1.Rencontre percutante

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Vocabulaire :

Quarterback : Joueur de football américain au post offensif : dirige l’attaque, choisi les stratégies et modifications tactiques en jeu. Son rôle majeur l’oblige à une excellente capacité d’observation et à un excellent leadership.

Seniors : Équivalent américain des Terminales en Europe.

Bonne lecture !

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Élie

Mon déhanché en avait fait baver plus d'un hier soir, mais pour le prochain show, Sam le savait très bien, à défaut de connaître mon âge, les filles se passeraient de ma présence... Cela faisait partie de mes conditions. Danser nue, très peu pour moi...

J'arpentai les couloirs du bahut en direction de mon casier avec un flegme affiché, esquivant difficilement les contacts avec les autres élèves, les dents serrées.

Dans un an, Bye Bye Wisconsin et bonjour le Connecticut. J'avais déjà choisi ma filière depuis longtemps. Et après prospection, je vous le dis, pour faire du droit, il faut être particulièrement tordu ou cabossé par la vie, et ça commence dès la première année. J'arrivai à destination avec soulagement, mais je percutai violemment un mur et le choc me fit lâcher mon sac de sport.

— Regarde devant toi, Carter ! Tu cherches les coups si tôt ?

Je levai – très haut – les yeux vers ce que j'avais pris pour du béton, pour apercevoir le regard glacial de Cole braqué dans le mien.

Cole Hutchkins. Voilà l'exemple du type de tordus qu'il était possible de rencontrer dans ce bahut ! Et j'aurais nettement préféré qu'il s'agisse d'un futur juriste ou d'un autre membre de l'équipe de football. Grand et massif, c'était le genre auquel vous ne vouliez pas aller vous frotter, à moins évidemment, de vouloir sécher les cours avec mention « hospitalisation ».

Connard, c'est toi qui m'es littéralement rentré dedans !

Je ne me laissai pas pour autant démonter, ça me ferait mal. J'ai un égo, moi aussi !

— Navrée, j'ignorais qu'ils avaient employé un vigile pour garder les couloirs. Tu te pousses, s'il te plaît, j'aimerais avoir accès à mon casier.

Son regard de jade déjà froid se durcit davantage face à mon ton rempli de dédain et il se pencha pour s'emparer de mon sac avant moi.

— Tu m'as habitué à mieux, ta répartie est à chier ! Qu'est-ce qu'on a là, hein ?

En comblant le pas de distance, j'essayai d'un bond de récupérer mon bien sans succès, Cole le brandissait au-dessus de sa tête tandis qu'un sourire narquois s'était lentement dessiné sur ses lèvres.

— Pose ça, Hutchkins ! crachai-je en le fusillant du regard.

Je devais nettement lever le menton pour ce faire, ce tyran mesurait bien une tête et demie de plus que moi ! Et il a fallu qu'il me prenne pour cible ! Quelques élèves s'étaient immobilisés pour nous observer tandis que d'autres s'éloignaient assez rapidement.

— Quoi, c'est tout ? Allez, plus haut, saute pour moi, Carter...

Ce disant, il fit un pas pour se retrouver devant mon nez. Pour m'intimider ou...

Va-t-il me frapper ?

Sans réfléchir, j'envoyai mon poing droit vers son estomac avant de réaliser la folie de mon geste. Sa deuxième main agrippa mon poignet fermement pour retourner mon élan contre moi et me faire pivoter. Son avant-bras qui tenait toujours mon sac me plaqua violemment contre la rangée de casiers, m'arrachant un halètement de surprise. Je rencontrai de nouveau ses yeux et ce putain de sourire qui ne l'avait pas quitté, tandis qu'il appuyait nettement plus fort sur ma trachée, me plongeant intérieurement dans une situation de stress.

Mes deux mains et toute ma force réunie ne suffisaient pas à faire bouger son bras d'un centimètre.

Tu ne voudrais pas changer de cible pour une fois ?!

— Lâche-moi, Hutchkins !

— Je peux t'assurer que ça, ce n'était pas ta meilleure idée, crois-moi. Je vais être sympa, juste pour cette fois, simple avertissement. Ne refais jamais ça, compris ?

Je serrai les mâchoires, le dévisageant toujours, sans montrer à quel point son contact pouvait m'impressionner, ça non !

— Je t'ai posé une question, Carter, répéta-t-il avec un calme que démentaient complètement ses iris, dorénavant brûlants, tandis que la pression de son avant-bras bloquait toute l'arrivée d'oxygène à mes poumons. Compris ?

D'accord, là, je commence réellement à paniquer. Une autre émotion prenait lentement possession de tout mon être, s'infiltrant dans mes veines comme un poison. La colère. Une vieille camarade de longue date.

Contiens-toi, contiens-toi... c'est le pote et soutien de Declan...

— T-tu...

Ne cogne pas ! Abandonne ! Tu ne peux pas te faire remarquer ou virer pour usage de la violence, t'as pas le droit... en plus, tu prends le risque de te faire écraser, double peine !

Je forçai mon cerveau à se focaliser sur toutes les foutues raisons qui devaient m'empêcher de me défendre sérieusement. Comme avec l'autre.

— O... Ouais, grognai-je avec tout l'agacement dont je pouvais faire preuve, bandant tous mes muscles dans l'espoir d'empêcher mes membres de trembler sous l'humiliation et ravivant dans le même temps une violente douleur dans mon dos. Lâche-m...

Le poids contre ma gorge disparut et j'intégrai à nouveau de l'air par à-coups afin de me retenir de toussoter. Mon sac s'ouvrit et tout son contenu s'échoua à mes pieds. Je me réjouis secrètement d'avoir emballé « ma tenue un peu spéciale » de la veille, double sécurité. En écrasant mon calepin et des feuilles volantes, Cole repoussa du pied le sac contenant mes vêtements.

— Un sac dans un sac, tant de précautions... Y a quoi d'inavouable là-dedans ? Accessoires sexy ? Des fringues olé olé ?

À ton avis ! J'ai paniqué et fermé le poing vers toi pour récupérer un putain de cahier ?

Je sentis la nausée monter en constatant que sa blague n'était pas si éloignée de la vérité. Il allait se pencher pour s'en saisir, mais je répondis plus rapidement cette fois, avec le sourire le plus mesquin que je pouvais livrer, dissimulant ma panique qui remontait en flèche.

— Simple précaution pour éviter que des pervers dans ton genre ne fassent l'inventaire de mes dessous. Mais vas-y, ne te gêne pas.

Gagné.

Il interrompit son mouvement avant de se redresser pour me toiser, une expression de dégoût ostensible au visage.

— Pas envie de mater les petites culottes de ma grand-mère.

Évidemment, ducon, t'as une réputation à préserver si tu veux continuer à te taper toutes les gonzesses du bahut.

Laisse-la un peu tranquille, Cole, intervint une voix grave.

Flinn. Je détournai les yeux avec surprise vers le grand blond qui dévisageait son coéquipier avec une hostilité peu convaincante. C’était la première fois que mon camarade s’opposait directement au Quarterback*. Faut croire que la salle, ça donne des ailes… En effet, l’ancien Running back s’était métamorphosé durant les vacances. Cole me fixa quelques instants avant de me tourner le dos sous le regard des curieux.

— Quelqu'un a envie de m'aider ? suggérai-je avec ironie.

Rien de mieux que de demander un coup de main après un passage de Cole le Quarterback pour rendre un couloir désert. Le mouvement reprit et les regards insistants disparurent.

C'est ça, tirez-vous, merci.

Je me penchai pour rassembler mes affaires et Flinn entreprit de m’aider à les empiler pour les mettre dans mon casier que j’ouvris avec rage.

— Quel abruti ! chuchota-t-il. Ça va ?

— Oui, merci, acquiesçai-je en le contournant avec un demi-sourire.

Mes pas claquaient et leur résonance dans le couloir vide augmentait ma frustration. Lorsque j'entrai dans la salle en comité réduit de l’option de français, le professeur, ce vieux râleur avec un crâne aussi lisse qu'une boule de bowling, haussa un sourcil.

Bordel, comme je préférerais commencer la matinée par un cours général !

— Mademoiselle Élizabeth, serait-il possible de connaître la raison de votre retard ?

Un sombre crétin a répandu le contenu de mon sac dans tout le couloir, ça va comme explication ?

En parlant dudit crétin, d'ailleurs...

— Certains ne sont pas faits pour poursuivre leurs études, puisqu'ils n'entendent même pas leur réveil.

Comble de l'humiliation, il avait lâché son venin dans un français impeccable.

Je vais me le faire, ce bâtard... un jour je vais vraiment me le faire !

— Ex... excusez-moi pour mon retard, professeur.

— Asseyez-vous là, travail de discussion de groupe, dit-il en me désignant la place disponible à côté de...

Évidemment. Je n'avais même pas eu besoin de tourner la tête pour comprendre qu'il s'agissait du siège vide au côté de mon emmerdeur attitré. Je balançai mon calepin sur la table et pris place en soufflant.

À une semaine du début de l'année des seniors*, j’ai déjà envie de me foutre une balle...

Mon portable vibra.

Declan « Switch à 18H30. Profites-en, repose-toi au maximum, petite jumelle. »

Cette semaine, je pouvais rester au dortoir. Loin de la maison.

Declan

Je serai auprès de Timothy ce soir.

Moi présent, l'autre taré de passeur de gènes continuerait de l'oublier et c'était pour le mieux.

Je rejoignis la cafétéria en compagnie de Cole, quand une chevelure blonde à la coupe en brosse passa sous mon nez, accompagnée d'un léger parfum que j'identifiai presque instantanément. Ava Wells. La meilleure pote de ma sœur. Elle était gaulée comme un mannequin tout droit sorti d'un magazine et elle s'attirait les regards énamourés de plus d'un gars. Elle connaissait très bien notre situation chaotique et, mise à part de l'inquiétude, je n'avais jamais lu de pitié pour moi ou Élie dans son expression. J'aimais sa légèreté et ses prunelles, d'un bleu renversant...

Cole, qui était revenu muni de deux gobelets, m'en tendit un et la jaugea avec une dose de mépris mêlée d'amusement avant de scanner les environs.

— Carter n'est pas avec toi ?

Avant qu'Ava n'ait le temps de lui répondre, la voix agacée de ma jumelle résonna dans notre dos.

— Pourquoi ? Tu voulais me proposer un rencard ? Non, alors occupe-toi de ton cul, cracha-t-elle.

Mon meilleur pote ricana tandis que je lui lançai un regard d'avertissement.

— Parce que je m'emmerde, soupira Cole. Je n'ai personne avec qui jouer. Et tu sembles être de si bonne humeur et si polie, je ne peux pas résister...

Alors que ma sœur le dépassait pour venir se poster devant moi, il inclina son poignet et une gerbe de café s'écrasa sur ses chaussures. Ava qui était proche lâcha un petit cri aigu tandis qu'Élie baissa lentement le regard vers ses pieds avant de relever la tête vers Cole. J'aurais juré avoir vu des flammes danser dans ses yeux pendant une fraction de seconde.

— Cole, tu fais chier, grinçai-je des dents en tendant une serviette à ma jumelle.

— Pas de réaction, tu deviens vraiment ennuyeuse ! lâcha-t-il avec un rictus qui commençait à me taper sur le système tandis qu'elle essuyait ses chaussures.

— T'as rien d'autre à f...

— Ce n'est pas de sa faute, m'interrompit tranquillement Élie.

Trop tranquillement.

Ava se tourna vers elle avec un air choqué, Cole ne quittait pas ma jumelle des yeux sans rien exprimer d'autre qu'une légère incrédulité. Le sourire qui s'étirait doucement sur les commissures de ses lèvres parlait pour elle.

— C'est bien connu, les coups occasionnés par la pratique du football américain exterminent le faible nombre de neurones encore présents dans sa boîte crânienne. Parkinson ou Alzheimer le guettent. Tu devrais faire attention, frangin, acheva-t-elle en se tournant vers moi, je tiens à toi.

Ce disant, elle envoya la serviette imbibée de café au visage de Cole qui n'eut pas le temps de la rattraper avant qu'elle ne s'écrase allègrement sur son faciès.

— À ce propos, Declan...

— Carter, la semaine s'annonce merveilleusement riche en émotions, je t'en fais la promesse, la coupa mon meilleur pote en la fusillant du regard. Tiens, tu as encore du ménage à faire, c'est ton rôle si je ne m'abuse !

L'intégralité de sa boisson venait d'atterrir sur le pull et le col de la chemise désormais couleur caramel d'Élie. J'attrapai mon meilleur pote et le repoussai contre le mur adjacent. Il renvoya la serviette à Élie avant d'enfouir ses mains dans ses poches en me regardant calmement dans les yeux, nullement impressionné.

— T'es vraiment impossible à encadrer, Cole Hutchkins, marmonna Ava, excédée, en aidant sa meilleure amie à éponger les mèches de ses cheveux encore ruisselantes.

— Putain, bro', m'énervai-je, je t'avais demandé une seule chose !

Une petite main tiède s'enroula autour de mon biceps.

— Laisse tomber, Declan, souffla Élie.

Je regardai ma sœur et mon meilleur ami tour à tour. Évidemment que je devais prendre le parti de ma jumelle. Pourtant, je pouvais le comprendre. Mais on parle de ma sœur ! Et ami ou non... j'ai quand même envie de le frapper.

— Pourquoi tu es toujours obligé de compliquer les choses, mec ? râlai-je en le lâchant brusquement.

— C'est que du café ! Et ton pote est un con, ça nous fait deux vérités, précisa ma jumelle pour avoir mon attention en s'essuyant le cou et les avant-bras. Y a plus important. On va switcher. Dès demain.

— C'est ma semaine, objectai-je en secouant la tête.

— Tu dois récupérer avant les sélections. Tu me rendras la pareille plus tard, fit-elle avec un clin d'œil. Si je ne me trompe pas, vous fêtez ça juste après. Je pourrai te relever jusqu'à vingt-deux heures jeudi.

Élie disait vrai. La constitution de la nouvelle équipe de football de Pewaukee se célébrait par une virée de tous ses membres dans un resto-bar chaque année. Je hochai la tête avec peu de conviction.

Après tout, y aura d'autres fêtes.

— Ce sera la dernière année où tu pourras le faire ! Tu dois y aller, insista encore une fois ma petite jumelle.

... Vingt-deux heures ? Ah.

— Vingt-deux heures, répétai-je en la fixant.

— Mmh mmh, fredonna-t-elle en réponse.

Elle avait un Show après-demain. On allait évidemment avoir un problème de garde pour Tim. Peut-être qu'exceptionnellement...

— Je vais appeler Pitt et négocier, on va s'arranger, dit-elle en devinant mes pensées.

Élie... J'aurais aimé qu'elle cesse de toujours vouloir faire passer mes plaisirs avant les siens. Je me jurai de lui rendre la pareille, cette année.

— Je vais m'en occuper, affirmai-je en me raclant la gorge. J'ai du temps après les cours. Je viens te chercher ?

— Meryl passera près du lycée, rayonna-t-elle.

J'allai frotter le sommet de la tête de ma jumelle quand elle arrêta mon geste.

— Tu vas te tremper. Grâce à ton connard de pote, je vais rater la prochaine heure de cours, j'empeste le café froid.

Elle avait répliqué d'un ton dur en foudroyant Cole du regard. Ce dernier s'esclaffa, me rappelant sa présence que j'avais complètement oubliée.

— Je te prendrai le cours, la rassura Ava. Et cette fin d'après-midi sera une journée filles !

Élie souffla en souriant tout en me tendant sa paume et je frappai dedans en soupirant. Journée filles...

Tout comme Élie ne révélait rien ou le moins possible sur moi à Ava, notamment au sujet de mes « tournois illégaux », nous n'évoquions jamais les « danses suggestives » de ma jumelle devant Cole.

La belle blonde entraîna Élie dans la direction opposée à la mienne. Cole me rattrapa, son sourire bâillant d'une oreille à l'autre.

— Je constate que tu gardes ton attitude de grand frère.

Je levai les yeux au ciel.

— Ma sœur a raison, tu es un con, bro'.

Lui et moi nous étions rencontrés en première année. Même s'il pouvait se montrer brutal, Cole m'avait beaucoup épaulé. Mes escapades, chaque nuit de ma semaine hors du dortoir de l'établissement, auraient été irréalisables sans lui. Il m'avait couvert plus d'une fois et pris certaines sanctions à ma place. Nous avions découvert par la suite que nous allions boxer au même local.

— C'est toi le con. Pendant que ta sœur va faire du shopping avec sa princesse, toi, tu vas te démener pour votre petit frère, répliqua-t-il en serrant les dents.

— Arrête ça, répondis-je, irrité, en me retournant vers lui. Élie n'a rien fait pour mériter tes critiques injustes, pas plus que ton acharnement à lui pourrir la vie !

— Je suis pragmatique, mec. Je vois bien dans quel état de nerfs tu te mets. Et un scoop : t'es qu'un putain d'adolescent qui joue le rôle de papa. Tu cherches à tout prendre sur toi pendant que ta frangine se la coule douce.

— Tu juges trop vite, crachai-je en baissant la voix. Si tu avais pris la peine de la connaître en deux ans, tu saurais à quel point tu es dans le faux. Elle encaisse autant que moi.

Le ton de sa voix chuta d'une octave tandis qu'il poursuivait.

— C'est toi que je vois rentrer avec un œil au beurre noir ou une plaie au visage toutes les quinzaines, pas ta sœur. Et tes entraînements n'y sont pour rien, on le sait très bien. C'est toi qui prends des raclées, pas elle.

— Qu'est-ce qui te rend aussi sûr de ça ?! craquai-je, sec.

Cole se figea.

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Bonjour à tous !

Petit chapitre de présentation de la vie d'Élie et de ses rapports avec les autres protagonistes et antagonistes au sein du lycée.

Dans le prochain, nous auront un aperçu des rituels des Carter et de leur quotidien à l'extérieur, narré successivement du POV des jumeaux...à suivre !

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