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Note de vocabulaire :

Nerd : Terme inventé aux USA dans les années 1950, c’est un qualificatif péjoratif pour désigner un geek (passionné d’un domaine, généralement l’informatique et les nouvelles technologies, étendu à la pop culture) et mettant davantage l’accent sur le caractère obsessionnel de sa passion, son asociabilité et son renfermement.

Bonne lecture !

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Cole

J'ai décroché depuis trois cents ans, mais elle s'en tape.

Accoudé à une des tables de la cafète, j'entendais distraitement le baratin de Samantha en sirotant le reste de mon gobelet.

« Pari tenu que le numéro de la nouvelle est dans ma poche à la fin de la semaine pour ton retour au dortoir. »

Il a fallu à la brunette moins de vingt-quatre heures pour se mettre à me coller.

Ennuyé, je baissai les yeux sur ma montre. 12H30. Soit deux heures avant l’entraînement et la formation officielle de l'effectif de football de l'année. Un rire me fit relever le regard. La rouquine rejoignait une des tables libres, en pleine conversation avec le nerd* de service. Élizabeth Carter. La phrase que Declan avait lâchée deux jours auparavant avait fait l'effet d'une satanée bombe.

« Qu'est-ce qui te rend aussi sûr de ça ? »

Je n'avais pas poussé plus loin l'interrogatoire. Tout comme je n'avais jamais vraiment poussé plus loin la réflexion, bien que j'aurais dû en être capable. Je ne voulais pas le faire. À cause d'elle.

La famille Carter était une belle éponge à emmerdes, bourrée de secrets, de non-dits et d'évitements, mais je les savais soudés. Declan était comme un frère et toutes les fois où il s'était confié à son propre sujet, il avait été sincère et transparent. Il y a en lui ce besoin de protéger sa tribu contre l'injustice. Il aurait accepté de prendre double ration de coups de poing dans un moment de courage s'il pouvait faire en sorte que ceux qu'il aime demeurent indemnes. Et le problème, c'est que ce type est trop courageux pour son propre bien.

Il avait eu des moments de craquages, des moments où il avait songé à ce qu’aurait été sa vie s'il s'était tiré. Qui ne l'aurait pas fait ?

Il a toujours combattu les idées noires une par une avant de retrouver sa maîtrise de lui-même. Mon meilleur pote était constamment sur la réserve quand le sujet de conversation s'approchait trop de sa jumelle, et il passait souvent à autre chose. J'avais toujours présupposé qu'il agissait ainsi pour éviter de me faire penser à la mienne. J’imaginais qu'il angoissait à l'idée que, du jour au lendemain, sa sœur puisse vivre les mêmes tourments que lui à cause des roustes colossales de leur enfoiré de père. Je n'ai jamais envisagé une seconde qu'elle pouvait aussi les subir en silence.

Elle était toujours pleine d'énergie, condescendante et fière.

Foutus préjugés !

Son air supérieur et méprisant, j'avais tout de suite eu envie de le lui faire perdre. Et à la réflexion, malgré le nombre de fois où je lui avais causé du tort, elle ne s'était jamais laissée démonter. Au mieux, j'avais eu droit à de l'ignorance. J'aurais dû comprendre plus vite. Declan est forgé dans le même acier... Elle est exactement comme lui.

Que ce soit dans le monde des Carter ou celui des Hutchkins, montrer ses difficultés, ce n'était ni plus ni moins qu'un aveu de faiblesse. J'aurais dû comprendre qu'il en était de même pour elle. J'avais perçu un semblant de quelque chose de différent, de la colère, avant-hier sans chercher à l'identifier. J'avais comblé le pas de distance qui nous séparait, face à son poing levé.

Ce regard. Je l'avais plaquée contre son propre casier sans réfléchir. Ce n'était pas le visage d’Élizabeth Carter que j'avais eu sous les yeux ce matin-là.

Putain, ce que j'ai pu être aveuglé par leur ressemblance !

Emmerdé par le passé et mes souvenirs, je n'ai pas compris la réaction pseudo-offensive de la sœur de Declan.

Elle a eu peur. Non pas la crainte d'une personne intimidée de devenir la risée de tout un bahut. C'était plus fort. Ses bras ne se sont pas levés pour se protéger le visage, mais son regard l'a fait. S'ensuivit le mouvement réflexe de défense de quelqu'un qui connaît les coups et qui veut les prévenir plutôt que les guérir. Qui veut camoufler ses peurs et attaquer en premier pour ne pas morfler trop fort. Puis elle s'est freinée par peur des conséquences. Ça semble tellement évident, maintenant… Leur bâtard de géniteur les cognait tous les deux.

Bravo, mec, après avoir eu le corrigé du contrôle de maths, tu cries à la simplicité ?

Élizabeth Carter protégeait les secrets de Declan, même auprès de sa princesse de meilleure pote. Et c'était maintenant l'évidence même. Declan conserve les siens. Il couvrait ses escapades nocturnes durant lesquelles je l'imaginais sortir et vivre une vie de lycéenne épanouie sur le dos de son frère. Peut-être bien que là aussi, je me fourvoyais. J'étais autant curieux que furieux.

Fracasser la chair de sa chair, c'est juste impardonnable. Même si le silence de Declan me faisait serrer les dents, je comprenais totalement les non-dits au sujet de sa sœur. Et j'étais curieux. Est-ce que je comptais arrêter d'emmerder Mademoiselle Carter ?

Non, certainement pas. J'ai envie de connaître ses secrets.

Élie

J'avais ri avec bienveillance de l'enthousiasme d’Ézéchiel. Aussi surdoué qu'observateur, c'était le gars le plus discret et effacé du bahut. Il était en train d'achever la conception d'un jeu vidéo et il m'expliquait son travail de programmation avec des termes assez techniques, le rendant difficile à suivre. Au moins, ça m'évite de trop réfléchir.

Mes retrouvailles avec mon petit frangin avaient été célébrées avec un brownie maison et une balade au parc, puis un tour près du lac le mercredi pour un pique-nique. Et Warren était aux abonnés absents. Une chance. Tellement de chance que, si j'avais été en couple, j'aurais eu des soupçons sur le fait d'être cocue.

Est-ce qu'il est vivant, au moins ? Ivre mort quelque part ? Si ça avait été le cas, l'hôpital aurait très certainement téléphoné. Ou la morgue. J'ai failli rire de moi-même. À m'entendre, on pourrait penser que je m'inquiète pour lui... Bien sûr que je m'inquiétais. Parce qu'une chose était sûre, c'était qu'à sa prochaine réapparition, il se rattraperait en passant du « temps avec nous ». S'il ne revenait pas cette fois ?

À dire vrai... Il m'arrivait encore certaines nuits – mes meilleures ‒ de rêver à notre vie d'avant le drame et de me rappeler du père aimant que nous avions. Une partie de moi s'en souciait, que je le veuille ou non.

D'instinct, je balayai la salle du regard pour trouver mon frère et croisai celui de Cole. Il me fixait intensément, ignorant royalement Samantha qui se démenait pour obtenir son attention.

— Navré, ce n'est pas ultra intéressant et peut-être un peu complexe. Je t'ai perdue quand ?

Je levai les yeux vers Ézé qui me regardait sans offense, comme s'il s'y attendait. Le connaissant, je décidai d'être directe.

— J'ai absolument plus rien pigé après « réplica ».

Autrement dit, quelques phrases après bonjour. Désolée, mec.

— Mais j'aime beaucoup t'écouter. C'est agréable de te voir passionné comme ça... Même si j'ai l'impression de t'entendre parler en grec ancien, ajoutai-je avec un sourire d'excuse.

— C'est bien pour cela que je ne me suis pas arrêté, répondit doucement Ézé en hochant la tête. Tu as l'air dans un autre monde. Ton frère va jouer cette après-midi, c'est ça ? J'entends tout le monde parler de lui.

— Wow ! Ézéchiel Reed s'intéresse aux discussions des autres élèves ? le taquinai-je avec amusement.

— Pas le moins du monde, malheureusement ils parlent trop fort de leur centre de préoccupation.

Ézé ne sortait de son mutisme qu'en présence d'Ava et moi. Pourtant, s'il se donnait la peine de s'inclure dans les échanges, je savais qu'il aurait du succès. Il prenait volontairement du recul sur le plan verbal et social.

— Tu es trop brillant pour t'abaisser à ça.

Declan venait d'entrer et il me fit signe de la main.

— À plus tard, me répondit Ézéchiel en suivant mon regard.

Mon frère posa son plateau à la table où se trouvaient Cole et Samantha et se redressa en s'avançant à ma rencontre.

— C'est OK pour Pitt, me confirma-t-il assez bas pour ne pas être entendu de la fausse blonde. Il ouvrira la salle et la pièce arrière à dix-huit pour la Crevette, mais il ne pourra pas rester.

Donc, après mon départ pour le show, Tim demeurerait seul jusqu'au retour de mon jumeau, soit deux ou trois heures maximum, après le coucher.

— Je serai avec lui jusqu'à ce qu'il s'endorme, déclarai-je, vérifierai son téléphone au besoin et le jeu de clé sera dans ton casier.

— Il ne sera pas seul longtemps.

Je hochai la tête devant son visage serein et le vis se retourner pour aller s'asseoir à côté de son meilleur ami quand je lui lançai plus fort avec un grand sourire :

— Bonne chance pour tout à l'heure, dégomme tout !

Il me sourit à son tour avant de me répondre plus sérieusement.

— Bonne chance pour ce soir et sois prudente en rentrant.

Je lui adressai un clin d'œil sous le sourcil levé de Cole, qui semblait un peu trop intéressé par notre échange.

Fais ce que tu sais faire de mieux, Hutchkins, ignore-moi quand je parle à mon frère, putain !


***


Le reste de l'après-midi me parut extrêmement long et fastidieux, mais j'en profitai pour m'avancer sur mes devoirs. Alors que j'allai quitter le lycée, je me sentis saisie par le bras et me retournai. Flinn.

— Attends, beauté ! Tu es insaisissable, souligna-t-il avec une grimace.

— La preuve que non, le contredis-je en essayant de lui faire lâcher prise, mais il tint bon.

Sa poigne n'était pas douloureuse, mais ferme. Et putain de dérangeante !

— J'aimerais te parler. Seule. C'est assez important...

Ola. D'accord, je vois, Flinn, mais c'est pas le bon moment.

— Je suis désolée, Hulk, on m'attend. On se voit demain matin avant les cours, on prend le café ensemble ?

Il se détendit, hocha la tête en signe d'acceptation devant mon sourire excessif et libéra mon bras.


***


Ava et moi avions récupéré Tim au bâtiment d'art. Il contourna rapidement ma meilleure amie pour se jeter sur moi en enserrant mes jambes.

— Salut, Crevette, dis-je avec douceur avant de me pencher.

Il s'accrocha à mon dos tandis que je me relevai sous l'œil amusé d'Ava.

— Wow ! s'exclama-t-elle, j'aurais plutôt dit petit koala ! Tu te souviens de grande sœur Ava ?

Sa tête se pencha sur le côté, dépassant la mienne pour la regarder.

— Je ne peux pas t'oublier, Élie me parle tout le temps de toi. Elle t'appelle princesse, déclara-t-il.

— Parce que je suis belle ?

— Non, parce que tu as des manières.

Je me mordis la lèvre inférieure pour m'empêcher de rire devant la mine décomposée d'Ava qui tourna son regard vers moi.

— Sympa, les amis...

— Mais moi, je te trouve belle comme une princesse, ajouta ma Crevette avec un air très sérieux. Tu voudrais être mon amoureuse ?

Cette fois, je rigolai franchement.

— Au moins lui, il sait parler aux filles et prend les devants, soupira ma meilleure amie avec un sourire.

... Mauvais Carter qui le suggère, hein, princesse... ?

Je m'abstins de commenter.

Après un goûter copieux, nous nous dirigeâmes vers le local de boxe où Pitt ne tarda pas à nous rejoindre.

— Salut, les mômes, lâcha-t-il avec un ton de sympathie qui fit lever les yeux à Tim. Comment va le petit artiste ?

— Bien, Monsieur Pitt.

Il haussa un sourcil avec une moue amusée.

— La dernière fois que ton frère m'a appelé monsieur, il a fini par nettoyer tout le ring à la brosse à dents, et il avait trois ou quatre ans de plus que toi, affirma-t-il, faussement remonté. C'est juste Pitt, rappelle-toi bien que je ne transige pas là-dessus.

Un peu impressionné, mon frère hocha la tête et se retourna pour se planquer derrière Ava.

— Tu vas l'effrayer, « juste Pitt ».

— C'est toi qui l'enfermes dans une bulle, Élie, me morigéna-t-il. Declan a passé les sélections aujourd'hui ?

— L'annonce des postes aura lieu dans une demi-heure.

— Bien. Et toi, tu vas travailler ce soir. Le petit se retrouve seul pour une partie de la nuit ?

— Jusqu'au retour de Declan, vers une heure ou deux du matin.

Ava, qui se tenait jusque-là à l'écart, intervint.

— À ce propos, je voulais te proposer de rester pour veiller sur lui jusqu'au retour de Declan, si vous le permettez bien sûr, ajouta-t-elle en se tournant vers le quarantenaire.

Ses yeux marron tombèrent sur elle et il laissa quelques secondes passer avant de hocher la tête.

Quoi ?

— Ça te va si grande sœur Ava reste avec toi le temps que ta sœur fasse ses devoirs et que ton frère arrive, pas vrai ? demanda-t-elle à Tim qui leva le pouce avant de tendre la paume dans laquelle Ava claqua avec énergie.

— Ava, murmurai-je, la gorge nouée.

— Ne dis pas non, sourit ma meilleure amie. C'est décidé, je suis la baby-sitter de fin de soirée.

Je regardai tour à tour Pitt et ma meilleure amie. On ne méritait pas tant.

— Tout s'arrange donc. Préviens ton jumeau et faites ce que vous savez faire de mieux, lâcha Pitt d'une voix radoucie.

Ce que l'on savait faire de mieux. Jouer et boxer pour lui. Danser pour moi. Étudier pour nous deux.

Je me raclai la gorge et me tournai vers les yeux noisette de l'homme au comportement paternel.

— Merci, tu nous dépannes énormément pour ce soir. J'aurais dû me faire remplacer, mais dans le milieu...

— Je sais comment ça fonctionne, me coupa l’entraîneur en secouant la tête. Je connais la réputation de Sam. Ça ne lui plaît pas beaucoup à ton jumeau de te savoir bosser dans ce club.

— Ouais, mais c'est moins difficile que ça en a l'air.

— Mmh. Tu reviens t’entraîner un peu cette année ? Les sacs de frappe n'attendent que toi.

— Je vais essayer, dis-je en tentant un sourire.

Pitt me rappela de ne pas hésiter à téléphoner au besoin et nous laissa dans le complexe sportif.

— Merci, princesse. Je te revaudrai ça.

— Je te connais, idiote. Tu aurais passé ta soirée à stresser pour rien.

Je la lâchai pour prendre mon portable et cherchai le contact de Declan.

Moi « Nous sommes au local, et Ava est avec moi. Elle reste pour veiller sur Tim jusqu'à ce que tu reviennes. C'est une fille en or. Alors, les résultats ? »

La réponse ne se fit pas attendre.

Declan « Sérieux ? L'or, c'est trop banal, Ava est un diamant, je la remercierai tout à l'heure. Félicite-moi, je suis membre officiel de l'équipe. »

Un diamant, hein ? Je gloussai en rangeant mon téléphone dans ma poche et rejoignis ma Crevette et ma princesse.

Après une séance de bavardages autour d'un repas livré et d'une histoire, je préparai le matelas d'urgence dans la pièce arrière. De la taille d'une chambre, elle abritait un lavabo, un petit bureau, un évier et une lampe de chevet. Une chambre de fortune, mais une chambre au calme, qui respirait la sécurité. Ça vaut tous les châteaux du monde réunis !


***


21H30.

Depuis le coucher de Tim, Ava m'avait regardée répéter ma chorégraphie avec attention et même reproduit certains mouvements avec moi.

— Tu vas tout déchirer t'es la meilleure ! Tu me raconteras demain !

Après un dernier coup d'œil sur mon frère qui ronflait à en faire trembler les murs, je quittai le local et me rendis au travail. Mon travail. Le club de strip-tease le plus coté de cette partie de la ville, et dont la fréquentation bourgeoise le rendait très select et participait à son essor. C'était l'heure du show.

Let's go !

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Bonjour tout le monde !

Un antagoniste d'Élie bourré de préjugés, des soutiens plus que nécessaires également, ce chapitre nous en dévoile plus sur les relations d'Elizabeth.

Dans le chapitre suivant, l'after show sera bien plus révélateur que le show en lui-même, autant pour le lecteur que pour un des personnages...à suivre !

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