Goût.
L’alliage trouva sa place entre les lèvres du connaisseur, qui, de ses dents incisa légèrement le métal.
- Mais, pardi, c’est bien de l’or, ça !
Adel arqua légèrement ses sourcils bruns pour mimer l’étonnement. À la fin de ses heures de travail, le jeune homme s’était faufilé dans les forges et avait fondu la pièce en une pépite ardente.
- C’est pas commun d’en trouver dans le coin. T’as de la chance, p’tit gars. Ça te fera 500 pièces.
- 500 ? s’étonna Adel. Ça en vaut le double !
Le receleur l’examina de plus près.
- Non, non, continua-t-il. Je te l’échange contre 500 pièces. Après, si t’es pas content, tu vas ailleurs, hein.
Adel consentie difficilement. Le marchand rangea avec précaution la pépite et chargea la bourse. Le mineur se douta qu’une dizaine de pièces se soustrayait au 500, mais le temps lui était comptait. Il sortit d’un pas rapide dans les rues illuminées par le soleil. Sa peau se réchauffait laborieusement après les heures de travail dans les mines. Parfois, son cœur s’emballait à l’idée de fuir. Il eut l’impression que ce dernier allait exploser lorsqu’une voix l’interpella.
- M’sieur Adel, venez goûter nos pommes !
Si son corps était aussi creux que les sous-sols de cette ville, son cœur se lié aux machines vaporeuses, celles, qui un jour ou l’autre, sauteront et éventreront les rues. Pour le moment, ses tempes lui envoyèrent des chocs comme des coups de tambours, mais à l’extérieur, Adel restait neutre et s’avança avec nonchalance vers l’étal. Ses mains devenues autonomes se serrèrent autour du fruit et ses dents croquèrent dedans, laissant le pétillant imprégner ses papilles.
- Vous avez vu comme elles sont sucrées ! C’est un vrai bonheur ! Meilleur que le goût du charbon ?
Sa vision se brouilla, si bien qu’il n’entendait, de la vendeuse, que de sa voix aiguë et joviale. Il tenta de lui sourire en retour, détendant ses lèvres qui se crispèrent indocilement et siffla un « oui » en travers d’elles, alors que, dans sa tête, sautillait le mot sinistre : « adieu ». Il sortit quelques pièces qu’il glissa dans la paume de la jeune femme et s’échappa du marché. Derrière lui, quelques mots ricochèrent en lui : « Eh bien, il était pas bavard, M’sieur Adel ».
Alors que les effluves candides de la pomme sinuaient encore le long de sa langue, il avança rapidement vers le port, croquant dans le fruit machinalement.
***
Maxim et Swann avançaient à tâtons dans les mines dévorantes. Leurs voix ricochaient dans la trachée de pierre.
- La douille, le revolver, commença Swann. C’est étrange, comme affaire. La balle qui a incisé le marchand était d’une précision parfaite. Notre meurtrier lui a tiré de face et on peut être sûr qu’il l’a regardé droit dans les yeux avant de le descendre. C’est un meurtre de sang-froid. Pourtant, il est parti sans récupérer la douille. Il l’a laissé sur le sol, la salissure du charbon dans les moindres incisions de la vieille balle. Tout concorde avec la mine, pourtant il a fait une erreur majeure en oubliant de la reprendre.
Maxim haussa ses épaules :
- En effet… Après, il y a une différence entre vouloir tuer et le faire. Le mineur a peut-être eu la tête froide quand il a tiré, puis s’est défilé le moment d’après, fuyant les lieux du crime... Nous arrivons aux machines.
La cavité s’élargit et ils s'avancèrent devant les impressionnantes installations. Au contraire des machines à forer, celle à vapeur semblait soufflait d’exaspération, comme après une longue journée de travail. Sauf qu’elle ne prenait jamais de repos.
- Interrogeons cet homme, commença Maxim.
Swann hocha la tête et s’avança vers le mineur.
- Bonjour, milice des faubourgs. Nous enquêtons sur le meurtre du bourgeois, assassiné dans les ruelles de la 12e colline. On nous a indiqué quelques paliers plus haut que vous pourriez connaître le possesseur de cet objet.
L’inspectrice lui tendit la douille. Le travailleur l’inspecta, soucieux. Maxim l’interrompu :
- Nous vous offrerons 400 pièces si vous êtes capables de nous donner la personne en possession de l’arme du crime.
L’homme esquissa un léger sourire.
- C’est celui d’un véritable serpent. Il s’appelle Adel Postruche, c’est l’mineur-mécanicien des environs. C’est lui qu’a l’arme. Il est du genre violent et met la pression avec. Le p’tit gars, il a fini son service, mais maintenant qu’vous m’le dites, j’l’ai trouvé animé aujourd’hui. T’as l’heure, j’l’ai appelé pour un souci avec la machine. Adel, il a été pâlot pendant toute la réparation. Il avait sa main dans sa poche tout le temps, comme-ci il cachait queq’chose. Maintenant qu’vous montrez ça. Ça d’viens cohérent !
Maxim et Swann s’échangèrent un regard étonné. La milicienne reprit la discussion :
- Vous savez ou nous pouvons le trouver ?
- Après son service, continua-t-il, il va souvent au marché. Parc’que le t’chot gars, il aime bien la vendeuse de fruit… Si vous le cherchez, elle vous dira sûrement où il est. L’étal, elle est pas loin. Vous prenez l’ascenseur, là-bas, vous avez un ferrailleur et c’est juste après.
Les miliciens remercièrent gracieusement leur informateur et s’élancèrent vers l’ascenseur rouillé. Swann actionna le levier et la cage se leva brusquement.
- Sortons rapidement d’ici ! s’exclama Maxim.
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