Chapitre 14

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La gamine n'insista pas et quitta l'atelier. C'était une gosse intelligente, elle semblait comprendre ce que les autres ressentaient et, ce dont ils avaient besoin. J'aurais préféré qu'elle me casse la tête avec des questions emmerdantes, qu'elle me pousse à bout jusqu'à m'en faire perdre les pédales. J'aurais eu alors, toutes les bonnes raisons de laisser libre cours à cette colère que je sentais enfler en moi. Mais non, cette gamine là ne faisait pas plus de bruit que le frémissement d'une étoffe en velours. Elle parlait peu, préférant sans nul doute la compagnie silencieuse de son foutu bon Dieu. Elle avait peut-être raison en fin de compte. Les êtres ici bas n'étaient pas fiables. Moi le premier. Je n'aurais jamais dû m'intéresser à elle. Lui dire qu'elle pouvait compter sur moi. Lui faire croire qu'elle n'était pas seule.

Je repensais à Rave, à ces mêmes promesses que j'avais scellées de baisers. A cette dispute qui avait éclaté quelques heures à peine avant que la vie, ignoble et cruelle, ne nous sépare pour toujours, ne me laissant pour regrets, que des larmes de culpabilité noyées dans un brasier.

En entrant dans la cuisine, je vis Olympe, occupée à préparer le repas avec ma mère. Elle rinçait soigneusement les feuilles de salade tandis que Maman sortait une quiche du four. Sans rien dire, j'ouvris le tiroir pour en sortir des fourchettes et des couteaux, les laissant s'entrechoquer sous mes doigts dans un son métallique aussi grinçant que le mouvement de mes dents sous mes mâchoires serrées. Mon humeur eut raison de la complicité qui semblait s'être tissée entre nous trois car ni ma mère, ni Olympe n'ouvrirent la bouche durant le repas. Le silence avait de nouveau envahi la cuisine à l'intérieur de laquelle ne résonnaient que le bruit de nos couverts.
C'est finalement moi qui rompis cette atmosphère lourde et pesante.

  • Je rentre chez moi cet aprem. Ça ira ?

Mes paroles étaient inattendues et sans doute un peu brutales mais j'étais incapable d'y mettre les formes. Olympe et ma mère échangèrent un regard avant que celle-ci ne me réponde :

  • Oui, ça ira.

Je sentais le regard de la gamine peser sur moi. Je levai les yeux vers elle.

  • J'ai...des trucs à faire, rajoutai-je en soutenant son regard, comme pour justifier ma décision.
  • D'accord mon grand, répondit ma mère, sans rien laisser paraître des doutes qu'elle avait quant à mon honnêteté. C'est déjà gentil d'être resté ici quelques jours.

Oly continuait de me fixer de ses grands yeux bleus. Je n'aurais su dire si elle était déçue, en colère ou simplement indifférente. Putain, mais pourquoi elle me regardait comme ça ? Qu'est-ce qu'elle attendait de moi ?

Je me levai brusquement, agacé par son attitude aussi mystérieuse qu'insupportable et montai dans ma chambre récupérer mon sac de voyage. Lorsque je redescendis, Olympe n'était plus là. Ma mère venait de terminer la vaisselle. Je ne savais pas trop quoi lui dire. Au revoir ?   

Ma mère s'avança.

  • Merci d'avoir été là, près de moi.

Elle s'approcha encore un peu et me serra dans ses bras.

  • Allez, va ! rajouta t-elle, son éternel sourire triste sur les lèvres.

Je ne me fis pas prier, impatient de quitter cette maison avant que la culpabilité ne m'assaille de nouveau.


**


En ouvrant la porte de chez moi, le soulagement m'envahit. J'allais pouvoir oublier un peu la gamine et les sentiments qu'elle avait ressuscités en moi.

La première chose que je fis, fut de me servir un verre de whisky. Je n'avais rien bu depuis vendredi dernier. Ça ne m'avait pas spécialement manqué. Je n'étais pas le genre de mec qui avait besoin de boire au saut du lit. Mais sentir l'alcool m'enivrer m'apportait un réconfort sans égal. J'aimais l'arôme qui envahissait mes narines sitôt que j'approchais le nez du verre et qui me promettait cette chaleur intérieure si particulière. J'aimais cette sensation vertigineuse qui s'emparait de moi après quelques verres : l'impression de n'être plus tout à fait dans la réalité et de marcher en équilibre sur le rebord d'un précipice avec le risque de tomber, à tout moment, au fond d'un trou noir.

Je m'installai dans mon fauteuil et fermai les yeux tandis que je portais le verre à mes lèvres. Des effluves de chocolat et de caramel s'en dégageaient. Je respirai profondément cette odeur qui affolait mes papilles puis trempa mes lèvres dans le liquide. Le feu enflamma aussitôt mon œsophage et grisa mon esprit.

Je savais déjà que je me servirai d'autres verres. C'était la condition tacite passée entre cette bouteille et moi pour être sûr d'oublier, le temps d'une longue nuit débutée en milieu d'après-midi, les raisons de ma pitoyable existence.

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