Chapitre 5
- Tu es certaine que c'est ce que tu veux ? me demanda Marianne.
- Oui, j'y ai pensé toute la nuit, pesé le pour et le contre, envisagé les conséquences de ce choix mais je suis sûre de moi. Je veux le faire pour ma mère, pour Hector et...pour moi.
Marianne n'ajouta rien, se contentant de me considérer, l'air grave. J'étais consciente que ce choix n'engageait pas que moi et j'avais besoin de son approbation et plus que tout, de son soutien.
Ses yeux me fixaient mais son regard était voilé par je ne sais quel regret.
- Dans ce cas, je m'en charge.
- Marianne, je...
Elle reposa des yeux doux sur moi et se para de son triste sourire.
C'est à moi de le faire. Laisse- moi juste seule à ce moment là.
**
L'anxiété me gagnait. Non pas que je craigne ce qui m'attendait, mais que ce choix fasse plus de mal que de bien pour les gens autour de moi. J'avais promis à Marianne de la laisser seule, aussi m'étais-je éclipsée.
J'avais promis de la laisser seule. Pas de ne pas écouter.
Un espace entre le mur et l'allée d'hortensias me permit de me glisser derrière les fleurs, juste en-dessous de la fenêtre de la cuisine que Marianne avait laissé ouverte. Ma position était plus qu'inconfortable mais, de là où j'étais, je pourrais suivre le fil de la discussion.
Les graviers crissèrent et je me ratatinai un peu plus encore pour ne pas être vue. Le moteur se tut et la portière claqua. Mon cœur, lui, s'emballa. J'attendis quelques instants que ma respiration ralentisse, le temps pour Hector de rejoindre Marianne dans la maison.
- Salut M'man.
- Bonjour mon grand. Comment tu vas ?
J'entendis les pieds de chaise racler le carrelage.
- Ça va. J'ai p't'être trouvé un job, je passe l'entretien demain.
- Oh ! Bien ! Un job pour... ?
- Pour être menuisier.
Le silence qui suivit me troubla. Je craignis un instant que Marianne ait refermé la fenêtre. Mais la voix d'Hector me rassura.
- Tu voulais me parler ?
- Euh, oui. Oui. Tu veux un thé ?
Un bruit de tasses qui s'entrechoquent et l'eau de la théière qui coule laissèrent un peu de répit à Marianne avant de poursuivre.
- Je voulais te parler de Rave.
- De Rave ?
Mon cœur s'était remis à cogner dans ma poitrine. La tension était palpable et le silence s'éternisa.
- Olympe lui ressemble n'est-ce pas ?
Le ton de sa voix avait changé. Marianne parlait d'un air détaché qui ne lui ressemblait pas. Je devinai son regard perdu dans de vieux souvenirs.
- Le médecin hier nous a informées que son état s'était aggravé, reprit-elle.
Ses propos étaient décousus. J'imaginais parfaitement l'incompréhension d'Hector. Le pli entre ses sourcils, comme sur le portait que j'avais esquissé.
- M'man ça va ?
Une chaise racla le sol une seconde fois.
- Assieds-toi.
- Hector, c'est la fin...
- Pour la maman d'Oly oui je sais, je suis navré.
- Elle est revenue il y a plus de deux mois. Elle m'a parlé de son cancer, de...
Marianne hoquetait, submergée par les sanglots qu'elle retenait depuis si longtemps.
- ...du peu qu'il lui restait à vivre. Le médecin nous l'a confirmé hier. C'est la fin... Oh pauvre Rave ! Si seulement !
- Maman, souffle. Tu veux que j'appelle un médecin ?
- Hector, va la voir. Une dernière fois.
- Écoute, calme toi, ça fait beaucoup pour toi en ce moment. Papa et ...
- Tu ne comprends donc pas ?
Je m'en voulais d'avoir laissé Marianne gérer ça. J'aurais voulu avoir la force de sortir de ma cachette et d'aller la soutenir. Expliquer à Hector ce qu'elle peinait à formuler mais mes muscles étaient tétanisés et mon cœur ankylosé.
- Je te parle de Rave !
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Rave est morte il y a dix-sept ans.
- C'est ce que je croyais aussi...
- On a vu sa baraque cramée, les deux corps carbonisés enveloppés dans des sacs mortuaires.
- Hector, …
- Non ! Tais-toi ! Je sais pas ce que vous avez toutes les deux avec Rave, mais depuis que cette gamine a débarqué avec ce putain de carnet...
J'entendis les tasses s'entrechoquaient une nouvelle fois avant qu'elles ne se brisent à terre.
- Merde ! Laissez Rave reposer en paix, laissez-moi la pleurer et foutez-nous la paix !
- Olympe est ta fille Hector !
- Mais tais-toi, putain !
- Il faut que tu sois là pour elle, moi je n'y arriverai pas.
Un bruit sourd claqua. Un corps qui tombe sur le carrelage froid.
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