2 - Le passé est révolutionnaire
A la fin du 19ème siècle, les mouvements ouvriers s'organisent en syndicats inter-professionels. Au lendemain de la Commune et à la naissance du socialisme scientifique de masse, l'heure est à la guerre de classes. La vieille bourgeoisie se servant à l'époque du chantage matériel et de la matraque, la réunion ouvrière devient elle même un enjeu de lutte, un privilège qu'il fallait conquérir par l'organisation.
A cette époque ont fleuri les bourses du travail par une coordination nationale de confédérations. On y logait bien sûr les syndicats, mais aussi l'administration de mutuelles ouvrières, de chômage, d'assurance décès. Des bibliothèques des philosophes, des marx, des proudhons étaient à disposition de tous. La nuit, l'animation milittante continuait par des cours du soir, là ou l'éffervescence politique n'avait nulle restriction, où l'on ne se cachait jamais de la volonté politique révolutionnaire derrière chaque entreprise - tous savaient pourquoi ils étaient là.
La bourse du travail était un symbole menacé de liberté devenue un centre cardiaque d'une classe enfin réunie. Là, devant l'ensemble des ouvriers, il y avait une preuve matérielle de leur puissance commune. C'était un lieux de fierté, de passions : à l'intérieur, on habillait l'espace par de grandes fresques sur le travail, par des livres et des drapeaux : dans le seul but de rappeler l'orgueil et la force ouvrière. A l'intérieur, on se sentait capable de construire un autre monde - dans la rue, dans les manifestations, ce sentiment était contagieux - et ceux là qui avaient passé leurs nuits dans ce lieux devenaient capables de convaincre, de bloquer leurs usines, d'affronter les forces armées.
Tant était possible à l'époque. La contestation de masse s'offrait même le luxe d'être d'une parfaite radicalité : l'anarchisme et le socialisme étaient de véritables forces conquérantes. Il est impossible aujourd'hui d'imaginer le drapeau noir capable de rassembler les ouvrier, de remplir les rues, d'être menacant pour la classe capitaliste. Mais à l'époque, la violence de la marchandisation affrontait encore les souvenirs - à l'époque, il y avait encore une éducation populaire capable de résister à la propagande d'état : c'est pourquoi les bourses étaient menacées physiquement et les pauvres la défendaient par un même souffle.
La plus grande mesure contre-révolutionnaire fut d'accorder aux syndicats le droit libre et gratuit de se réunir. Les plus naifs d'entre eux la revendiquaient et l'ont fêté comme une victoire, sans comprendre que ces réunions conquises offraient bien plus de force dans leurs symboles que dans leurs faits. Être violenté alors qu'on voulait accéder à l'éducation, c'était la preuve du besoin de révolte. Dès lors, tous étaient accueillants face aux théories révolutionnaires. La contre-culture était constamment légitimée, le feu abondamment alimenté à chaque répréssion. Mais dès lors le droit à la réunion accordée, nous avons perdu cette toute première porte, cette injustice si nécéssaire à l'ouverture intellectuelle. L'état nous a désarmés.
Que l'ennemi joue aux alliés, voilà le drame qui met fin aux guerres. La bourgeoisie à su détruire minucieusement l'ambiance révolutionnaire - et cela est, en vérité, l'ensemble même du combat . C'est elle qui décide qu'une éléction est remportée largement par des monarchistes en février 1871 puis par des socialistes radicaux l'été venu, quand elle est assurée sous le drapeau rouge.
Qu'en est il aujourd'hui de la révolution ? Qu'avons nous aujourd'hui à perdre par le maintient de l'ordre capitaliste ? Tout. Chaque projection heureuse dans le temps doit nécéssairement se faire hors de toute considération capitaliste : aucune rationalité dans aucun domaine humain ne peut justifier l'absence d'impératif révolutionnaire : absolument tout nous pousse au renversement total des jeux de puissance, à l'instauration d'une nouvelle organisation du pouvoir, à un contrôle radical de la production. Mais rien n'est fait, toutes les nécéssités sont éttouffées : le désir de révolte, pourtant poussé par des instincts forts, est noyé par une culture propagée de la classe dominante.
Quelle culture ? Celle de la bureaucratie : elle rend stérile, elle éteint les passions. Elle se propage aujourd'hui partout par sa pauvreté et son goût de la disparition des véritables enjeux. Les murs blancs et vides, c'était hier encore l'insuportable exception. Avant, les choses étaient plus belles, les jeux de domination s'organisaient par la création de tel symbole de force. Le pouvoir, c'était ce qu'on pouvait contempler. Maintenant, on propage la léthargie, l'ennui, le formalisme. Bien qu'il s'agissent d'un rien, d'une apparente neutralité, la bureaucratie est une méthode de domination de classe - un outil de domination perfide, sans nom, sans revendication, une chose qui rampe jusqu'à nos désirs, pour corrompre instinct et raison, endormir les passions et la nature - une de ces forces rendant impossible l'éducation populaire.
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