La mort est notre lot à tous

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Ultra premier jet...

Ce que tu aimes, tu continueras à l’aimer (…).

Mais réfléchis, Lebannen.

Refuser la mort, c'est refuser la vie.

(Terremer. Ursula. K. Le Guin)

— Malheureusement, monsieur Sampsiaud, j’ai le regret de vous annoncer qu’il ne vous reste sans doute que quelques semaines à vivre. Je suis navré.

Je déglutis avec difficulté. Mes mains, posés sur mes genoux, se mettent à trembler. Une explosion d’appréhension traverse ma colonne vertébrale de bas en haut. Une douleur vive survient sans crier gare. Dans un réflexe, mon regard accroche la pendule sur le mur à ma droite. Je me concentre sur le tic-tac qui bat la mesure pour éviter de sentir à quel point les propres battements de mon cœur deviennent irréguliers. Loin, très loin, j’entends un cri de femme inaudible. Un vertige me submerge. J’entends les explications du docteur sans les assimiler. Ma conscience flotte dans une épaisse nappe de brouillard. Un cancer des os au stade terminal, je crois. C’est ironique ; j’étais seulement venu passer des examens pour un mal de dos récurrent et des douleurs atroces, la nuit, dans les bras. Le médecin me tend une ordonnance. Mon esprit revient au présent. Je saisis la feuille sur laquelle sont prescrits des antalgiques.

— Profitez du temps qu’il vous reste avec vos proches. Euh, hum, cela fera quatre-vingt-dix euros, merci, annonce-t-il, gêné.

Quatre-vingt-dix balles pour se faire entendre dire qu’on va mourir… En temps normal, je lui aurai lancé le chèque dans sa gueule, tiens. Mais là, je le lui tends sans objecter la moindre de ses paroles. Je crois que je suis déjà mort.

J’erre dans les rues de la ville comme un automate. Tout me parait soudain dénué de sens. Je n’arrive toujours pas à reconnecter mes neurones. Seule une pensée tourne en boucle : je vais mourir. Je vais mourir !Évidemment, nous sommes tous destinés à cette fin un jour ou l’autre. Mais je n’ai que quarante-deux ans, un job en or, de l’argent en veux-tu en voilà, une compagne avec laquelle je m’entends bien. Pas d’enfants. Eh merde ! Je devrais encore avoir toute la vie devant moi !

Je passe à la pharmacie récupérer les médicaments censés atténuer la douleur constante dans mes os, puis je m’arrête manger dans un fast-food. Le genre que j’évite depuis toujours, mais puisque je vais bientôt crever, qu’importe de bouffer de la merde. Cela ne changera rien, non ? Je déguste la moitié d’un hamburger avant de le jeter, dégouté, dans la poubelle. Plus rien n’a de goût. Dehors, la ville s’agite comme à l’accoutumée, mais j’ai le sentiment que, pour moi, le temps s’est arrêté. Un arrêt sur image. Autour de moi, la vie continue alors que la mienne est en train de s’achever. Je ne suis qu’un grain de poussière parmi tant d’autres.

Je m’assois sur un banc dans le parc qui jouxte mon immeuble. Des ados se soulent à la bière bon marché et fument des joins au vu et au su de tout le monde. La fumée odorante vient me chatouiller les narines. Toute ma vie passée à éloigner de moi drogues et alcool : un esprit sain dans un corps sain, mon leitmotiv favori. Et je suis rongé par le cancer ? Un sentiment d’injustice m’envahit soudain. Je fixe ces gamins qui n’ont encore aucun but dans la vie, sinon se détruire à petit feu. J’ai envie de leur crier qu’ils sont déjà morts avant même d’avoir vécu. Mais je me lève en ravalant ma verve toxique et rentre chez moi. Pas question d’aller bosser aujourd’hui. D’un geste las, j’attrape mon portable dans la poche de mon jean et compose le numéro de l’agence de voyage.

— Annie, c’est Marc.

— Oh, monsieur le directeur, me répond-elle avec sa voix suraigüe insupportable. Je m’étonnais de ne pas vous voir arriver. Vous êtes toujours si ponctuel !

Je lève les yeux au ciel face à son hypocrisie. Je sais très bien qu’elle ne peut pas m’encadrer depuis que j’ai refusé de l’augmenter l’année passée.

— Écoutez, je ne viendrai pas au travail quelques temps. Dites à Gloria de gérer l’agence en mon absence.

— Bien, mais… que dois-je lui dire ?

Cette conversation commence à m’agacer. Je suis le directeur, dois-je vraiment me justifier ?

— Dites-lui que j’ai une maladie contagieuse. Le médecin m’a prescrit un arrêt de travail d’une quinzaine de jours.

Bon ok, je mens, mais seulement à moitié. Et mon arrêt detravail va se rallonger pour une durée infinie…

— Oh ! rien de trop grave, j’espère ?

— Je dois vous laisser. Bonne journée.

Je raccroche avant qu’elle ne me pose une autre question à laquelle je n’ai aucune envie de répondre.

J’ouvre la porte de mon appartement et m’écroule sur le canapé. Je fixe, apathique, le plafond blanc. Happé par les ombres qui s’y meuvent, mon esprit divague. Je distingue au loin une femme squelette montée sur un cheval aux os partiellement découverts (exposés ?). Tournée vers moi, elle semble attendre un signal de ma part.

— T’es pas au boulot, chéri ? s’élève une voix chaude sur ma gauche.

Je sursaute et mon étrange vision disparaît. Et merde, j’avais oublié que Vanessa ne bossait pas le jeudi. Je fulmine. Pas moyen d’être peinard ! Elle n’attend même pas que je lui réponde qu’elle enchaîne déjà.

— J’ai demandé à Virginie et Thomas de passer ce soir. Ils vont avoir un bébé et…

— Mais ta gueule ! je souffle, exaspéré.

Silence. Voilà qui ne lui ressemble pas. J’ouvre un œil vers elle. Son beau visage cuivré encadré de boucles brunes me dévisage, bouche ouverte. Figée. Choquée. Un effluve d’incompréhension émane de tout son être. Je ne l’ai jamais traitée aussi durement, même si je n’ai pas toujours été tendre. Mais elle ne peut pas comprendre ce que je ressens en ce moment et je n’arrive pas à lui avouer la triste vérité. Je serai incapable de la rendre heureuse dans mon état. Si je suis cruel avec elle, elle me quittera et ainsi ne souffrira pas de ma mort. Je ne suis qu’un con doublé d’un lâche.

— Prends tes affaires et dégage de mon appart.

— Ton appart ? elle s’étrangle de colère. Marc ! Qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi tu me parles sur ce ton ?

Je me lève brusquement sans un mot. Grossière erreur ; mon dos m’arrache une grimace de douleur. Ma compagne continue de m’harceler de questions alors que je ne pense qu’à prendre mes médicaments. Faire taire ma souffrance. J’ai l’impression qu’elle a augmenté d’un cran.

— Tu as rencontré une autre femme, c’est ça ? Tu ne m’aimes plus ?

Elle me supplie du regard de lui donner une explication. Dans son esprit, cette simple supposition d’une infidélité devient la seule et unique raison qui justifierait un tel comportement. Je saute sur l’occasion. Être un vrai connard, ne pas mâcher mes mots. Qu’elle me haïsse.

— C’est ça, lui confirmé-je, en lui tournant le dos. Laisse-moi seul maintenant.

Je m’apprête à entrer dans la chambre quand je l’entends s’écrouler sur le sol et sangloter. Mon cœur se serre un instant. Je n’ai jamais aimé la faire pleurer. C’est pourtant ce qu’elle fera quand je ne serai plus là. Trois ans de vie commune sereine anéantie par une simple phrase. Mais, à cet instant, le vide dans mon cœur l’emporte sur mon côté protecteur alors, indifférent à sa peine, je me cloître dans ma chambre. Quelques secondes plus tard, la porte d’entrée se ferme dans un claquement sonore. Adossé au chambranle, je ferme les yeux. Me voilà enfin seul. C’est ce que je désirais, non ? J’attends ce moment où, moi aussi, je m’écroulerais dans une mare de larmes. En vain. Mes yeux restent secs. Alors je m’allonge sur mon lit, avale mes cachets et me laisse glisser dans un puits sans fond peuplé de cauchemars.

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