Prologue [Céani]
Voilà un an et demi, que je suis installée ici à Pereira, dans ma Colombie natale. Je suis à quasiment, six heures de route de Medellín. Mutée ici par ma hiérarchie, pour la raison suivante.
Un lien trop important avec le cartel des Los Verdugos.
Je suis l’amie d’Alana, la femme d’Emilio Sanchez, ainsi que la marraine de leurs enfants. Bien évidemment, cela n’a pas trop plu au gouvernement qui tente de lutter contre tous ces trafics, mais sans grand succès. J’ai accepté cette offre sans rechigner, après tout, je suis agent des forces de l’ordre. Je ne dois pas dépasser les limites de mon travail. Malgré mon éloignement, la joie ne m’a pas quitté, je reste en contact avec mon amie qui me fait part des déboires de son beau-frère Matéo. Cet homme à un charme fou, mais il est dingue, je dois le reconnaître. Alana m’a prévenu que depuis mon départ, il était devenu encore plus dérangé. Il n’y a que ses neveux qui l’apaisent. D’ailleurs, ils vont avoir deux ans dans six mois, en août. Ses deux petites têtes brunes ont pris mon cœur et le remplissent d’amour chaque jour que Dieu fait. Je suis leur tata pâquerette, une idée de leur imbécile de parrain Matéo. Par sa faute, quand je monte les voir, une fois toutes les quatre semaines, ils m’appellent ainsi. Pour les frères Sanchez, la vie n’a pas été facile ces derniers temps, surtout depuis que j’ai mis leur mère derrière les barreaux. Ils ont travaillé dur pour tout réorganiser dans leur Trafic. La mama a été condamnée pour complicité de meurtre, elle a commandité l’assassinat de leur père, et a écopé de six ans de prison ferme. Je sais grâce à certains de mes contacts en prison, qu’elle dirige son bloc, tout le monde la respecte. Elle a toujours eu un sacré charisme et sa notoriété n’est pas à refaire. Il était évident que ses co-détenues allaient se mettre à genoux pour trouver grâce à ses yeux. Sinon, dans la vie de Matéo rien ne change. J’ai du mal à le comprendre. Quand il a su que j’étais mutée, il était tendu et sur les nerfs. Lorsque je leur rends visite, il tente le tout pour le tout puis dès que je repars on ne communique plus que par SMS. Il lui arrive de m’envoyer un message par-ci par-là, ce n’est pas un texto écrit, non lui, il est plus photo, avec toujours son brin d’arrogance. Il m’envoie parfois ses abdominaux pour me provoquer ou alors les putes qu’il saute pour que j’enrage. L’excès “made in Matéo”, il ne fait jamais rien dans les normes et, bon sang, qu’il m’énerve. Du coup je lui réponds de la même manière, je lui envoie les fesses de mes plans cul. Cette famille va me rendre chèvre. Je sors de mon lit, prends ma douche et je pars, direction le bureau. Il fait bon en ce mois de Mars, la température affiche dix-huit degrés, le soleil se bat avec les nuages qui se gorgent d’eau et nous arrose d’une pluie fraîche. Ce que j’aime dans cette ville en comparaison à Medellín, c’est cette odeur de café. Pereira est la ville de cet arabica. Notre petite métropole est appelée “Eje cafetero” qui veut dire la région du café. J’ai à peine, descendu et traversé la rue, que je m’arrête en acheter à mon vendeur habituel. Je déguste mon petit corsé pour attaquer la journée, puis direction le marchand de fruits pour, cette fois, demander un chontaduros. C’est un fruit qui a des vertus aphrodisiaques, on ne peut pas venir à Pereira sans goûter à nos deux mets traditionnels. C’est commettre un impair de ne pas se laisser tenter. Surtout pour les touristes, qui sont vus d’un mauvais œil, s’ils refusent. Vous en trouverez à tous les coins de cette cité. Je me dirige ensuite à la station de bus, pour rejoindre mon job. Je pénètre dans la tour grise, qui abrite les locaux de la police, puis prends l’ascenseur. L’odeur du vieux bois envahit mes narines, je me rends à mon casier, me change, pose mon téléphone, quand celui-ci m’indique la réception d’un message.
[Inconnu :
Tu ne m’échapperas pas, jamais !]
J’efface et ne prends pas en compte ce genre de menace. Ça fait deux semaines que je reçois ce genre de sms, si cela était sérieux, il y a bien longtemps que la personne serait passée à l’acte. Je suis persuadée qu’il s’agit d’un de mes plans cul qui ne digère pas d’avoir été jeté. Il m’en faut beaucoup plus pour m’effrayer. Je vais rejoindre mon bureau, je m’assois et regarde sur mon ordinateur si j’ai des nouvelles de mon affaire en cours. Je suis sur un gros coup, on a découvert une cargaison de cocaïne dans un hangar, et par chance, nous avons trouvé une empreinte. J’attends des nouvelles de la scientifique, pour savoir s’il y a une correspondance dans nos fichiers. Stefano, mon collègue, arrive avec une enveloppe vers moi. Cet homme grand, brun, légèrement en chair, mal rasé, des cheveux mi-longs attachés en une queue de cheval, est loufoque, mais c’est un personnage haut en couleur.
— Tiens ! C’est pour toi, livré à l’instant par un coursier, me lance-t-il gaiement.
Il me fait une bise prolongée sur la joue, comme à son habitude. Son haleine mentholée envahit mon espace. Je le remercie, en mettant de la distance entre nous, ça le fait marrer comme un gosse. Il sait que je ne supporte pas toutes ses marques d’attentions et il s’en amuse, juste parce qu’il adore me voir m’énerver. Quand j’ouvre ce courrier, ce sont des dizaines de photos qui s’étalent sur mon bureau. Moi, avec un homme, au restaurant, en boite de nuit, en voiture, en tenue de travail… bref, tout pour effrayer, ça commence à devenir sérieux. Je vais être obligée de mener mon enquête, alors que personnellement, j’ai autre chose à foutre. Mon collègue me regarde, déboussolé, en observant les clichés.
— Céani, merde ! C’est quoi ça ? s’inquiète ce dernier.
— Rien ne t’en fais pas, je vais régler ce problème, le rassuré-je, n’y croyant pas trop moi-même.
— Tu devrais en parler au boss.
— Stop ! N’en parle à personne. C’est un ex, c’est certain, je vais gérer, promets-moi de ne rien dire au chef.
— Très bien, mais ne prends pas trop de risques et fais le nécessaire pour que ce taré soit derrière les barreaux.
Au même instant, nous sommes interrompus par une notification provenant de mon pc. Je viens de recevoir un mail, je l’ouvre et yes ! L’empreinte à une correspondance et pas des moindres, le plus gros revendeur d’un des barons de Pereira. Ce n’est pas son bras droit, mais on a, au moins, de quoi les désorganiser quelque temps, et en prime je sais où le trouver.
— Bonne nouvelle, Stefano ! Prépare une équipe, on va cueillir Omar Dos Santos.
Il me regarde satisfait et va rassembler nos troupes. Il informe également les indics pour connaître la position de ce dernier, et grâce à ma chance légendaire, il est chez lui. Quand nous sommes prêts, nous montons à bord de notre véhicule de fonction, direction les carreras, quartier plutôt craignos de la ville. Quand nous arrivons devant la maison d’Omar, nous ne perdons pas de temps, afin de ne pas nous retrouver dans un guet-apens, à la suite de l’afflux possible des gamins du quartier et du cartel. Ni une, ni deux, nous pénétrons dans sa maison, sans ménagement. Les gars le chope encore au lit et lui passent les menottes.
— Putain, toi ! Mais qu’est-ce que j’ai fait encore, sale pute ?
— Ta gueule ! Tu le sauras bien assez tôt.
En peu de temps, l’opération est bouclée, le suspect arrêté. C’est une victoire de plus pour moi, mon chef va être content. De retour au boulot, nous recevons les félicitations de nos collègues. En salle d’interrogatoire, le suspect nie tout en bloc malgré les preuves accablantes retrouvées sur la cargaison que nous avons découverte. Je passe ma journée à l’interroger, encore et encore, mais il ne lâche rien. En dormant en cellule, il va peut-être réagir, même si je sais que la loi du silence prédomine. J’aurais au moins son empreinte à charge. Avec le gouvernement qui fait la chasse au grand banditisme, il risque fortement de partir en prison dès demain.
Je rentre chez moi, prends une bonne douche et appelle Alana.
— Hey ! Céani, ça va ?
— Ça peut aller, comment vont mes petits anges ?
— Ils me font vivre un enfer, mais ils vont bien, me répond-elle, à bout de nerf.
— S’ils sont aussi terribles que leur père et caractériels que leur mère, vous avez juste récolté ce que vous avez semé.
— Ouais! bin, il y a des jours où j’aurais aimé qu’Em ne me fourre pas sa…
— Stop, c’est bon ! je veux pas savoir, la coupé-je en rigolant.
Al’ me questionne pour savoir comment se passe le travail.
— Comme d’hab’, j’enferme les méchants, j’ai eu un gros poisson aujourd’hui, le seul et unique Omar Dos Santos, tu peux en informer ton mari, il va être content que j’affaiblisse la concurrence.
— Oui, c’est certain, même si leur business n’est qu’une partie de celui de mon homme. Je vais devoir te laisser, mes monstres m’attendent pour le bain.
— Je...non..ok .
— Est-ce qu’il y a quelque chose que je dois savoir ?
— Ce n’est pas important, laisse tomber, occupe-toi des enfants, tu as d’autres soucis à régler.
Je préfère ne pas la mêler à mes ennuis mais comme d’habitude elle me cuisine. Je résiste autant que je peux mais je finis par craquer et me confier.
— Depuis deux semaines, je reçois des menaces par messages, et aujourd’hui à mon bureau, un coursier m’a apporté une enveloppe remplie de photos de moi. Je suis surveillée. Je ne sais pas par qui, mais je vais le découvrir.
— Je dois prévenir Emilio.
— Non, tu as fait une promesse. Et en plus, après, il va prévenir Matéo qui va se réjouir de croire que j’ai besoin de lui.
Elle me rappelle mes responsabilités en tant que marraine des enfants. Je la rassure en lui promettant d’avertir les frères Sanchez si ça s’aggrave.
— Très bien, comme tu veux, se résigne-t-elle.
— Comment va Matt’ ? demandé-je, indiscrète.
— Eh bien, en ce moment, notre tête de cul adorée, a décidé de se poser avec la même nana, et ça fait déjà trois semaines que ça dure, tu sais qu’il m’impressionne.
— Ah… c’est étrange, suis-je, ennuyée par sa réponse.
— Je ne sais pas ce qu’il lui prend pour tout te dire.
— Je dois raccrocher, à plus tard.
Je ne lui laisse pas le temps de me répondre, elle comprendra, ça me bouleverse légèrement de savoir que Matéo se tape la même nana depuis plusieurs jours. Moi qui voulais passer la soirée à regarder la télé, c’est raté. Je suis blessée alors je mets ma plus belle robe pour sortir. Ce soir, c’est décidé, je vais boire et ramener un nouveau mec dans mon lit. Je prendrai son cul en photo et je l’enverrai au cadet des Sanchez pour me venger de cette révélation. Même à six heures l’un de l’autre, il arrive à me mettre dans un état de rage. Je ne me contrôle plus quand c’est comme ça, j’ai besoin de plaisir pour me le sortir de la tête, le temps d’une nuit. Quand je repense au moment où je me suis engagée dans la police, pour lutter contre tous ces trafiquants et à ma rencontre avec Matt’, je me dis que la ligne rouge a déjà été largement franchie. Moi qui avais promis en devenant flic, de ne jamais tomber du mauvais côté, je me suis totalement plantée. Je suis amie avec des putains de mafieux ! Mon cœur bat, plus particulièrement, pour l’un d’eux, mierda ! Tout le contraire de mon engagement.
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