Chapitre 2 (2/2)

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 La nourriture intermédiaire était une douceur au nez et au palais de Max. Mais cette fois-là, c’était encore plus enivrant. L’odeur qui emplissait ses narines lui demeurait inconnue.

 – Ça sent bon. Qu'est-ce que c'est?
 – Le repas de Noël, le meilleur de l’année. Aujourd’hui, tout le monde profitera d’un peu de viande, dit Sett, la bave aux lèvres. Le jour du Créateur, on a même droit à des sucreries, continua-t-il en prenant la direction de la cuisine la plus proche.


 Les deux autres n’eurent d'autre choix que d’essayer de le suivre. Quand ils arrivèrent au-dessus de la cuisine, la grille avait déjà été forcée par Sett qui était en train de plonger ses mains dans différents pots.

 – Mais que fais-tu? Si l’on t’attrape, on est foutu. Tout ça à cause de ta gourmandise.
 – Mais non, c’est pour Max. Je suis persuadé qu’il n’a jamais mangé de viande de Noël ou de pâtisseries au miel et comme j’ai mangé ses biscuits, je me suis dit que je pourrais me faire pardonner.
  – Tu es donc un gentil idiot. Dépêche-toi de revenir avant que quelqu’un n’entre.


 Sett réalisa un baluchon avec un torchon qui recouvrait un plat garni de gâteaux au miel. Il le remplit de viande en sauce et de pâtisseries et le jeta dans la trappe avant de s’y diriger.

 – Mince, je n’ai pas pris de pain.
 – On n’a pas le temps pour ça, remonte!
 – Juste une seconde.


 Le garçon fit demi-tour et courut à l’autre bout de la cuisine où un énorme pain, tout juste sorti du four, reposait. Au moment où il s’en saisit, des voix résonnèrent de derrière la porte. Surpris, Sett s’efforça de repartir dans la direction du conduit. Il glissa sur le sol, s’écrasant lourdement sur le mets subtilisé.


 Zack bondit de son perchoir, pour aider son frère. Il entreprit de le pousser, pour le hisser plus vite, pendant que Max faisait de son mieux pour essayer de le tirer.

 – Tu vas devoir faire un régime, je n’arrive pas à te remonter, pesta Max qui y mettait toutes ses maigres forces.


 Le glouton, les mains couvertes de gras, échappa celles de son ami et bascula en arrière, emportant son frère avec lui. Ils peinaient à se relever quand la porte s’ouvrit derrière eux.

 – Mais qu’est-ce que vous fichez ici?
 – Maman, s’exclamèrent les deux frères alors que cette dernière refermait vivement derrière elle.
 – Répondez à ma question!
 – Je voulais rapporter des sucreries à…
 – Pour plus tard, il voulait des sucreries pour plus tard, coupa Zack. Cet idiot s’est retrouvé bloqué.
 – Tu dois le surveiller et l’empêcher de faire ce genre de bêtise. Tu vas entendre parler de moi ce soir.
 – Pardon maman, dit-il la tête basse.


 Une voix appela la mère des deux enfants au loin. Elle aida rapidement Zack à soulever son cadet pour qu’il prenne appui dans le conduit puis il monta directement à sa suite rabattant la grille derrière lui.

 – Filaient d’ici, leur siffla-t-elle à l’instant ou la porte s’ouvrait derrière elle.


 Max, qui s’était caché, et Sett s’évanouirent en un instant. Zack, lui, regarda un moment sa mère essayer de justifier le pain écrasé au sol, ainsi que les différentes réserves de nourriture pillées. Il rejoignit les deux autres qui étaient déjà en train de se partager le butin.

 – Sett, on y va.
 – Quoi? Mais on vient juste de commencer à manger.

 Zack attrapa violemment le bras de son frère et le tira.

 – Je ne répéterai pas.

 Le garçon ne l’avait jamais vue dans cet état. Devant son sérieux et sous la pression qu’il imposait, il lâcha ce qu’il avait en main et le suivit.

 – Merci, lança Max la bouche pleine de gâteaux au miel alors qu’ils disparaissaient.


 Après quelques minutes de marche dans un silence lourd, ils regagnèrent leur alcôve.

 – Tu te rends compte de ce que tu as fait?
 – Mais ce n’est rien, maman va nous gronder et ça sera réglé. Personne ne nous a surpris. On aurait dû tout manger, qu’on ne se fasse pas punir pour rien.
 – Ça aurait pu mal tourner, il faut que tu comprennes que tes actions ont des conséquences. Sett, tu ne peux pas continuer à agir aussi imprudemment.
 – Maman va avoir des problèmes?

Oui.


 Zack avait envie de confronter son frère à ses actes, de le bousculer, qu’il saisisse à quel point ils avaient frôlé la catastrophe. Mais il n’y parvint pas, au fond de lui, il se sentait responsable.

Il n’y peut rien, j’aurais dû mieux le surveiller, j’aurais dû l’empêcher de descendre en cuisine, tout est de ma faute.

 – Non, maman ne risque rien, mentit-il. Maintenant reste sur ton lit et réfléchi.


 Zack s’allongea juste au-dessus de Sett et imagina les tourments qui attendaient leur mère. Allant de la condamnation à en-dessous, en passant par la mort ou le châtiment du conduit. La Tour savait comment sanctionner les gens indisciplinés.

 La punition du conduit fut celle que choisit son cerveau pour torturer le garçon. Il voyait sa mère, les bras et les jambes écartés et attachés, obligée à survivre là pendant des jours. Le supplice prenait fin quand la purge serait effectuée. À ce moment précis, la Tour aspire une quantité astronomique d’air et la relâche d’un seul coup dans les conduits, tous verrouillés pour l’occasion. Le but de la manœuvre était de nettoyer toutes les impuretés qui risquaient de s’accumuler et d’engendrer des problèmes de fonctionnement. À cause de la pression terrifiante, il arrivait souvent que des condamnés perdent un membre qui se serait déchiré sous la puissance du souffle. En réalité, bien peu de gens survivaient à cette condamnation.

 Le garçon imagina sa mère ballottée, hurlant, suppliant pour sa vie. Les poignets et les chevilles en sang à cause des liens.

Je dois la sauver.


 Zack quitta prestement l’alcôve sans dire un mot à son frère et fonça en direction du bureau du responsable de l’étage. Fermement décidé à se dénoncer pour épargner sa mère, l’adolescent traversa les couloirs d’un pas rapide, ignorant les salutations de ses voisins. Arrivé à destination, il se figea. Tout le monde savait qu’il n’y avait aucune bonne raison d’être confronté à un responsable d’étage. Il resta devant la porte le séparant de son but à peine un instant, mais cela lui sembla durer des heures.

 – Tu as besoin de quelque chose mon garçon? demanda un homme, les bras chargés de douceurs tout juste sorties des cuisines.

 Zack hocha négativement puis s’assit contre le mur, mettant sa tête entre les genoux. L’autre le regarda bizarrement puis entra.


 – Patron.
 – Personne ne t’a appris à toquer? Espèce d’abruti.
 – Je..

 L’homme esquiva de justesse une énorme agrafeuse qui se fracassa juste au-dessus de Zack puis recula précipitamment.

 – Le responsable est occupé, tu devras repasser plus tard mon garçon, se contenta-t-il de dire avant de repartir aussi vite qu’il était venu, perdant au passage plusieurs morceaux de sa pyramide de pâtisseries.


 La porte n’ayant pas été claquée, Zack entendait maintenant ce qui se disait à l’intérieur.

 – Donnez-moi vos complices et je vous protégerais.
 – Je ne peux rien faire pour vous. Ma chef m’a envoyé en cuisine. Vous pouvez le lui demander. C’est un pur hasard que je sois la première à y entrer après le vol.
 – Alors, pourquoi ne pas avoir averti vos collègues? Pourquoi avoir attendu qu’elles entrent dans la pièce et constatent toute cette histoire par elles-mêmes?
 – Je n’ai pas découvert le larcin immédiatement. Vous savez, j’ai beaucoup de soucis avec mes garçons. Zack a sa sérénade dans quelques semaines, donc je pensais à lui et c’est quand j’ai buté dans le pain écrasé au sol que j’ai remarqué que l’on avait été visitée. Les autres sont arrivées à ce moment-là. Je vous jure que je n’ai rien fait, le Créateur m’en soit témoin.
 – Ne jurez pas sur le Créateur, je sais que c’est vous.
 – Mais comment? Je ne suis restée qu’une ou deux minutes toute seule dans la cuisine. Les autres ont vérifié, je ne cachais rien sur moi.
 – Je m’en contrefous. Si ce n’est pas vous, qui cela peut-il bien être? On va me demander des comptes. Et je n’ai pas l’intention de dire à mes supérieurs que nous ne détenons aucune trace des coupables.
 – Mais…
 – Ça suffit, à partir d’aujourd’hui vous ne toucherez que la moitié de vos points de rations pour vos services à la Tour. La seconde nous reviendra, pour la gestion de l’étage.
 – NON! C’est impossible, vous ne pouvez pas faire ça. Nous nous en sortons déjà à peine, comment vais-je nourrir mes garçons avec moins de points?
 – Connaissez-vous la condamnation habituelle pour un vol?
 – N’y a-t-il aucun moyen de nous entendre? La mère de Zack venait d’adopter un ton mielleux. Elle se déplaça lentement dans le bureau. J’ai ouï dire que si l’on se montrait généreuse avec vous, vous saviez nous rendre la pareille.

 L’homme éclata d’un rire gras.

 – Je peux effectivement me montrer reconnaissant. Et même très reconnaissant.


 Un frisson de dégoût envahit l’adolescent, toutes forces ayant abandonné son corps.

 – Mais vous savez quoi? Des mets de luxe se présentent à moi tous les jours, pensez-vous réellement que je prendrais le risque de perdre mon poste pour un bout de pain rassis comme vous.

 Elle explosa en sanglots.

 – Je vous en supplie, j’exaucerais tous vos désirs. Tout ce qu’elles n’oseraient jamais effectuer. S’il vous plaît, pensez à mes enfants.
 – Si vous êtes incapable de nourrir vos mômes, il ne fallait pas en faire. Maintenant, quittez mon bureau.


 Zack se redressa et se mit debout devant la porte, droit comme une plaque de métal.

 – Zack, que fabriques-tu ici?
 – Je viens d’arriver. Je voulais parler au responsable.

 Zack observa avec rage le quadragénaire obèse qui était avachi derrière son bureau.

 – Pourquoi? demanda-t-elle en essayant d’essuyer son visage aussi discrètement que le permettait la situation. Tu n’as aucune raison d’être là, tout est réglé, ils savent très bien mon innocence. Le chef s’est montré très compréhensif.
 – Ah... Je suis rassuré.


 La femme serra son fils dans ses bras, ne le lâchant pas avant d’interminables minutes. Le garçon ne pouvait pas avouer à sa mère qu’il avait assisté à la scène. Comment aurait-il pu lui dire ce qu’il avait entendu?

 – Viens, on va chercher ton frère avant d’aller à la cérémonie du Créateur.
 – On n’est pas puni?
 – Demain. Aujourd’hui, il faut profiter.
 – Merci maman.


 Ils marchèrent silencieusement de longues minutes.

 – Maman.
 – Oui?
 – J’ai décidé ce que j’allais faire après ma sérénade.
 – Ce n’était pas déjà le cas?
 – Non, j’hésitais encore, mais j’ai choisi. Je vais commencer à travailler dans les conduits.
 – Et tes études?
 – En fait, je me dis que cinq ans de formation de plus c’est trop pour moi. Je préfère rejoindre les conduits le plus tôt possible.
 – Tu es sûr de toi?
 – Bien sûr. En plus, tu as vu comment Sett grossit. Si je ne rapporte pas des points de rations, il va bientôt bouffer la Tour.
 – Pardon?
 – Manger la Tour.

 Elle se contenta pour toute réponse d’une tendre caresse sur la joue de son fils.

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