Chapitre 7
Cela faisait deux jours que j'étais au chevet de ma mère. Caroline était venue m'informer qu'un « homme plutôt pas mal mais pas super aimable » m'attendait pour rentrer. Je lui avais répondu d'aller lui dire qu'il pouvait partir sans moi, que je restais avec ma mère. C'est drôle quand j'y pense ! Dire à mon père que je préfère rester avec ma mère comme dans une banale situation de divorce...
Évidemment, il n'avait fait passer aucun autre message. Il n'avait même pas cherché à s'aventurer jusqu'ici pour savoir comment j'allais, comment Rave allait.
Je n'allais pas trop mal en fait. J'avais décidé de mettre tous les événements de ces derniers jours de côté pour me concentrer sur l'essentiel : le temps qu'il me restait avec elle. Je la massais comme Caroline m'avait appris à le faire, lui humidifiais les lèvres pour éviter qu'elle ne se déshydrate. Je lui faisais écouter les morceaux qu'elle aimait et lui parlais à mi-voix, lui rappelant de vieilles anecdotes comme cette fois où j'avais redécoré sa chambre à coucher. J'étais fière de moi, de ces beaux dessins que j'avais peints au-dessus de son lit. Le regard sévère de Papé lorsqu'il m'avait trouvée debout dans les draps, avait coupé court à mon enthousiasme. Ma mère nous avait alors rejoints. Je ne me rappelle plus combien de temps avait duré le silence qui accompagnait sa surprise. Tout ce dont je me rappelle c'est d'avoir vu la couleur de ses yeux changer. Elle me regardait comme on regarde quelqu'un qu'on admire. Et je m'étais sentie encore plus fière. Mais ce que j'aimais le plus dans ce souvenir c'était la réaction plus terre à terre de mon bon vieux Papé : « C'est nous qu't'as dessiné là ? Ben dis donc ! Tu m'as salement arrangé le portrait ! » Et il était parti. Et Maman avait ri. Tellement ri qu'elle en avait pleuré.
Des souvenirs comme celui-ci me revinrent par dizaine et me gonflèrent le cœur de bonheur autant qu'ils le serraient de nostalgie. Nous formions un trio un peu bancal, Maman, Papé et moi comme trois ombres difformes qui se découpent dans l'ombre du jour. L'une la tête levée vers le ciel, l'autre le dos courbé et la troisième plus petite, les deux mains déployées vers eux – minuscule trait d'union reliant deux termes opposés.
L'image de Papé avec ses yeux qui pleurent fit écho à celle de Marianne avec ses lèvres tristes. J'étais allée la voir plusieurs fois. Le matin très tôt et le soir assez tard. On n'avait pas parlé de sa discussion avec Hector. Elle m'avait seulement demandé comment se portait ma mère. Les quelques minutes passées en sa compagnie m'apaisaient. C'était comme un temps-mort qu'elle m'offrait, un de ces instants où plus rien ne compte, où l'on peut se laisser aller et ôter le masque qui dissimule nos peurs et nos regrets. Marianne me connaissait si peu, pourtant elle était la seule auprès de qui je pouvais être moi-même. Une jeune fille rongée par ses angoisses. Le simple fait de les accrocher au regard bienveillant de ma grand-mère suffisait à en supporter le poids.
Caroline pénétra dans la chambre d'un pas de chat. Je m'étirai.
- Comment tu vas ? me chuchota t-elle. Pas très confortable le fauteuil hein ?
Je haussai les épaules.
- Je vais faire sa toilette, me prévint-elle.
- Ok, je vais passer voir Marianne pendant ce temps là.
- Prends ton temps, je m'occupe d'elle.
Je passai par la minuscule salle de bain histoire de mettre un peu d'eau sur mon visage et de me laver les dents. Caroline m'avait rapporté une brosse et prêté un T-Shirt. Je songeais qu'il faudrait tout de même penser à rentrer à la maison pour me doucher.
Je descendis les étages et me rendis au distributeur pour m'acheter un café et un paquet de madeleines. Assise dans les fauteuils usés de cet hôpital je pensais aux épreuves du BAC qui approchaient. J'avais insisté pour que ma mère m'inscrive à des cours par correspondance. En quittant le lycée pour venir vivre chez Marianne, je n'avais aucune envie de me fondre dans de nouveaux groupes d'ados. Je voulais être libre de réviser sans me soucier des codes sociaux et être suffisamment disponible pour ma mère. Je pouvais, par exemple, l'accompagner lors de ses séances de chimio, mes révisions en main. Mes révisions. Ça me paraissait si loin, comme dans une autre vie. J'avais complètement décroché et je m'en foutais. De toute façon, quel futur me réservait cette « putain de vie » comme aurait dit Hector ? Je n'avais pas la force d'y penser. La seule certitude que j'avais c'était que j'allais perdre ma mère. Alors le BAC, la vie, je n'en avais plus rien à faire.
J'avalai le reste de café qui, le temps de mes réflexions avait déjà refroidi puis envoya le gobelet valser dans la poubelle. Le pas aussi lourd que mon cœur, je rejoignis l'étage de Marianne.
- Coucou !
- Oly, ma grande, comment tu vas ?
Je haussai les épaules.
- Dès que je rentre à la maison tout à l'heure, je te prépare un bon gratin, ça te dit ? Faut que tu manges Oly...
- Et toi faut que tu te reposes.
- Je me suis assez reposée. On va rentrer, tu vas manger et on reviendra au chevet de ta mère dans l'après-midi.
- Et si...
- Que disent les médecins ?
- Elle est stable.
- Alors profites-en !
Notre discussion fut interrompue par l'entrée remarquée d'Hector qui avait ouvert la porte d'un geste vif et inopiné.
Il pouvait pas y aller doucement ? Je serrai les dents pour dissimuler mon agacement.
Il sembla surpris de me voir puis m'adressa un petit signe de tête avant de s'approcher de sa mère.
- J'y retourne, dis-je à l'attention de Marianne.
- A tout à l'heure, me répondit-elle sur un ton appuyé.
Tandis que je regagnais le bout du couloir, une voix grave m'interpella.
- Hey ! Tu m'évites ?
Je me retournai et dévisageai Hector qui s'arrêta à quelques centimètres de moi.
Il était sérieux ?
- Pas du tout. J'ai d'autres priorités.
Il me sembla lire l'esquisse d'un sourire au coin de ses lèvres. Je le toisai. Il se gratta la tête avant de rajouter.
- Je ramène...Marianne à la maison. Le temps de la paperasse.. Tu viens avec ?
- Ouais..
- Ok, bon alors à toute.
- C'est ça. Oh ! Et si tu me cherches. Je serai dans la chambre de...ma mère.
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