22. Drôle d'accueil
Les deux soldats sursautent et reprennent leurs positions en un éclair. Ils ne devaient pas s’attendre à ce que la porte s’ouvre avec autant de force. Et maintenant, ce n’est plus une paroi de bois que je peux observer mais bien une entrée vers une grand cours pavée. Le visage railleur de Kilian apparaît alors. Il m’examine un instant, puis décide de se tourner vers les dévoreurs.
Celui dont les paroles m’avaient atteintes semble éteint et son collègue quant à lui, tente de cacher les tremblements de ses doigts. Pourtant, l’un d’eux est dans l’obligation d’ouvrir la bouche et de parler, s’ils veulent expliquer la situation à leur supérieur. Leur armure au métal d’argent est floquée d’une couronne à l’envers, un effet miroir à la signification floue. Le même symbole retourné que celui qui orne le dos de la veste noir de Kilian. Lui qui me montre son dos pour mieux impressionner ses hommes.
— Monsieur K ? hasarde le garde. Cette jeune femme essayait d’entrer sans autorisation.
— Je sais. C’est Kiera.
— Comment ? Que dites-vous ?
Les deux gardes m’observent estomaqués par ce que vient de dire Kilian. Ils semblent aussi sceptiques. Loin de croire à ce qu’il annonce, alors que sa détermination est lisible sur son visage. Il est droit, les épaules carrées, la tête relevée vers eux, leur demandant presque de remettre sa parole en doute. Moi, j’esquisse un sourire presque victorieux, il est même un peu vicieux. J’apprécie cette légère victoire.
— Elle ne peut pas être la princesse., affirme alors le second dévoreur.
Ce monstre à la carrure imposante de détaille de haut en bas puis de bas en haut plusieurs fois avant de revenir au visage de celui qu’ils appellent Monsieur K. Un rictus mauvais montre une nouvelle fois ses crocs, pourtant quand ses yeux croisent ceux de mon frère, une pâleur s’empare de ses joues gonflées. Gêné, il toussote et se redresse, l’arme près du corps, les doigts serrés autour du manche. Il est tremblant.
Sans plus réfléchir, j’ose prendre la parole :
— Ils me font bien rire tes petits soldats, Kilian ! Quoi ? La princesse ne peut-elle pas se sauver toute seule ? Et retrouver le chemin de la maison tranquillement ?
— Mademoiselle, un peu de respect, je vous prie. Vous êtes face à monsieur K, chef des armées et de la sécurité du château royal.
— Et vous très cher, vous faites front à la princesse de ce dit royaume qui est le vôtre. Vous vous prenez pour qui ? Vous pensez vraiment un vulgaire dévoreur peut me barrer le chemin ? Non ! Il me suffit d’une lame, d’un instant et votre gorge sera couverte de votre sang visqueux !
— Oh ! Tu te calmes maintenant ?!
C’est une blague ? Kilian intervient pour m’apaiser mais son intervention, tel un ordre ne fait que me sortir un peu plus de mes gonds. Pourquoi est-ce qu’il agit ainsi ? Les gens ne savent-ils pas qui il est ? Et moi ? Non, bien sûr. Moi, je suis une princesse portée disparue depuis tellement longtemps que personne ne croit à un retour. Surtout si la jeune demoiselle en détresse sort de sa prison dorée toute seule.
— Tu as peur de quoi ? Que je leur dise que tu te planquais patiemment derrière la grande porte, attendant le moment propice pour apparaître ? Tu sais très bien que je serais entrée peu importe le moyen.
— Justement ! Ne vois-tu pas que ça ne t’aurait mené nulle part ?
Ma bouche s’ouvre et se ferme à plusieurs reprises. Il a raison. J’avais l’intention de foncer dans le tas sans réfléchir aux conséquences. Ni pour moi, ni pour mes protecteurs. D’ailleurs, les soldats encore perplexes demandent sans détour à Kilian, si je suis digne de confiance. Alors qu’il leur explique que je suis réellement la princesse, leur posture change. Les muscles de leur cou se tendent, leur stature se fait plus droite et sévère.
En une demie minute, les deux dévoreurs se transforment en statues armées, en gardiens de porte silencieux et un fin murmure m’atteint alors : « princesse… ». Il résonne en moi, me fait vibrer. La croyance que je lis à présent sur leur trait me calme. Mon souffle se cale sur les mouvements de poitrine de Kilian. Et plonger dans son regard me maintient dans une bulle. L’espace d’un moment, je comprends que ma vie est sur le point de changer.
— Ces quatre personnes avec vous, qui sont-ils, princesse ? m’interroge l’imbécile de dévoreur.
— Mes protecteurs ! Ceux avec qui j’ai appris à grandir plutôt que de vivre avec mes parents et mon frère…
Je murmure presque mais au regard furieux que Kilian me lance, je sens que j’ai encore fait une erreur. Si ce n’est pas ma fureur qui m’emporte, c’est mon assurance qui fait planer le doute sur le visage des deux gardes. Passant d’un à l’autre, de Kilian à moi, ils hésitent, me prenant certainement pour une folle. Une princesse disparue qui entend des voix. Prise de frustration, mes poils se hérissent sur mes bras.
Lou doit la sentir, le ressentir jusque dans son crâne, mes pensées confuses le percutant sans que je ne les contrôle. Sa paume ferme et sa peau douce viennent se poser sur mon épaule. Son geste se veut rassurant. Et alors que je lui adresse un sourire reconnaissant. Ses lèvres forment une phrase silencieuse, me demandant de respirer.
J’inspire, et expire avec force alors que sa main prend une nouvelle direction, passant de mon épaule à mon avant-bras, pour venir enfin entremêler ses doigts aux miens. Ils sont doux et sa poigne se fait puissante. Le sentir contre moi, si près de moi et prêt à me soutenir alors que je m’apprête à sauter dans le vide me rassure.
Pourtant, alors que je pose mon regard dans celui de Kilian, la chaleur qui montait en moi s’évade sans que je ne puisse la rattraper. Ses iris s’illuminent de rouge, ils flamboient de fureur. Prise de surprise et d’un sentiment d’inconfort, je me recule d’un pas. Mais mon frère en a décidé autrement. Dans un mouvement, il encercle mon bras libre de sa main.
La peau qu’il maintenant en sa possession me fait mal, elle brûle presque au contact de son épiderme contre le mien. Dans ses pupilles, j’observe danser des flambes vermeilles. Elles me consument presque. Et dans un froncement de sourcils, je comprends que sa colère m’est destinée. D’ailleurs, je suis vite frappée par ses pensées. Elles sont féroces et ne laissent pas d’autre choix que de répliquer.
— Tu ne dis rien !
— Dire quoi à qui ? demandé-je tout en permettant à Lou de suivre notre échange.
— Tu le sais très bien, Kiera ! Ne fais pas l’innocente. Depuis quand ce protecteur à le droit de poser ses mains sur toi ? Pour qui se prend-t-il ?
— Son protecteur. Et toi, qui crois-tu être pour lui parler de la sorte ?
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