5.Baby-sitting et boxe

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Ava

Un bruit de clé qui tournait dans la serrure me fit lever les yeux en direction de la porte du local. Une silhouette masculine entra dans le halo de lumière produit par les néons et je relâchai mon souffle. Je ne m'étais même pas aperçue que je l'avais retenu.

— Declan !

— Salut, princesse, me salua-t-il avant de regarder par-dessus mon épaule. Tim dort ?

J'acquiesçai d'un hochement de tête en me rasseyant. Il posa son sac et me dépassa pour se diriger vers la chambre improvisée pour vérifier son frère. J'inspirai avec calme pour maîtriser le sentiment de nervosité qui m'assaillait. Je n'étais pas souvent nerveuse. Sauf en présence de Declan. Je connaissais les Carter depuis cinq ans maintenant, et je ne m'étais qu'à de rares occasions retrouvée seule avec lui. Et uniquement pour de courts instants.

Le frère d'Élie revint et me fit un sourire fatigué avant de s'installer sur le bord du ring à une distance raisonnable de moi. Les cernes visibles sous ses yeux s'étaient un peu estompées et son œil au beurre noir avait entièrement disparu.

— Félicitations pour ta réintégration dans l'équipe, le louai-je d'une petite voix enjouée.

— Merci, mais c'était un jeu d'enfant.

— Crâneur !

Il me regarda d'un air faussement blessé en posant une main sur son cœur d'un geste théâtral.

— Tu as osé douter de mes capacités ?

— Peut-être que j'ai surestimé les capacités des rivaux de première année, le narguai-je.

— Je suis outré, Mademoiselle Wells.

Son portable vibra et il s'en saisit dans la foulée.

— Élie est arrivée devant le lycée et elle ressemble toujours à Cendrillon après transformation de sa marraine, me dit-il avec un clin d'œil.

Son visage s'était instantanément adouci et il inspira profondément, visiblement plus serein.

— Merci d'être restée ce soir, Ava. Et merci d'être présente comme tu le fais pour Élie.

Sa voix était vibrante et ses yeux dégageaient une reconnaissance contenue qui me rendit faible aux genoux. Il se redressa soudainement et saisit son sac qu'il ouvrit dans la foulée pour en sortir une boîte de chocolats qu'il me tendit.

— Je n'ai pas eu le temps de les emballer, mais... pour des remerciements plus concrets.

Ma marque préférée. Je réceptionnai le cadeau d'une main, rougissant de plaisir.

— Oula, des chocolats du grand Declan Carter ! Si les filles de ton gang de groupies apprennent ça, je vais avoir du souci à me faire, commentai-je avec une stupeur feinte pour masquer ma gêne.

— Oh, je ne voudrais pas te causer d'ennuis, je me sacrifierai pour faire disparaître les preuves, répondit-il en avançant la main pour récupérer la boîte.

Je me décalai, la serrant contre ma poitrine.

— Mon amour du chocolat vaincra, ce n'est pas grave !

Declan pouffa avant de me sourire avec amusement.

— Alors ce sera notre secret, suggéra-t-il d'une voix suave.

Mince, pourquoi je me sens toute chose, d'un seul coup ? C'est le frère de ma meilleure amie, aucune raison d'être...

J'ouvris la boîte pour prendre un chocolat et la rapprochai de lui pour dévier de mes pensées.

— Autant que nous soyons complices dans le crime, dans ce cas.

Amusé, il s'empara d'une friandise qu'il enfourna dans sa bouche.

Nous restâmes un bon moment assis sans parler, jusqu'à ce qu'il se lève.

— Je vais te raccompagner.

Je secouai la tête.

— Tu rigoles, j'espère ? Rejoins ton frère et reste avec lui.

Declan me regarda avec incrédulité et fit un geste circulaire autour de lui.

— Tu comptes dormir où, princesse ? Il n'y a pas de lit à baldaquin dans les parages.

Je lui tirai la langue négligemment avant de me lever pour aller contourner la table, y posai mon sac et éloignai la chaise.

— J'ai une dissertation à finir et si je m'ennuie et bien... je pourrais toujours essayer de voir si je suis capable de faire bouger ce sac avec mes petits poings, hasardai-je en désignant l'un des minuscules sacs de frappe.

Le sourire du frère de ma meilleure amie s'agrandit et il me regarda avec sérieux.

— Je suis persuadé que tu peux le faire. Approche.

Il se leva en direction d'un sac moyen et croisa les bras tandis que je le rejoignais, peu convaincue.

— Pourquoi ne pas plutôt essayer le plus petit ?

— Ce que tu appelles petit sac est une poire à vitesse. Tu voulais me montrer ta force, non ? demanda-t-il avec enthousiasme. À moins, bien sûr, que tu n'aies peur de devoir refaire ta manucure.

Sa provocation m'incita à me tourner vers le sac de frappe et je levai les poings, soudainement timide et impressionnée par l'idée. Declan me contourna pour se retrouver dans mon dos et mon souffle se coupa.

— Doucement, Rocky... échauffement d'abord. Réveille tes articulations.

Ce disant, il couvrit mes mains des siennes, plus larges, et exerça un mouvement de rotation avec mes poignets à plusieurs reprises.

— Ceci est un punching-ball. Les sacs de frappe. Là, les poires à vitesse, expliqua-t-il en me désignant les équipements énoncés. J'utilise les trois, mais j'ai une sérieuse préférence pour l’usage du sac. Fais travailler tes chevilles maintenant, m'ordonna-t-il.

— Pourquoi le sac de frappe plus particulièrement ?

— Il permet de développer bien plus que la puissance des coups que tu donnes. Travail de l'endurance, de la vitesse, de la précision, du jeu de jambes...

Il tourna autour de moi avant de m'inciter à me remettre en position face à mon objectif.

— Enlève tes pouces de l'intérieur de tes doigts et place-les recourbés au-dessus de tes deuxièmes phalanges. Jamais dans tes poings fermés. Élie me tuerait si tu faisais un tour aux urgences après t'en être cassé un.

J'acquiesçai à ses instructions et les réalisai. Pour un peu, je commencerais à réellement aimer cette discipline. Ce n'était pas l'idée de taper dans un sac qui me faisait frissonner, soyons honnêtes.

Declan parlait avec assurance et décontraction en dépit des instructions qu’il me donnait. Le ton professionnel qu'il employait et la patience dont il faisait preuve témoignaient de la passion qui l’animait. J'aimais le voir plaisanter, mais son expression sérieuse et professorale le rendait encore plus attrayant.

Si le groupe de copines d'Ashley le voyait comme ça, sans sa tenue de football et ses protections... Une vague d'émotions me submergea en imaginant une fille comme Brittany ou Ashley au bras de Declan.

— Un peu de concentration, princesse, il ne va pas te sauter à la gorge, alors ne le fusille pas du regard.

Je secouai la tête et me reconcentrai avant d'esquisser un sourire.

— J'imaginais le visage d'une ennemie.

— Ça peut être un bon moteur, badina-t-il avec amusement. Maintenant, regarde ce que je veux te voir faire. Regarde la position de mon corps et mon bras.

Il envoya un crochet sec dans le sac de frappe, assez puissant pour faire danser le cliquetis des chaînes auquel il était suspendu. Ma mâchoire se décrocha en voyant la masse se balancer comme s'il avait été percuté par son corps tout entier.

Je ne pourrai jamais faire un truc pareil, ne rêve pas...

Je secouai la tête avec dénégation. Ma réaction le fit de nouveau sourire et il stabilisa le sac.

— En bonne position et avec le geste adéquat, tu le feras bouger, m'assura mon professeur en venant se placer derrière moi. Tu vas envoyer ton poing de toutes tes forces, comme ça.

Son torse effleura mon dos, alors qu'il enroulait mon poignet pour le calibrer correctement vers ma cible, me faisant faire le mouvement qu'il attendait de moi. Sa paume se plaça ensuite en douceur, bien qu'avec fermeté sur ma hanche, faisant dévier mon bassin du côté de ma main directrice. La chaleur de ses doigts m'incendia à travers mon débardeur. Je déglutis doucement, le cœur battant à tout rompre, tandis que son souffle chaud frôlait mon oreille.

— Allez, donne tout ce que tu as.

Il s'écarta, je fixai le sac, rassemblant mes esprits, et envoyai le coup le plus fort que je pouvais. L'impact fit se balancer très légèrement mon ennemi inanimé.

— Pas mal, pour une princesse ! s'exclama Declan.

— Pas aussi impressionnant que ton crochet, souris-je, mais je m’épate. Je devrais faire carrière.

Son éclat de rire emplit la pièce et j'aurais peut-être dû me sentir vexée, mais la franchise de son hilarité était agréable. Il était totalement différent du lycée. Les seules personnes avec qui je l'avais entendu s’esclaffer ainsi jusque-là étaient sa sœur, son frère et Cole. J’enverrai des crochets dans ce sac toute la nuit s'il pouvait rire avec autant de légèreté tous les jours !

Après une vingtaine de minutes supplémentaires d'explications sur les rudiments de sa passion, je me hissai sur le ring pour m'étendre de tout mon long sur le dos, les bras et jambes en étoiles.

— Finalement, je te laisse le titre. Je ne serai jamais une super championne internationale. Forfait par manque d'endurance et de passion.

La boxe, ce n'était vraiment pas pour moi... Mais ça se révélait amusant avec le bon professeur.

Declan me rejoignit et recopia ma position. Ses doigts frôlèrent les miens lorsqu'il étendit ses bras.

— C'est quoi, ta passion ?

— Le design. Plus précisément, la création. Je rêve de devenir architecte.

Toujours allongée, je tournai la tête vers lui.

— Tu préfères le football ou bien la boxe ?

— C'est quoi, le jeu des vingt questions ?

— Si tu veux !

Je gloussai alors qu'il tournait ses yeux vers les miens, un sourire naissant faiblement sur ses lèvres.

— Ne commence pas quelque chose que tu ne pourras pas finir. Tu as l'air fatiguée aussi.

— Cause toujours. Alors, courir vers une ligne pour marquer un essai ou mettre KO des adversaires ?

— Les deux. Le football est mon premier moteur. La boxe relève du besoin autant que de la passion. Les qualités que tu admires le plus ?

Je bâillai avant de lui répondre.

— Mmh, dur à dire. Loyauté. Courage. La maîtrise de soi. La politesse.

— Putain de merde alors, j'apprécie aussi.

J'éclatai de rire en l'entendant se moquer de la fin de mon énonciation.

— Bah bravo, quelle distinction ! Ton héros ?

— Ma réponse varie en fonction des moments, des fois Mike Tyson ou Mohamed Ali, d’autres Lamar Jackson, plaisanta-t-il alors que je souris.

Il tourna son visage vers le plafond et réfléchit un instant.

— J'aurais tendance à te répondre que l'on est tous le héros de quelqu'un, quelque part. Cole l'a été plus d'une fois à mes yeux. Élie est mon équipière, ma jumelle et mon héros... Aujourd'hui, tu as été notre héroïne à tous les deux, acheva-t-il en tournant une nouvelle fois le visage dans ma direction avec un léger sourire.

Il reconnaissait les qualités des autres, et même si j'avais grimacé à la mention de Cole Hutchkins, je pouvais l'entendre.

— Vous êtes courageux, Élie et toi, murmurai-je. Vous vous fixez des objectifs et vous les atteignez, palier par palier, peu importe les obstacles.

Il me dévisagea un long moment et je fermai les paupières, incapable de soutenir son regard plus longtemps.

— Ma sœur est courageuse et elle se bat sans relâche. Pour ma part, j'ai chuté plus d'une fois.

Je rouvris les yeux sur Declan dont le regard était perdu au plafond, dans le vide. C'était la première fois que nous nous retrouvions à aborder leur rythme de vie ensemble.

— L'essentiel étant que tu te sois relevé, non ? Tout le monde chute. Même Élie a eu ses moments.

Il se tourna une nouvelle fois vers moi et je me mordis la lèvre inférieure.

— Tu n'es pas devenu aussi bon en football sans rater de match, continuai-je rapidement. Savoir perdre des batailles pour affiner sa stratégie et recommencer. Connaître la douleur pour mieux l'encaisser... tomber et être en mesure de se remettre sur ses pieds.

Je bâillai une nouvelle fois en fermant les yeux.

— Vous vous êtes battus pour vous adapter. Tim a énormément de chance de vous avoir tous les deux, soufflai-je pour essayer de l'emmener vers des pensées plus agréables.

Défi réussi, la voix avec laquelle il formula sa réponse me sembla plus sereine.

— C'est nous qui avons de la chance de l'avoir. C'est notre petit phare dans la nuit. Ton meilleur souvenir ?

— Attends... c'est difficile d'en choisir un... Je réfléchis...

Ma somnolence commençait à l'emporter sur mon envie de discuter. Souvenir... Mon meilleur souvenir... Au bout d'un moment, un contact enveloppa mes épaules et une sensation bienfaisante de chaleur m'envahit.

— Mes... meilleurs souvenirs, marmonnai-je d'une voix pâteuse. Je les ai vécus avec vous...

Un instant de fraîcheur remplaça la chaleur précédente et je me détendis en soupirant de bonheur, me lovant contre une surface plus moelleuse. Avant de sombrer totalement dans le noir complet, je crus percevoir la voix de Declan.

— J'espère que tu en vivras encore beaucoup d'autres. Tu le mérites. Douce nuit, princesse.

***

J'avais chaud. Une sonnerie me fit plisser les yeux.

— Élie, marmonnai-je. Éteins ça, s'il te plaît, c'est trop tôt.

— J'aimerais pouvoir te dire que c'est le cas, mais il est déjà 6h45.

J'ouvris les yeux d'un seul coup et me redressai pour reconnaître non pas le dortoir ni Élie, mais son frère jumeau. La salle de boxe. Je levai les yeux pour découvrir son sourire espiègle, le portable à la main. J'étais allongée sur le matelas double qui avait servi de lit à Timothy. Declan m'a portée jusqu'au lit ?

Tim arriva en le bousculant pour venir s'asseoir sur le bord du matelas, tout sourire.

— Ma future amoureuse a dormi avec nous ?

— Future amoureuse ?

Le sourcil de son frère se souleva alors que je levai les yeux au ciel avant de rire.

— Tu n'as pas d'amoureuse à l'école ? demandai-je, me donnant le temps d'inspecter mon environnement.

— Va dans le gymnase, Tim, laisse Ava se lever tranquillement.

Le plus jeune s'exécuta, me faisant un signe de la main avant de disparaître de ma vue.

— S'il est possible que Sa Majesté ait l'obligeance de se préparer afin de se rendre à la salle d'étude.

Je pouffai contre mon gré et cherchai mes chaussures. Il m'a même déchaussée. J'étais partagée entre le plaisir d'avoir été son centre d'attention et la gêne de m'être endormie avant la fin du jeu de questions. Mon rythme cardiaque remonta vivement tandis que je vis mon professeur de la nuit dernière claquer des doigts en direction de l'entrée, où se trouvaient mes chaussures.

***

Lorsque Tim fut déposé à l'école primaire, Declan se rassit sur le siège conducteur et redémarra le moteur pour prendre la direction du lycée.

— As-tu au moins dormi ? le questionnai-je timidement.

Il me jeta un coup d'œil rapide avant de se concentrer de nouveau sur la route.

— Je t'avais dit de ne pas commencer quelque chose que tu ne pourrais pas finir, éluda-t-il avec malice. Tu as encore la délimitation du sol du ring imprimée sur la joue.

— Menteur, grimaçai-je. Ce n'est que partie remise, je ne m'endormirais pas si le jeu des vingt questions venait à reprendre.

— C'est un défi, Mademoiselle Wells ?

— Peut-être bien, Monsieur Carter, répliquai-je avec la même intonation.

— Parfait, alors je ferai en sorte de te fatiguer suffisamment pour te voir perdre.

Je secouai la tête en essayant de ne pas rougir.

— Tu devrais faire attention, le côté challengeur de Cole commence à déteindre sur toi.

Le rire du frère d'Élie se répandit dans tout l'habitacle.

— C'est loin d'être mon pire défaut !

Nous arrivions et Declan se pencha dans ma direction afin d'ouvrir ma portière pour moi. L'odeur de son parfum, déjà agréablement diffus dans l'air jusque-là, gagna en puissance alors qu'il était si proche. Je priai pour que le son des battements désordonnés de mon cœur ne s'entende pas.

— Sept heures dix, princesse, votre carrosse est arrivé à temps pour que vous puissiez vous préparer correctement avant le début des cours.

Je lui tirai la langue comme une enfant de cinq ans, le temps de retrouver mon calme, puis le regardai dans les yeux.

— Merci, professeur, pour ce cours du soir aussi instructif que divertissant.

M'extirpant de la place passager à contrecœur, je fonçai vers le dortoir des filles.

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Bonjour à tous !!!

Nouveau chapitre qui offre une vision complètement différente mais non moins riche du jeudi soir avec le POV d'Ava. Un rapprochement imprévu se dessine, et un nouveau jeu (peut-être) s'amorce.

Le prochain chapitre basculera sur le POV d'Élie qui va recevoir une proposition pour le moins inattendue...à bientôt !!!

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