Chapitre 2
Toujours les yeux fermés, Jiwon sentit d'abord une chaleur étrange, presque oppressante, envahir son corps. C'était une chaleur différente de celle qu'il connaissait, pas réconfortante, mais suffocante. Il ne savait pas où il était, ni comment il était arrivé là. Sa tête lui semblait lourde, presque trop lourde pour tenir droite, et ses muscles, tendus comme des ressorts, lui donnaient l'impression qu'il avait couru des kilomètres sans jamais s'arrêter. Tout son corps lui brûlait, comme si la douleur se propageait dans chaque fibre de ses êtres. Cela l'empêchait même de bouger, comme si la douleur était une cage invisible.
Il ouvrit les yeux lentement, luttant contre la brume qui envahissait encore ses pensées. La lumière était faible, mais elle piquait ses yeux, ajoutant une sensation de brûlure à celle de son corps tout entier. Quand ses yeux se posèrent sur le toit au-dessus de lui, il sentit un malaise grandissant. Ce toit... il ne l'avait jamais vu avant. Il semblait familier et étrange à la fois. Les planches de bois étaient anciennes et usées, mais encore solides. De petites fissures dans les murs laissaient passer des rayons de lumière, qui se faufilaient dans la pièce, éclairant faiblement l'endroit où il se trouvait.
Sa tête tournait un peu, et il serra les dents, essayant de repousser la sensation de vertige. Mais cela ne faisait que l'aggraver. Ses muscles, douloureux, se contractèrent involontairement à cause du moindre mouvement. Chaque geste semblait lui coûter, comme s'il avait passé des heures à lutter contre un ennemi invisible. Le monde autour de lui se floutait à mesure qu'il essayait de se concentrer, luttant contre l'épuisement et la douleur.
Un bruit imperceptible attira alors son attention, comme un souffle léger, à peine audible. Il tourna la tête d'un mouvement maladroit, cherchant l'origine du son. Une vieille dame était là, à côté de lui. Assise sur une chaise en bois, elle le regardait intensément avec ses grands yeux bleus pâles. Un regard vide, presque vide de toute émotion, comme si elle était une marionnette, figée dans un moment hors du temps. Ses cheveux, blancs et cassés, tombaient en mèches irrégulières autour de son visage, accentuant son apparence fragile. La lumière du matin, faible et presque tremblante, la rendait encore plus spectrale, comme une ombre qui n'avait pas su s'échapper de l'obscurité.
Son regard ne quittait pas Jiwon, pénétrant, sans détour. Ce n'était pas un regard bienveillant. Ce n'était même pas un regard humain, du moins pas entièrement. Il y avait quelque chose de dérangeant dans cette fixité. Comme si elle attendait quelque chose de lui, comme si elle cherchait à comprendre quelque chose de profond, un secret qu'il ne pouvait pas saisir. Un frisson glacé parcourut l'échine de Jiwon.
Instinctivement, il recula légèrement, ses muscles criant de douleur, mais il ne put s'empêcher de bouger, ne pouvant supporter la pression de ce regard. Il sentit un vertige envahir son esprit, et son corps tout entier sembla vaciller. Il se laissa tomber en arrière sur ce qui ressemblait à un lit improvisé, fait de planches grossièrement assemblées et recouvertes de draps usés. Mais avant qu'il ne puisse basculer entièrement, une main ferme se posa sur son bras, le maintenant en place, le soutenant.
— Reste allongé, tu es en sécurité ici.
La voix grave de l'homme résonna dans l'air, calme, presque rassurante, mais pourtant lourde de fatigue. Le ton était doux, mais portait une autorité tranquille, comme si l'homme avait l'habitude de réconforter ceux qui étaient brisés. Jiwon tourna lentement la tête vers lui, ses yeux toujours embrumés par la douleur et la confusion. L'homme lui adressa un regard appuyé, presque comme une promesse silencieuse de sécurité.
Mais la vieille dame, elle, ne bougeait toujours pas. Son regard restait figé sur Jiwon, encore plus intense, comme si elle essayait de pénétrer son âme. Un léger tremblement parcourut son corps, mais elle ne détournait pas les yeux. Elle semblait prête à s'immobiliser dans cet état étrange pour des heures encore, ou peut-être plus longtemps.
L'homme, visiblement fatigué de cette scène, tourna la tête et lança d'une voix plus ferme, mais toujours calme, vers la vieille dame :
— Arrête de le regarder comme ça. Tu vas lui faire peur, Jung-Sook.
La vieille dame sembla réagir, bien que lentement. Ses mouvements étaient lents, comme si elle n'était plus tout à fait consciente de ce qu'elle faisait. Elle se leva de sa chaise, ses gestes rigides, presque mécaniques. Elle s'éloigna alors de la pièce, sans un mot, sans une expression. Ses pas étaient lents, comme si elle flottait, glissant plus que marchant, son corps presque en dehors du temps. Une impression étrange s'empara de Jiwon, une sensation de déconnexion, comme si elle ne vivait plus tout à fait dans ce monde, mais quelque part ailleurs.
Jiwon la suivit du regard, le cœur lourd de questions. Il se sentait un peu comme un spectateur, perdu dans un monde qui ne semblait plus avoir de sens. Ses pensées étaient confuses, imprécises, et il n'arrivait même pas à comprendre ce qui venait de se passer.
L'homme, observant la vieille dame partir, poussa un profond soupir avant de se tourner vers Jiwon. Il attendit quelques secondes, comme pour laisser Jiwon s'adapter à l'espace et à la situation. Puis, d'une voix basse, il expliqua, comme s'il en avait l'habitude :
— Excuse-la, elle a perdu sa fille enceinte, il y a quelques jours. Et en plus d'être déjà de nature méfiante, cela l'a totalement brisée.
Jiwon, malgré la douleur qui lui dévorait les muscles et l'épuisement qui l'envahissait, resta figé un moment, les yeux dans le vide. Il n'avait ni la force ni les mots pour répondre.
Après un moment de calme, l'homme se leva lentement, jetant un dernier regard sur Jiwon. Avant de quitter la pièce, il lui lança, d'une voix grave, presque autoritaire :
– Reste allongé. Je vais chercher quelque chose à manger et à boire pour toi.
Ces simples mots frappèrent Jiwon comme une vague. Rien qu'à l'idée de pouvoir manger autre chose que du pain sec, une décharge de plaisir traversa son corps, presque douloureuse dans son état. Il ferma les yeux un instant, se concentrant sur ce frisson étrange qui lui parcourut l'échine. Il se força à ignorer la douleur qui brûlait dans ses muscles et la lourdeur de ses paupières. Quelque chose à manger... Le simple fait d'entendre ces mots le fit se sentir presque humain à nouveau.
L'homme se dirigea vers la porte, puis disparut dans le couloir, la porte se fermant doucement derrière lui. La pièce se vida alors du poids de sa présence, et Jiwon resta là, seul, plongé dans le silence.
La pièce avait une odeur d'humidité, un mélange de vieux bois et de poussière. C'était étouffant, mais en même temps, cela lui apportait un peu de réconfort, comme si, dans ce lieu abandonné, il était encore en vie. Dehors, la lumière perçait à travers les rideaux sales. Il semblait que le matin était déjà là, ou du moins, ce qu'il en restait. Combien de temps ai-je dormi ? pensa Jiwon. La question tourbillonnait dans sa tête, mais aucune réponse ne venait. Tout était flou, comme si le monde autour de lui était suspendu dans une dimension parallèle, où le temps n'avait plus de prise.
Il tourna lentement la tête, ses yeux scrutant la pièce. Sur la petite table en bois, des fournitures de soin étaient éparpillées : du désinfectant, des pansements ouverts, un rouleau de bandages. Le tout était en désordre, comme si la pièce n'avait pas de place pour ranger quoi que ce soit. Il n'y avait pas de placard, pas de meuble où tout cela aurait pu être ordonné. C'était à la fois pratique et désorganisé. Un peu plus loin, un drap usé était installé sur ce qui ressemblait à un autre lit. Ce n'était pas un endroit propre, mais à cet instant, Jiwon s'en fichait. Il était fatigué, son esprit encore brisé par la douleur et la confusion, mais il avait l'intuition qu'ici, il pourrait trouver une forme de répit, même temporaire.
Il cligna des yeux, puis se força à se redresser, une douleur violente traversant ses muscles. Ses bras tremblèrent sous l'effort, mais il réussit à s'asseoir. Il observa chaque coin de la pièce. La fenêtre, malgré la saleté qui la recouvrait, offrait un peu de lumière. Le monde extérieur était encore indistinct, mais l'odeur de l'air semblait différente. Une sorte de calme, ou de malaise... difficile à dire.
Jiwon balaya la pièce du regard, se repliant dans l'obscurité de son esprit à chaque mouvement. Un soupir échappa de ses lèvres alors qu'il cherchait à comprendre où il se trouvait. Tout était si étrange. Pas un bruit, à peine un souffle d'air. Il n'était pas sûr de comprendre comment il avait atterri ici, ni où il était exactement. Ce lieu, avec ses murs fissurés, ses objets usés, était-il le dernier refuge des derniers humains ?
Son regard se posa une nouvelle fois sur le petit lit derrière lui, celui où il s'était réveillé. La couche de draps semblait avoir été étendue récemment. Il n'était pas étonné de voir que la chambre n'était pas parfaitement propre, ni arrangée. Tout était fait à la hâte, comme si chaque moment comptait ici. Il se leva doucement, une nouvelle vague de vertige faillit l'envoyer au sol. Il posa une main contre le mur pour garder l’équilibre et prit une grande inspiration, réprimant un gémissement.
La porte s'ouvrit dans un grincement de bois, et l'homme entra, portant un bol de soupe et un verre d'eau. Son regard se posa directement sur Jiwon, qui, pris de panique à l'idée d'être vu hors du lit, se précipita brusquement en arrière pour s'y replier, espérant faire croire qu'il n'en était jamais sorti. Mais ce geste, précipité et maladroit, déclencha une vague de douleur insupportable. Ses muscles, encore endoloris par la position de sommeil et l'épuisement, se tendirent violemment, comme si des flammes les brûlaient de l'intérieur.
Un souffle de douleur s'échappa de ses lèvres, mais il tenta de masquer sa souffrance en se réajustant sous les couvertures, son visage marqué par la grimace du mal.
L'homme ne fit aucune remarque, se contentant de tendre au jeune homme la soupe avec une grande tranquillité. Jiwon prit le bol avec les mains tremblantes et, avec une lenteur calculée, apporta la cuillère à ses lèvres. La chaleur de la soupe le réconforta immédiatement, mais il ne put s'empêcher de penser à tout ce qu'il avait perdu. À tout ce qui avait été perdu. Cette soupe, si banale pour certains, était pour lui un luxe rare, un symbole de survie.
L'homme observa en silence, mais son regard ne trahissait aucune émotion particulière. Il se leva pour laisser le jeune garçon finir en paix, et avant de quitter la pièce, il posa un dernier regard sur le jeune homme.
La porte se referma doucement derrière lui, et il s'éloigna en silence dans les couloirs. Le bâtiment était vieux, abîmé, les murs fissurés et le sol grinçant sous ses pas, mais il y avait encore une certaine solidité dans l'ossature. Une preuve que certains endroits pouvaient encore tenir, tout comme lui.
Il marcha lentement dans les couloirs, passant devant des pièces sombres où la lumière vacillait. Finalement, il arriva dans une grande salle où la femme qu'il cherchait se tenait debout, servant des repas à un petit groupe de personnes. Elle était de dos, ses longs cheveux noirs serrés en une queue de cheval bien ordonnée. Sa silhouette était musclée, la carrure d'une personne habituée à la dureté, et son visage, dur et ferme, était marqué par l'expérience. Elle distribuait des portions de nourriture avec une rapidité presque militaire.
À proximité, un jeune garçon d'environ 12 ans, un autre homme, et une femme plus âgée, probablement dans la cinquantaine, attendaient, tandis qu'ils se faisaient servir. Le jeune garçon regardait la femme avec une attention impatiente, ses yeux pétillant d'un mélange de curiosité et d'anticipation.
L'homme s'approcha de la femme et, d'une voix basse et presque confidentielle, murmura à son oreille :
— Le jeune garçon est réveillé.
Il se pencha un peu plus près, comme pour souligner l'importance de l'information, mais il n'y avait rien de secret dans ses mots. La femme se tourna légèrement, et une lueur d'étonnement passa dans ses yeux avant qu'elle n'acquiesce d'un geste discret, la lueur d'un léger sourire cachée sur ses lèvres fermées.
Le jeune garçon, qui avait entendu l'annonce, s'écria aussitôt, les yeux écarquillés d'excitation :
— Vraiment ? C'est vrai ?!
L'homme jeta alors un regard noir dans sa direction, une pointe d'agacement marquant son visage. Le garçon, sous l'intensité du regard, se figea un instant, avant de se raviser et de se remettre à regarder la femme qui le servait, son enthousiasme visiblement douché par la menace invisible de l'homme.
La femme âgée, elle, laissa échapper un léger éclat dans ses yeux. Si elle ne parlait pas, on pouvait voir sur son visage que la nouvelle était une grande source de soulagement pour elle. Une légère chaleur s'était répandue dans ses traits, adoucissant la dureté qui y régnait habituellement.
L'homme près d'elle, celui de la vingtaine, lui ne réagit pas, ne levant même pas les yeux. Il continua de fixer son assiette, comme si rien ne venait de se passer.
Satisfait de son message, l'homme ne s'attarda pas plus longtemps. Il se dirigea vers le buffet où il se servit un bol de soupe. Il inspira profondément l'odeur qui flottait dans l'air. C'était une odeur qu'il connaissait bien, l'odeur d'une soupe soigneusement préparée, d'un réconfort aussi simple qu'intangible. Il appréciait ces petites choses, peut-être même plus que la plupart des gens ici.
Il s'assit à une table, le bol de soupe bien chaud devant lui. Ses mains, tremblantes de fatigue, se posèrent doucement sur le bord du bol, et il prit une première cuillère. Le goût, simple mais si plein de saveur, apporta une sensation de chaleur qu'il ne pouvait trouver ailleurs. Il se força à ralentir son geste, savourant chaque bouchée. La tension des dernières heures semblait se dissiper, enveloppée dans cette chaleur réconfortante.
Il leva les yeux, se perdant dans la lumière tamisée de la pièce, un léger sourire au coin des lèvres. Mais alors qu'il continuait à manger, une question flottait en lui, une question qu'il avait gardée pour lui depuis trop longtemps.
Le jeune garçon serait-il prêt à affronter ce qui l'attendait ?
Le silence de la pièce se fit plus lourd, presque palpable. Mais pour l'instant, il se contenta de manger, savourant le moment de paix que cette simple soupe lui offrait.
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