Chapitre 1
Dehors, la nuit semblait s'être installée bien trop tôt, couvrant la ville d'un voile de ténèbres oppressant. Le ciel, d'un gris métallique, semblait écraser tout ce qu'il touchait, et aucun oiseau ne survolait l'horizon. C'était comme si même la nature avait cédé à la peur, fuyant cette terre désormais marquée par la maladie et le chaos. Pas un bruit ne perturbait ce silence lourd et étouffant.
Jiwon avançait, mais chaque pas semblait un combat. Le poids de son sac, pourtant allégé au fil des jours, lui semblait aujourd'hui aussi lourd qu'une montagne. Il avait perdu l'habitude de ressentir la légèreté d'une marche sans douleur, comme si la fatigue, la faim et la soif se superposaient pour lui donner l'impression que son corps se délestait peu à peu de son énergie. Il n'avait plus la force de penser à autre chose qu'à sa survie immédiate. La chaleur de la journée avait disparu, remplacée par un froid humide qui mordait sa peau et paralysait ses muscles. La brise était absente, comme si l'air lui-même avait été aspiré, laissant derrière lui une étrange lourdeur qui ne cessait de s'accumuler. Chaque respiration devenait plus difficile.
Ses jambes, tremblantes et douloureuses, le portaient de moins en moins bien. Il sentait qu'il était au bord de l'épuisement. Ses muscles, tendus au maximum, criaient à l'arrêt. Mais il n'avait pas le choix. S'arrêter était une condamnation. S'arrêter signifiait être vulnérable, un cadeau de bienvenue pour ceux qui rôdaient dans les ombres, attendant le moindre faux pas.
La rue qu'il parcourait n'était plus qu'un désert de ruines. Autour de lui, les bâtiments, autrefois des maisons ou des commerces pleins de vie, étaient désormais des carcasses de béton et de verre brisé. Les murs étaient lézardés, certains complètement effondrés, et des morceaux de béton jonchaient le sol comme des pierres tombales de ce qui était autrefois un lieu familier. Les fenêtres étaient brisées, laissant les pièces intérieures plongées dans l'obscurité. L'air puait la moisissure et l'humidité, comme si les vestiges de cette ville abritaient des fantômes invisibles, attendus depuis longtemps. Parfois, il lui semblait entendre des bruits étouffés dans la distance, des bruits qui, loin de rassurer, n'arrivaient qu'à amplifier la sensation d'insécurité qui le serrait de plus en plus fort.
Jiwon s'arrêta un instant près d'un gros morceau de brique qui semblait provenir d'un bâtiment effondré. Il se laissa tomber à genoux, les bras soutenant son poids, sa respiration saccadée. Le bâton qu'il avait fabriqué de ses mains reposait à côté de lui, mais il ne le lâchait jamais trop longtemps. Cet humble objet, son seul outil de défense, semblait une promesse fragile de sécurité. Pourtant, dans cette rue morte, il n'était plus sûr de rien. Et même si le silence était total, il n'arrivait pas à secouer cette impression que quelque chose, ou quelqu'un, pouvait surgir à tout instant. L'idée d'être seul dans ce décor de ruines, sans protection, sans allié, l'envahissait d'un malaise insupportable.
Il se redressa difficilement, les muscles de ses jambes tendus comme des fils, et reprit sa route. À chaque pas, il sentait les pierres brisées sous ses pieds, un crissement sourd qui résonnait étrangement dans cette ville morte. Le silence était aussi pesant que l'air qui l'entourait. Mais il ne pouvait pas se permettre de céder à la panique. Il devait avancer, malgré la fatigue écrasante, malgré l'angoisse qui grignotait son esprit.
Parfois, Jiwon sursautait, effrayé par ses propres bruits. Le sol était un véritable champ de ruines, jonché de pierres et de briques, les vestiges de bâtiments qui s'étaient effondrés depuis longtemps. À chaque pas, il risquait de se faire entendre ; les pierres craquaient sous ses pieds quand il ne prêtait pas attention. Le bruit du monde semblait tellement lointain, mais il savait que chaque son pouvait trahir sa présence, attirer l'attention des monstres, ou pire, laisser entendre qu'il n'était pas seul, qu'une ombre rôdait dans les décombres.
Sa respiration se faisait de plus en plus lourde, comme si son corps refusait de lui obéir. Il était épuisé, incapable de reprendre son souffle. Il fouilla dans son sac, espérant y trouver un peu de réconfort, mais il n'y avait plus que des morceaux de pain, durcis par le temps et le manque d'humidité. Pas d'eau. Il s'était promis, à lui-même, qu'il garderait la gourde intacte, qu'il ne céderait pas à la tentation... Mais la tentation avait été plus forte. Il avait bu. Et maintenant, il le payait cher. Ses jambes le brûlaient, ses muscles étaient comme en feu, et la douleur sourde de son corps fatigué ne faisait qu'augmenter à chaque pas.
Il n'avait plus la force de s'arrêter, même si tout son être criait de le faire. Chaque mouvement lui faisait mal. Il voulait dormir, oublier, se laisser aller, mais il avait trop peur. La peur du silence, de l'inconnu, et même du sommeil lui-même, qui pourrait être la dernière chose qu'il ferait avant de ne plus se réveiller.
Ses plaies, nées de ses chutes et des combats, s'étaient rouvertes. Il était couvert de sang, le sien et celui des autres, des inconnus qu'il avait dû affronter, qu'il avait peut-être tués. Il n'arrivait plus à faire la différence entre ce qu'il avait fait pour survivre et ce qu'il était devenu en chemin. Il se répétait qu'il n'avait pas eu le choix, que c'était pour sa survie, mais ces pensées devenaient de plus en plus floues, noyées dans la confusion. Il avait tué. Il ne pouvait plus se mentir.
Les forces l'abandonnèrent alors qu'il avançait encore dans la rue dévastée. Ses jambes le trahirent, et dans un dernier effort, il se laissa tomber à genoux. Le monde autour de lui tournait, flou et lointain. Il posa son corps contre un mur en ruine, ses mains tremblantes cherchant du soutien. Il s'effondra sur le sol, un cri de frustration étouffé dans la gorge, mais aucun son ne sortit. Ses yeux se fermaient lentement, le noir envahissant ses pensées.
Tout ça pour rien... La pensée traversa son esprit, lourde de sens. Pourquoi ? Pour quoi se battre encore ? Je suis fichu... La vérité s'enfonça dans son cœur comme une lame froide. Il avait tout perdu. Et il ne pouvait plus se relever.
Il ferma les yeux, la douleur s'éteignant peu à peu, comme si la vie s'échappait lentement de lui. Puis, tout devint noir.
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