21. Tentative d'entrée
Un léger tremblement m’emporte, et c’est la présence de Lou à mes côtés qui me rassure. Une fois, mon corps calmé, je lui souris à pleins dents. Dans un effort de concentration, nos mains se frôlent, et ma jambe se décide à se mettre en mouvement. Un pas, le premier, guide ma carcasse vers la paroi de bois. Nous avançons tranquillement vers cette barrière, mais soudain un sentiment de nervosité et d’appréhension s’empare de moi.
Ma course s’arrête, nette. Telle une statue, je suis heurtée par ses pensées qui s’infiltrent à travers les miennes :
***
— Alors ma Kiera. Tu rentres enfin à la maison ?
***
— Quoi ? demandé-je sceptique.
Mes compagnons que j’avais pendant un instant oublié, braquent dans un même geste leurs regards sur moi. A l’allure de leurs sourcils froncés, je crois comprendre que la voix grave qui m’est parvenue, n’a été entendu que par moi et peut-être… Louis ? Oui, sans aucun doute. Il est le seul avec qui, j’ai partagé ce don, le seul à pouvoir comprendre mes réactions quant à cette voix intrusive.
Lucia, Hugo et même James, ignorent qu’une personne aux dons similaires aux miens existe, ils sont loin de se douter de se présence dans mes pensées. Pourtant tous les trois m’examinent, curieux de savoir pourquoi mes quelques pas se sont stoppés. Un contact, un doux coup sur ma main de la part de mon protecteur me suffit à reprendre conscience de la situation. Nous sommes à l’aube d’un bouleversement pour nos deux mondes. Et me connecter au moment présent est capital.
— Tout va bien., dis-je en me raclant la gorge.
— Sûre ?
Hochement de tête affirmatif et je relève la tête, redresse les épaules, me convainc que je suis prête. C’est alors plus déterminée qu’auparavant que je me dirige vers la porte de la forteresse. Cette nouvelle barrière semble être une étape de plus dans ma vie. Elle me mène vers quoi ? Ma destinée ? Peut-être… Tout ce que je sais, c’est que mon avenir et mon passé sont de l’autre côté de cette paroi de bois.
Lou patiente, il attend encore quelques secondes avant de me pousser à avancer de nouveau. De ce que je fais sans plus attendre. Il m’emboîte le pas, sa chaleur est presque palpable dans mon dos. Je devine ses traits concentrés et ses poings fermés à l’extrême, il est et restera un protecteur. Et cette nouvelle étape n’est pas seulement la mienne, cette réalité me frappe de plein fouet. Le futur de mes gardiens se jouent maintenant, ils m’ont guidé vers mon retour. Leur mission est terminée.
D’ailleurs, je distingue également les bruits de pas du chasseur et des satyres. Ils ont repris la marche, trainant des pieds, frappant dans des cailloux. Leurs auras m’enveloppent, ils me protègent encore, même maintenant. Et j’ai beau être bien entourée, la vibration de l’énergie de Kilian vibre en moi. Son écho me prouve sa présence dans ma tête, il résonne en chœur avec les battements de mon cœur.
Des émotions confuses fusent sur la ligne qui me connecte à lui. L’impatience de notre rencontre dans le monde réel, la colère que je ne comprends pas et aussi, une appréhension, un doute. Le même que celui qui m’accompagne depuis que nous avons traversé le voile. Mais ce qui me dérange le plus, c’est qu’il se cache. Il se plaque encore dans la forteresse. Cherchant à m’éviter, ou plutôt à ralentir mon entrée, mon plongeon dans la fosse aux lions.
Sauf que… Personne ne pourra éviter les événements qui vont suivre. Je ne pourrais plus me cacher derrière les chasseurs, plus m’appuyer aux protecteurs. Rien n’est définitif, et Kilian en a autant conscience que moi. D’ailleurs, j’y pense. S’il est connecté à moi, peut-être que mes pensées l’atteindront comme le siennes plutôt. Après tout affronter son destin, c’est ce que je maitrise le plus. Et j’ai réussi à lier Lou à mon esprit…
Donc si Kilian me paraît si présent, si près, si papable dans ce qui peuple mon crâne, il me suffit… D’un peu de concentration. Une pensée seulement ? Enfin… Entre avancer vers les deux gardes et faire le vide dans ma tête alors qu’elle est emplie de doutes, je crois que c’est l’échec assuré. Ma frustration en est d’ailleurs la preuve. Je grogne, lâche un « merde » monumental et serre les poings comme Lou quelques temps avant.
Bien sûr, ma colère grandissante arrête une nouvelle fois mes mouvements. Et ce moment provoque les râles gras de mes protecteurs. D’accord, ce n’est peut-être pas une bonne idée et il est clair que mon entrée au palais prend trop de temps. Mais mon manque de capacité face à Kilian m’énerve au plus haut point.
Lorsque mes pensées se font plus nettes et que j’observe de plus près les deux gardes devant nous, un murmure m’échappe :
— Des dévoreurs.
Il ne m’en faut pas plus pour afficher un sourire en biais. Les dévoreurs sont bêtes, un petit pois aurait bien plus d’intelligence qu’eux. En attendant, c’est tout à mon avantage. Cette fois, hors de question que je m’arrête. La détermination qui m’envahit, me réchauffe et d’un pas assuré, je fonce. Un léger ricanement me parvient. Lou hausse les épaules quand je lui jette un regard joueur. Lui à l’air d’apprécier mon changement d’humeur soudain.
Mais c’était sans compter sur le chasseur qui complète notre groupe.
— Kiera ! Qu’est-ce que tu fous ? Tu es dingue ? Le loup réagit-là ! Merde ! Eh, ce sont des dévoreurs de chairs ? DE CHAIRS ! Arrêtez-là !
— Non., souffle Lucia. Elle est notre princesse, pourquoi ne pourrait-elle pas leur faire face. Ils baisseront leurs armes. Louis par contre… C’est son protecteur depuis l’enfance. Partout où elle ira, il la suivra.
— Quoi !? Même si elle est qui elle est, notre devoir est de la protéger. Nous sommes tous les QUATRE ses protecteurs, notre mission est de lui éviter les dangers. Et non, la laisser foncer droit dedans !
N’en pouvant plus, et cherchant l’affrontement avec les gardes et surtout avec celui qui se planquent au-delà de la porte, je fonce. Mais bientôt les paroles de Lucia s’évanouissent et les doigts de James viennent m’enserrer l’avant-bras. Mauvaise idée. Très mauvaise idée. Au moment, où les doigts s’enfoncent dans ma peau, je me retourne vers lui et dans un mouvement féroce l’arrache à mon membre.
Un électrochoc m’échappe au même instant envoyant valser dans les airs, le jeune chasseur. Personne ne me pourra se mettre en travers de mon chemin. Pas même, celui qui essaie tant bien que mal de me protéger. Mais de quoi d’ailleurs ? De petits monstres ? Nous en avons déjà affronté ensemble et jamais jusqu’alors, il ne m’avait empêché de faire front.
Dans un regard en arrière, j’observe la trajectoire de James. Celui-ci finit assommer contre l’aile de notre voiture. Le choc métallique est retentissant. Dans un grognement de douleur et entourée des sifflements surpris de mes accompagnateurs, je poursuis mon avancée. Les gardes qui jusqu’alors n’avaient effectués aucun mouvement, se redressent. S’ils pensent pouvoir m’arrêter, ils ont torts.
Des craquements d’os, et des râle sombres viennent s’ajouter à mes derniers pas. Un souffle chaud et un hurlement que je reconnaitrais entre mille, vient se coller à mon dos. James. L’impact a eu raison de sa maitrise. Son corps et son instinct animal a pris le dessus. Ce n’est plus un homme, mais un loup qui se poste à mes côtés. Un soupçon de remord s’infiltre en moi, et me pousse à glisser ma main dans sa fourrure.
Le grondement satisfait qui répond à mon geste me suffit à braquer mes yeux sur les deux soldats à présent face à moi. Je penche ma tête, d’un côté puis l’autre, tentant de comprendre qui des deux aura l’audace d’ouvrir la bouche en premier. Cependant, aucun d’eux n’a l’air de vouloir faire le premier pas, alors je saisis cette chance. Un pied devant l’autre, j’essaie de passer entre eux. Mais, leur réaction synchrone me bloque.
Deux épées se croisent à quelques centimètres de mon visage.
— Demoiselle, votre chemin n’ira pas plus loin sans autorisation.
M’interpelle le dévoreur de gauche. Il est grand, son armure cache un homme brut, musclé et son sourire trahit un peu plus sa race. Des dents en pointent se découvre dans un sourire sarcastique. Elles sont aiguisées et jaunâtres. Leur entretien devrait pourtant être sa priorité. Mes sourcils se froncent alors qu’il répète sa phrase d’un ton autoritaire. Mais le hic, c’est qu’il ne sait pas à qui il s’adresse.
— Vraiment ? Drôle de rôle pour un dévoreur de pieds que de surveiller une porte. Maintenant, laissez-moi passer.
— Non. Vous avez beau être une fée-aura, vous n’entrerez pas dans le palais.
— Désolée, mais je ne suis pas une auratrice.
Un court silence accueille ma réponse avant d’être brisé par deux lourds rires. Des ricanements gras et lourds de sens. Les deux gardes sont pliés en deux, leurs yeux passant de mon corps à celui de mes compagnons, pour revenir sur le mien et rire de plus belle. Super ! Je suis servie avec ces deux-là. Alors que je m’apprête à parler pour leur fermer leur gueule béante, le grincement du loquet de la porte se fait entendre.
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