Chapitre 18

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Maitre Baron avait été bon. Très bon même. Loin de cette image de gugusse exubérant que je lui attribuais, il s’était présenté devant la Cour avec un charisme surprenant. Il avait parlé posément, avec justesse et humanité. Cependant, l’expression impassible des jurés me faisait douter. Durant chaque plaidoirie, aucun d’entre-eux n’avaient laissé entrevoir la moindre émotion. Le dos bien droit, le visage grave et fermé, ils ressemblaient à des marionnettes inanimées. C’est à peine si leurs yeux clignaient. Ça me filait la chair de poule !

— La parole est maintenant à l’accusé, annonça la voix calme du président.

Je me levai, ressentant les mêmes picotements dans les membres que durant mon enfance, lorsque, debout devant mes camarades de classe, je devais réciter ma poésie. J’avais refusé d’écrire ou même de répéter le discours que j’allais devoir énoncer. J’avais même pensé me défiler. Mais, j’avais voix au chapitre. Il était question de mon avenir, de ma liberté. Sans aucune idée de quoi leur dire pour me défendre, je sentis mes lèvres s’entrouvrir.

— Mesdames et Messieurs, je n’ai jamais été très doué pour m’exprimer. Je ne vais pas répéter ce qui a déjà été dit mais, si vous me permettez de prendre une dernière fois la parole alors, c’est à Olympe que j’adresserai ces quelques mots.

Je me tournai vers elle.

— Olympe, je m’étais promis de ne plus jamais laisser quelqu’un ouvrir les portes de mon cœur. Il a pourtant suffi que tu entres dans ma vie pour faire sauter tous les verrous. En l’espace de quelques semaines, tu as fait naitre en moi un sentiment de responsabilité que je n’avais jamais voulu endosser. Et alors, je me suis attribué un devoir : celui de te protéger de ce que la Vie pouvait offrir de mauvais. J’aurais aimé être ton père mais je ne le suis définitivement pas ! Un père, ça montre l’exemple. Je regrette le coup porté à Peter sous l’impulsion de mes émotions. Je regrette de te laisser cette dernière image de moi.

Submergé par les larmes qui inondaient ses yeux, je lâchai son regard et me rassis. Un bruit sourd et continu vrillait mes tympans, comme celui qui précède un vertige. La voix déformée du président énonça des mots que je n’entendis pas puis, la main ferme de mon avocat se posa sur mon bras. Comme un automate, je le suivis. Je me sentais complètement déconnecté du monde. J’avais la sensation d’être mort une fois de plus. Les jurés délibérèrent pendant plusieurs heures. Mon avocat, qui avait retrouvé la nervosité de ses gestes, tenta de me rassurer. « Si les jurés débattent aussi longtemps... » Blablabla.

Je fermai les yeux et laissai le noir envahir mon esprit pour le laisser redevenir une page vierge de tous souvenirs. J’y traçai alors les contours du visage d’Olympe. Si je devais passer une partie de ma vie derrière les barreaux, c’est cette image que je souhaitais voir chaque matin en me réveillant et chaque soir en m’endormant.

Au bout d’un temps infiniment long, mon avocat me signala que l’heure du verdict avait sonné. Je pénétrai une nouvelle fois dans cette salle qui, de par les tentures et le mobilier sombre, vous donnait envie de vous évader avant même d’avoir été condamné. Un silence pesant envahit chaque coin de la pièce. Ne résonnaient que les murmures intérieurs des prières que chaque membre de l’assemblée récitait.

Le président entra finalement, suivi, comme précédemment, de ses assesseurs. Il prit la parole et invita les jurés à rendre leur verdict. Je n’entendis que des bribes de phrases, des mots décousus, allégeant peut-être, par leur distorsion, la sentence finale.

J’étais reconnu coupable de tentative d’homicide sur la personne de Pierre Lefreux. Aucune circonstance atténuante n’avait été retenue. Rave n’était plus là pour témoigner de ce que Peter lui avait fait. Ses écrits ne valaient rien, ou si peu, en comparaison de l’image du pauvre père de famille handicapé qui, meurtri par d’importantes séquelles dues à un dramatique accident, s’était vu séquestré et poignardé par un individu asocial et alcoolique. La justice se voulait implacable. Qui pouvait prétendre que je ne réitérerai pas mon geste ? Face à ce doute, les jurés avaient décidé de me condamner à dix ans d’emprisonnement.

Un innocent sauvé, un coupable écroué. Justice divine appliquée.

Les forces de l’ordre s’approchèrent de moi. Ils me laissèrent quelques secondes pour serrer dans mes bras les deux seules personnes qui comptaient le plus pour moi. Leurs sanglots me transpercèrent. Je tentai de faire bonne figure devant elles mais, à vrai dire, je n’avais qu’une envie : rejoindre ma cellule pour laisser mon cœur à vif s’éteindre pour de bon.

En me dégageant de l’étreinte de ma mère, je croisai le regard de Caroline. Une détresse immense semblait l’envahir. L’instant fut bref mais, entre deux battements de cils, je vis ses larmes couler.

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