Chapitre 2 (1/2)

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 – Sett, dépêche-toi! Tu es vraiment mollasson.
 – Pourquoi tu m’as réveillé si tôt le matin de Noël? grommela l’enfant. Le seul jour de l’année où il n’y a pas école.
 – Max nous attend, je lui ai promis de lui faire découvrir nos étages.
 – Tu as quoi avec ce mec, on le connaît seulement depuis quelques semaines et on le voit presque tout le temps.
 – Il est gentil et a l’air d’avoir besoin d’aide. En plus, vous devez avoir le même âge, tu ne voudrais pas devenir son copain?
 – Et toi alors? Tu traînes qu’avec moi, tu as quel âge dans ta tête?


 Cette pique atteint Zack de plein fouet. Le solitaire qu’il était n’aimait pas la compagnie des gens de la Tour, encore moins celle de ses conscrits dont il ne partageait pas les centres d’intérêt.


 – Tais-toi ou je t’abandonne.
 – Si tu fais ça le jour de Noël, le Créateur te punira.

 Un petit rire discret leur signala que leur ami venait d’arriver.


 – Salut Max, lancèrent les garçons en cœur.
 – Coucou, leur répondit-il timidement.

 Zack tendit la main vers son frère.

 – Tiens, je t’ai apporté les restes de notre repas d’hier. Ça ne te ferait pas de mal de remplir ce t-shirt.
 – Merci, dit-il d’une voix fluette.


 Zack continuait d’agiter sa main vers Sett. Il finit par s’impatienter.

 – Tu vas me donner le sachet ou il faut que je l’attrape moi-même?
 – De quoi tu parles?
 – Des biscuits que je t’ai confiés ce matin.
 – Mais je les ai mangés moi.
 – Quoi? Pourquoi? l’interrogea-t-il. J’amène toujours nos restes à Max.
 – J’en sais rien moi. Tu m’as levé super tôt, j’étais pas réveillé et tu m’as tendu un paquet de gâteaux secs. Je croyais que tu me les offrais pour le jour du Créateur.
 – J’avais besoin de mes deux mains pour ouvrir la grille. Jusqu’à présent on faisait comme ça et tu n’engloutissais pas tout.
 – Mais d’habitude c’est pas Noël. Tu sais bien, toutes ces bonnes odeurs, moi ça me donne faim.


 Le ton monta entre les deux frères et Max intervint timidement.

 – C’est pas grave les garçons, j’ai déjà mangé avant-hier. Puis j’ai pas faim aujourd’hui.


 Comme pour le faire mentir, son ventre émit un grognement qui résonna dans le conduit.

 – Je suis désolé Max, je n’ai pas fait exprès.

 Le visage du glouton se décomposa comme chaque fois avant qu’il n’éclate en sanglots.

 – Ce n’est rien Sett, je te promets. Je suis habitué. Je mangeais bien moins souvent avant de vous connaître. Puis comme ça, vous verrez que je passe du temps avec vous même si vous ne me nourrissez pas.


 L’enfant essuya d’un revers de manche son nez qui commençait à couler et son frère lui mit une tape derrière la tête.

 – Tout ça car tu ne penses qu’avec ton estomac. À la vitesse à laquelle tu prends du poids, tu ne rentreras bientôt plus dans le conduit.
 – Maman dit que je suis en pleine croissance. C’est pour ça que je grossis, je fais des réserves pour grandir.
 – Et pourquoi es-tu le seul garçon de ta classe à faire une réserve de cette taille?
 – Parce que les autres ne connaissent pas encore les chemins secrets qui mènent aux cuisines.

 Le jeune glouton s’esclaffa. Alors que son frère secouait la tête de désespoir.

 – De toute façon, c’est de ta faute, c’est toi qui m’as montré ces passages. Et puis papa et maman ne gagnent pas assez de points de rations. Et..
 – Et tu es en pleine croissance, oui, je sais.

 Zack se tourna vers Max.

 – Bon, ça te dit de visiter? Des étoiles plein les yeux l’autre acquiesça. Par contre, on devra rester dans les conduits, ça serait trop risqué sinon.


 Les garçons commencèrent donc à lui présenter leur étage. Il était disposé comme tous ceux de la Tour. Les ingénieurs de l’époque n’avaient pas mis d’excentricité dans la conception de la structure, ils avaient pour objectif de préserver un maximum de vie. De manière circulaire sur le segment extérieur — celui comportant des fenêtres — se situaient les zones d’habitations et les parties communes, comprenant les réfectoires, bibliothèques, salles de sport ou encore de jeux. Cette structure avait été pensée pour optimiser l’exposition au soleil des occupants de la future Tour. Toutefois, suite aux contraintes de temps quant à la construction de plus de tours, afin d’accueillir plus de gens. Les premières à être érigées s’étaient fait remodeler. Finalement, seul un tiers des logements profitait d’une vue sur le nuage. Ainsi, beaucoup d’Intermédiaires envahissaient les parties communes, unique moyen de jouir d’un bain de soleil, ce qui les rendait invivables.


 Séparées des zones d’habitations par un immense couloir, se trouvaient celles d’activité ; usines, ferme d’élevage ou agricole, bureaux et entrepôts. Chaque étage possédait sa spécificité. Celles situées au plus bas disposaient des industries les plus éprouvantes et les plus polluantes. La palme revenait à celle encore en activité en-dessous.

 Là où résidaient les deux frères, ils étaient spécialisés dans le recyclage. Leur père travaillait dans cette industrie, comme son père avant lui et même s’il s’agissait d’un métier difficile qui ne rapportait pas énormément de points de rations, il se targuait d’accomplir cette activité essentielle.


 Max était ébloui par ce qu’il découvrait. En-dessous, il n’existait pas de zones. Les gens dormaient où ils pouvaient. Parfois à même le sol au milieu des couloirs. Il n’y avait pas de parties communes baignées de soleil. Ils vivaient trois cent soixante-cinq jours par an sous des lumières artificielles fades. Par endroits, il n’y avait même plus d’éclairages. Cette fonction était désormais exécutée par des lampes de sécurité rouges, présentent sur tous les murs. Servant habituellement de veilleuse nocturne après le couvre-feu, ou encore d’éclairage à l’intérieur des conduits, elles peinaient à accomplir leur rôle dans des espaces ouverts.


 Le jeune garçon était impressionné par la propreté des lieux, mais aussi l’entretien minutieux y étant effectué. Que ce soit dans les zones conventionnelles ou dans les kilomètres de boyaux alternatifs que comptait la Tour, il n’y avait pas une plaque de détachée, pas une soudure affaiblie ou une vis manquante, pas un centimètre de rouille. Les Intermédiaires ne devaient même pas savoir ce qui se cachait derrière le métal blanc qui tapissait leur habitat.


 Tandis qu’ils passaient au-dessus d’une vaste salle, Max s’arrêta. Là, derrière une grille de quelques millimètres d’épaisseur seulement, un groupe d’enfants de son âge était en train de jouer. Une profonde colère s’éveilla alors en lui. Pourquoi est-ce qu’en-dessous ils n’avaient pas le droit de vivre une telle candeur? Ses mains, tenant la grille, se mirent à trembler. La faisant vibrer par la même occasion. Ceux d’en bas qui avaient entendu le bruit se contentèrent de saluer l’intrus dissimulé un peu plus haut.


 – Max, suis-moi!

 L’aîné avait fait demi-tour pour venir récupérer le retardataire. Une boule de rage bouillonnante en lui, le garçon suivit son guide sans mot dire. Quelques mètres plus loin, Zack détacha une trappe, puis il aida les deux plus jeune à descendre.

 – Zack, si tu m’as levé aussi tôt le jour du Créateur pour m’amener dans ma salle de classe, je jure de me venger. Un jour, je serais suffisamment grand et je me vengerais.


 Leur ami s’amusa de cette menace qu’il savait vaine et observa les alentours. Dans cette pièce sans fenêtre, était disposée en cercle une dizaine de bureaux et de chaises en direction du centre où trônait un ventilateur complètement désossé. Les murs présentaient, des affiches indiquant les différentes filières professionnelles étaient placées au côté d’autres évoquant les règles en vigueur ainsi que l’importance du respect des autres individus et de l’autorité de la Tour. Sur chacune d’entre elles, on pouvait apercevoir un mini personnage qui changeait de tenue selon le message qu’il souhaitait faire passer.


 – C’est qui? demanda Max en pointant le bonhomme miniature qui rappelait qu’il ne fallait pas briser les vitres pour le bien de tous.
 – C’est le mini créateur, c’est lui qui nous apprend à vivre. Répondit Sett avec une voix qui trahissait une profonde admiration.


 Devant l’air perplexe de leur ami, Zack entreprit de lui expliquer.

 – Le créateur est l’homme qui a sauvé nos ancêtres en construisant les tours pour nous protéger du nuage. Il y a des bustes et des posters à son effigie partout.
 – Et le mini-lui?
 – Les adultes s’en servent pour nous enseigner plein de choses, par exemple regarde celle-là.


 Zack prit place devant une affiche sur laquelle plusieurs mini, certains déguisés en gardes d’autres en civils, frappaient un individu au sol.

 – Cette affiche nous apprend qu’on doit toujours soutenir la Kustodia et les aider si possible pour empêcher les méchants qui veulent déstabiliser la Tour.
 – L’homme à terre, on dirait quelqu’un comme moi.
 – Hein?
 – On dirait un d’en-dessous.


 Les garçons se penchèrent sur la scène avec attention et remarquèrent que la victime des coups avait l’air plus sale et plus pauvre que les créateurs.

 – Je.. Pardon, je n’avais jamais réalisé, s’excusa Zack.

 L’autre se contenta de hausser les épaules, il connaissait la haine que leur vouaient ceux des étages aux dessus.


 – Sais-tu pourquoi je t’ai amené Max?
 – Non.
 – Ici, c’est la salle de cours de Sett, il va y apprendre de nombreuses choses pendant les prochaines années. Je pensais que tu pourrais rester dans le conduit pour étudier avec lui. Bien sûr, tu ne te trouverais pas exactement dans la classe et ça sera peut-être long et ennuyeux. Mais regarde, en ce moment, ils apprennent l’entretien des ventilateurs.
 – Zack, tu es idiot. Aucun enfant ne veut venir de son plein gré. C’est déprimant et on ne comprend pas grand-chose à ce que disent les adultes.
 – Ça, c’est parce que tu es bête, rétorqua l’aîné sèchement. D’ailleurs, tu vas devoir fournir plus d’effort sinon tu ne pourras jamais choisir le travail de tes rêves.
 – Si c’était aussi bien l’école, tu crois qu’il pleurerait?


 Les yeux de Max s’embrumaient, il baissa la tête pour cacher ses larmes avant de murmurer.

 – Merci.
 – Merci? Attends, il a dit merci? Je… Pourquoi Max?
 – Sais-tu lire? Sais-tu compter, démonter un ventilateur ou je ne sais quoi, renifla-t-il. Parce que moi, non.
 – Oh… le remords s’empara du garçon. Si tu veux, on aura qu’à étudier ensemble. Je suis pas très malin, mais je t’aiderai.
 – Je vous aiderais tous les deux, proposa l’adolescent alors qu’il prenait déjà appui sur une table pour retourner là d’où ils venaient. Allez, dépêchez-vous. La visite n’est pas terminée.


 Pendant la marche qui suivit, Sett débitait toutes ses connaissances dans l’espoir que Max en apprenne autant que possible.

 – Sett, doucement, tu commences à parler trop fort, tu vas nous faire repérer.
 – Pardon, dit-il l’air penaud.
 – Ce n’est rien, de toute façon on est arrivé. Regarde Max, ici c’est la bibliothèque.
 – Wow, tous ces livres, j’en avais jamais vu autant.


 En contrebas, à quelques mètres d’eux, sur une étagère métallique à trois niveaux, trônaient une cinquantaine d’ouvrages disposés de manière disparate. Chacun d’eux était un manuel ayant reçu l’approbation de la Kustodia et de la Chancellerie.

 – Vous avez le Roi Lion? demanda Max.
 – Qu'est-ce que c'est? questionna l’aîné.
 – C’est une histoire qui parle d’un lion qui fait des bêtises.
 – Un lion? insista Zack dont la curiosité avait été piquée.
 – C’est le roi des animaux.
 – Ça n’existe pas, affirma Sett. J’adore l’encyclopédie des animaux et le lion n’existe pas. En plus, tu ne sais pas lire, comment tu peux connaître une histoire?
 – Les histoires, ça peut aussi se conter. Mon père aimait me raconter celle-là. Il me disait que son père la lui racontait quand il était enfant.
 – Ça n’existe pas, répéta Sett.
 – Si ça existe, rétorqua Max. Ils vivaient avant le nuage, c’est pour ça. Vous n’avez pas tout ça dans vos livres?
 – Non, répondit Zack la tête basse. Nous ne possédons que des manuels en rapport avec la Tour.
 – Oui, mais tu te souviens? Une fois, on a trouvé un livre, s’exclama Sett des étoiles plein les yeux.
 – Je me rappelle, Renaud le Chasseur de Nuage. Il détenait le pouvoir de marcher sur le nuage et il combattait des monstres qui vivaient cachés dedans. On la lut ensemble plusieurs fois d’affilée, mais un jour notre mère nous a surpris et la détruit.
 – Elle veut jamais qu’on s’amuse, pesta le cadet.
 – Tu sais bien qu’elle cherchait à nous protéger. Elle avait peur qu’on se fasse prendre, c’est tout.


 Les trois restèrent silencieux puis Max commença à leur conter le récit de Simba, le lionceau farceur, qui avait accidentellement tué son père. Il expliqua aux garçons que la morale de l’histoire était de ne pas faire de bêtise et de toujours obéir à ses parents. Il leur apprit que tous les récits pour enfants disposaient d’une morale. Il allait leur raconter la légende de Pierre et le Nuage, l’adolescent expulsé de la Tour après avoir fait plusieurs fois semblant, quand les senteurs des cuisines les interrompirent.

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