Chapitre 6

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Je m'extirpai tant bien que mal de ma cachette et courus jusque dans la cuisine. Marianne, était étendue sur le sol et, Hector agenouillé près d'elle, lui criait de revenir à elle. Je restai pétrifiée, clouée sur place par cette culpabilité qui m'assaillait. Pourquoi n'avais-je tout simplement pas parlé à Hector moi-même ? J'aurais dû préservé Marianne. Le décès brutal de Francis, le départ imminent de ma mère, revenue d'entre les morts, cela faisait beaucoup pour elle. Je n'avais en tête que l'histoire à laquelle j'étais liée malgré moi. Je n'avais en tête que cette volonté de nous retrouver tous les trois pour la première et dernière fois.

  • Appelle un médecin !

La voix grave d'Hector me fit sursauter. Ses yeux me mitraillaient. La main tremblante, j'extirpai mon portable de ma poche et composai le 15. Tandis que le médecin au bout du fil me posait les questions d'usage, Marianne revint peu à peu à elle. Le teint livide, le souffle saccadé, elle peinait à respirer.

En mois d'un quart d'heure, l'équipe médicale arriva et décida d'emmener Marianne à l'hôpital pour la surveiller.

  • Monte avec elle, je prends la bagnole.

Tel un automate, je m'exécutai et pris place aux côtés de Marianne qui somnolait. Les médecins nous avaient rassurés. Ses jours n'étaient pas comptés. Le surmenage et les contrariétés avaient eu raison de son corps. Il fallait à présent lui éviter toute source d'anxiété et la laissait se reposer. 

Des larmes silencieuses, incontrôlées, s'échappèrent de mes paupières fermées. C'en était trop pour moi aussi. J'aurais aimé revenir quelques années en arrière, à l'époque même où je ne savais pas qui était mon père, où, la tête appuyée contre la poitrine de Maman, je pouvais encore rêver. De ce père que je ne connaissais pas, de son amour pour ma mère, de son amour pour moi. De la perspective que nous nous réunissions un jour, peut-être.

Rêver c'est espérer que nos désirs se réalisent autant qu'ils ne se réalisent pas. Rêver c'est s'assurer que l'histoire se terminera, fidèle à nos souhaits. Rêver c'est rester en marge de la terrible réalité.

Hier encore, je rêvais. « D'une jeune fille qui glisse sa main dans celle d'un pêcheur. »

Hier encore, tout était possible. Parler à Hector. Lui avouer. Le voir s'approcher de ma mère. Et, sentir sa main dans la mienne.

Aujourd'hui pourtant, tout était fini. Quand bien même Hector, celui-là même qui hurlait haut et fort qu'il n'avait jamais voulu de gosses, finisse par m'accepter, quand bien même il irait dire Au Revoir à ma mère, rien n'empêcherait la destinée. Nous étions tous les trois, voués à souffrir du manque de l'un ou de l'autre. Notre vie avait été brisée par je ne sais quel coup du sort. Peut-être aurais-je, un jour, la force d'en chercher les raisons ? Peut-être.

Les portes de l'ambulance s'ouvrirent, les médecins tirèrent le brancard sur lequel Marianne était allongée et s'avancèrent vers l'enceinte de l'hôpital. Je suivis le pas, ne pouvant empêcher mon cerveau de superposer au corps de Marianne celui de ma mère.

On me demanda de rester dans la salle d'attente un moment, on viendrait me chercher. La tête me tournait et le feu en moi se ravivait. D'un geste fébrile, j'attrapai le lecteur MP3.

« So lately, been wondering,

Who will be there to take my place.... »

Emportée par la mélodie de The Calling, je m'envolais dans le passé et me retrouvais, la tête posée sur le cœur de ma mère, à chercher comme elle, les réponses dans le ciel.

Au bout d'un moment, un médecin s'approcha. Hector se trouvait près de moi. Je ne savais pas depuis combien de temps il était là, je l'avais pas entendu entrer et, il n'avait pas signalé sa présence de quelque façon que ce soit.

Comme deux étrangers qui poursuivent le même but, nous nous avançâmes dans les couloirs de l'hôpital. Je laissai Hector entrer dans la chambre de Marianne le premier. Quelques fils couraient sur ses bras frêles et deux minces tuyaux lui apportaient un peu d'air.

Hector se figea quelques secondes auprès d'elle puis la mâchoire contractée, alla se poster devant la fenêtre. J'avançais vers Marianne et lui prit la main. Elle dormait. Seuls le silence et la silhouette crispée d'Hector, debout dos à moi, renforçaient cette angoisse qui enflait en moi. Elle devint tout à coup si imposante que l'air me manqua.

Je couris rejoindre la chambre de ma mère, à quelques couloirs de celle de Marianne. Caroline n'était pas là. Dimitri non plus. Mais les bips des machines étaient réguliers et les traits de ma mère semblaient quelque peu détendus. Je m'approchai lentement d'elle et embrassai longuement son crâne comme pour aspirer suffisamment de chaleur pour faire fondre mes peurs.

J'allumai ensuite la bougie que j'avais ramenée et disposée près d'un cadre nous représentant toutes deux, devant la cathédrale Notre-Dame. C'est Papé qui avait pris cette photographie lors de notre périple à Paris. Je ne sais pas comment il s'y était pris pour capturer ce soleil couchant qu'on devinait derrière l'une des tours mais il illuminait nos sourires d'une teinte orangée. Ce cliché, par le seul pouvoir de ses couleurs, embrasa mon cœur tout entier. Je me concentrai sur la flamme de la bougie pour ne pas m'effondrer.

« Maman,

J'ai peur.

Peur de l'ombre noire

Qui tranche avec ton teint si pâle

Et qui dressée derrière toi comme un voile

Grignote chaque jour le peu qu'il me reste d'espoir.


Maman,

J'ai peur,

Peur que nos souvenirs s'étiolent

Que ton visage s'envole

Pour ne laisser dans mon esprit

Que les contours d'un sourire jauni.


Ô Maman,

Si tu savais,

Combien j'ai peur

De me retrouver seule

Sans toi,

Sans ton regard posé sur moi,

Sans tes bras,

Sans tes mots chantés tout bas.


Reste encore un peu

Le temps que tu t'incrustes

Plus profondément encore

Au creux de mes yeux.


Reste encore un peu

Avant que je ne te dise Adieu.»

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