui me torturait. Pourtant, j'attrapai l'objet et passai mes doigts sur le cuir usé. Le visage de Rave m'apparut aussitôt. Elle n'était pas l'une de ces filles sur qui tous les garçons se retournaient. Elle était grande, sans formes avec de longs cheveux qui lui grignotaient la moitié du visage. Mais elle était la seule que je connaisse à posséder une telle aura. Lorsqu'elle lisait, elle avait toujours au coin des lèvres, ce petit sourire qui hésitait entre la tristesse et l'allégresse. Elle paraissait si inaccessible, plongée dans un univers parallèle, indifférente au reste du monde. J'aimais le calme et la discrétion qui se dégageaient d'elle et je l'admirais d'être capable de rester sereine en dépit des épreuves auxquelles avaient dû être confrontée. Elle était l'exact opposé de tous ces gamins qui l'avaient précédée. C'était ce que je me disais chaque fois qu'elle posait le regard sur moi. Elle n'était pas envieuse, ne me considérait pas injustement comme le mec qui avait eu la chance de naitre dans une famille équilibrée et aimante. Il n'y avait jamais de jugement dans sa façon de m'observer. Juste de la douceur. J'adorais voir son visage s'animer au fur et à mesure que j'apprenais à la connaître. Elle était si expressive. C'était une palette d'émotions à elle seule qui colorait mes journées de teintes plus douces.

Le cœur serré, je tournai la couverture du carnet pour déchiffrer les premiers mots que mon amie avait écrits.

« La vie est ce qu'elle est mais l'important est d'avoir toujours un rêve auquel s'accrocher. »

Je la revoyais, penchée sur son cahier, un mélange de joie et de mélancolie maquillant son sourire.
Je passai à la page suivante.

« D'aussi loin que se souvienne Véra, le monde n'était que le reflet d'un chaos qui enflait à mesure qu'elle grandissait. Elle avançait chaque jour à travers une brume si opaque et puissante qu'elle la sentait onduler sur sa peau à la recherche d'un creux à l'intérieur duquel s'infiltrer. Mais Véra tenait bon et, s'efforçait de lutter contre les ombres griffues qui se découpaient dans le froid mordant. Munie d'un long bâton sur lequel elle s'appuyait, elle marchait à travers les débris de sa vie et les éclats de désespoir qui jalonnaient son parcours. Sur ce sceptre de fortune, compagnon de son infortune, trônait une boule de verre à l'intérieur de laquelle était enfoui son rêve le plus cher. C'était pour exaucer ce songe qu'elle cheminait avec autant de persévérance. »

Je levai la tête un instant pour reprendre mon souffle. Je ne m'étais pas attendu à un tel registre. Pourtant je reconnaissais bien là, l'âme de mon amie.

Je voulus reprendre ma lecture mais déjà Olympe revenait, le visage fermé, tentant de lutter contre des larmes que je devinais. Je la regardai prendre place à mes côtés et boucler sa ceinture en silence. J'aurais voulu lui tendre la main, l'écouter libérer cette douleur qui lui comprimait le cœur mais je savais pertinemment que ce dont elle avait le plus besoin c'était d'une présence silencieuse.

  • On rentre ? demandai-je.

Elle acquiesça. Je redémarrai et quittai l'hôpital. Une fois les grands axes quittés, j'empruntai un chemin étroit au milieu duquel je m'arrêtai. Je sentis le regard surpris d'Oly me braquer. Je l'ignorai, détachai ma ceinture et ouvris la portière. Après avoir fait le tour de la voiture, j'ouvris celle d'Olympe et lui lançai :

  • Prends ma place, je vais t'apprendre à conduire.

Elle me regarda un instant, perplexe, puis obéit. Installée derrière le volant, elle boucla sa ceinture et se tourna vers moi, prête à écouter mes consignes.

  • Première chose : vérifie que t'es bien au point mort avant de démarrer.

J'accompagnai ma phrase d'un mouvement vers le pommeau de vitesse.

  • Ensuite tu démarres, t'appuies sur la pédale d'embrayage à gauche, t'enclenches la première et t'accélères doucement en lâchant l'embrayage.

La voiture cala.

  • Pas grave ! Le point de patinage est haut sur cette bagnole, faut s'habituer. Réessaye. Dou-cement.

Très scolaire, Olympe redémarra, enclencha la première et lâcha doucement l'embrayage en même temps qu'elle accélérait. Cette fois-ci, la voiture avança. La gamine, me regarda, un mélange de surprise et d'excitation sur le visage. J'étais content de la voir se détendre.

Après plusieurs essais, je repris le volant et nous rentrâmes. La peine avait quitté le regard d'Olympe qui sourit en me remerciant de cette leçon de conduite improvisée. En passant la porte, nous découvrîmes ma mère, attablée seule en cuisine. Nous nous figeâmes, laissant les marques de joie s'évanouir dans la réalité.

  • J'avais envie d'être un peu seule, j'ai dit à Martha qu'elle pouvait rentrer, me dit-elle, stoppant l'élan de colère que je sentais monter en moi. C'était une belle cérémonie non ?
  • Oui, dis-je en m'asseyant à ses côtés.

Olympe resta debout, discrète mais concernée.

  • C'était très beau ce que tu as dit Olympe. Merci infiniment.
  • De rien.
  • Bon, déclara t-elle, je vous prépare quelque chose à manger ?

Je croisai le regard d'Oly et nos yeux se sourirent.

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