Quand nous arrivons près de la poubelle des monstres, je remarque que mon problème ne se limite pas aux poings serrés de James. Ça aurait été trop beau ! Et loin d’être vrai. En sortant du véhicule et m’approchant du loup, je me perds dans ses yeux furieux. Ses iris brillent d’une vive lueur jaune, accompagnée d’un grognement qui émerge de sa gorge.

Génial ! J’adore être au centre d’une petite guerre de mâles en chaleur. Surtout, quand ceux-ci se mettent face à face dans un duel de regards féroces. Ils nous font la totale ! Et je ne suis pas la seule à être désespérée par leur comportement. Lucia les observe en biais, glissant un coup d’œil pleins de sous-entendus à son frère. Puis, elle abandonne et monte en voiture.

— Votre petit jeu va durer encore longtemps ? demandé-je en levant les mains au ciel.

— Tu lui fais confiance, à cette bête à poils ? crache James en pointant Louis du doigt.

— Il rigole, j’espère ! grogne le loup quant à lui, en faisant un pas vers le chasseur.

— Stop ! On n’a pas le temps pour discuter, vous ne croyez pas ? les interrogé-je les mains sur les hanches.

Pour réponses, j’ai le droit à deux hochements de tête, deux soupirs et deux compagnons qui se dirigent vers l’automobile et grimpent à l’intérieur. Vive l’ambiance ! Le loup claque la porte côté conducteur, le chasseur, lui, se jette sur le siège passager. Et moi, alors ? Je rêve, je suis obligée de m’asseoir à l’arrière, entre les deux satyres, telle une enfant encadrée par ses parents. Super, le statut de princesse !

Louis démarre à toute vitesse quand il entend la dernière portière claquée à sa fermeture. L’ambiance est bien tendue et un silence de lomb pnous tient compagnie. Le chasseur guette sa proie, ne la quittant pas une seconde des yeux, tandis que le loup cherche à savoir ce qu’il se passe dans ma tête, me jetant des regards interrogateurs à travers le rétroviseur intérieur.

Je sens qu’il fouille, essayant de creuser et de pénétrer mon esprit pour mieux comprendre ce que je prépare. Mais je ne peux pas le laisser entrer, pas tout de suite… Pas tant que je n’aurais pas de solution pour savoir si James peut vraiment avoir ma confiance. Sauf qu’un gros doute m’habite… Et j’ai besoin d’en parler au loup, même si j’avoue que c’est en totale contradiction avec ce que je viens de penser, il y a deux minutes.

***

— Louis, ne te dirige pas vers le palais, soufflé-je à son esprit.

— Mais… Le voile est juste devant nous, à une minute ! me répond-t-il surpris par ma requête. Ne me dis pas que tu hésites sur la sincérité de ton James, alors qu’il est avec nous ? grogne-t-il.

— Je… Écoute. C’est trop facile, avoué-je. Les chasseurs, même s’ils m’ont menacé, ne sont plus à notre poursuite depuis que James a eu son maître au téléphone, annoncé-je à Louis qui s’agite et se tortille sur son siège. Ne fais rien d’idiot ! lui ordonné-je. S’ils ne nous suivent plus, c’est qu’ils ont accompli leur mission. Ils ont fait demi-tour, soufflé-je.

— C’est sa mission ? Te trouver et te suivre… soupire-t-il encore quand je romps le contact.

***

En y réfléchissant, James n’a pas eu l’air si surpris que ça en apprenant mon identité. C’est même le contraire, je dirais. Il a souri, attendant la fin de mon récit. Alors tout ce temps, il a vraiment fait semblant ? Surement. Donc, je sais que j’ai pris un risque en l’amenant avec moi, sauf que je ne pouvais pas en parler à Louis, il lui aurait sauté dessus, sans chance d’explication.

J’entends déjà les paroles du loup quand je vais lui avouer mes soupçons sur les intentions du chasseur. « Pourquoi je ne pourrais pas en croquer un morceau ? » Mais oui, bien sûr ! Goûtons un bout de chasseur ! Et perdre notre seule chance de comprendre ce que souhaite, le cercle des chasseurs… Mais pour le moment, je n’ai pas de plan.

Je suis ramenée à la réalité par une conversation animée entre le loup et James. Au début, je n’y fais pas attention, pensant qu’ils essaient encore de savoir qui des deux a la plus grosse. Leur discussion s’anime de plus en plus, m’empêchant de réfléchir calmement. Je croise les bras attendant qu’ils me remarquent, mais c’est perdue d’avance. Surtout, quand James me prend à partie sans crier gare.

— Dis, Kiera ? Tu es certaine que ton copain le monstre roule dans la bonne direction ? Parce que le voile vers leur monde et dans notre dos, me dit-il avec certitude.

— Qu’est-ce que tu en sais, le chasseur ? Tu as une carte peut-être ? crache Louis entre ses dents serrées. Seuls les monstres peuvent trouver l’entrée de l’autre côté, conclut le loup en faisant un sourire triomphant à James.

— Si, tu le dis… souffle le chasseur.

Il est sérieux, là ? Comment peut-il savoir si on est sur la bonne route ou pas ? A moins que… Peut-être y est-il déjà allé. Non, je divague. Comment un chasseur qui a grandi avec moi pourrait-il avoir déjà passé le voile ? Impossible… Sauf si je me trompe sur la nature de James. Serait-il un monstre ? Non, faut que j’arrête mes délires.

Je soupire, en croissant les bras sur ma poitrine. Entourée des deux satyres, je sens qu’eux aussi sont sur leurs gardes. Pourtant, ces deux-là, ont l’habitude de s’endormir en voiture, sauf qu’à cet instant personne ne va fermer les yeux. Et surtout pas moi. James doit cacher quelque chose, mais quoi ? Trop de questions, nous entourent et je me sens perdue.

***

— Kiera ? me prends par surprise Louis en soufflant dans mon esprit.

— Oui, dis-je hésitante.

— Tu penses que James est un monstre ? Peut-être pas de notre genre, mais… Je me dis que si tu vois mon aura, tu dois pouvoir voir la sienne, murmure-t-il.

— Elle n’est pas visible… Celle de ton frère et de ta sœur, oui. Elle est verte, mais celle de James... Non, avoué-je en hochant la tête négativement.

— Alors, laisse-moi le dévorer, me dit-il avec assurance.

***

Le dévorer ! Nous y revoilà ! Il a perdu la tête, où suis-je simplement en plein rêve depuis le début ? Je me pince pour vérifier, mais non, je ne rêve pas, j’ai bien senti ce petit pincement. Remarque… En y réfléchissant… Je ne distingue rien de l’aura de James, même pas un simple filet de lumière. Alors… Louis n’a peut-être pas tort. Une petite morsure ne fait pas de mal, surtout pour déconcentrer le chasseur.

Louis me fait les gros yeux à travers le rétroviseur quand il comprend que j’ai rompu notre lien. Mais j’ai besoin de trouver… Non, de comprendre pourquoi James, un chasseur et ami qui m’aide voudrait cacher son aura ? Enfin… Il y a bien une réponse à cette question, sauf qu’elle ne me plaît pas. Et j’ai surtout peur d’apprendre qu’une fois de plus on m’a menti.

Soudain, une ampoule s’éclaire dans ma tête, comme si l’évidence me sautait au visage. James est soit, un chasseur avec des capacités hors normes qu’il tente de cacher par le camouflage de sa nature, soit il est un monstre, un de ceux qu’il déteste si bien. Et dans ce cas-là, la seule façon d’en être sûr est, son essence. Cette lumière que dégage notre corps et qui montre vers quoi tend nos dons.