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Henry se tourna et se retourna dans son lit, avant de soulever ses paupières. Un mal de crâne l'empêchait de dormir. Le jeune homme aux cheveux châtain clair se gratta la barbe. Assis sur sa couche, à même le sol, il fixait un point invisible. Il devait se lever et prendre l'air.
Manteau chaud, cagoule sur la tête, lance à la main. Henry regarda le ciel étoilé, l'aube se levait doucement au nord. Il n'avait pas neigé depuis un moment, la neige était donc tassée et légèrement glissante mais Henry était confiant avec sa lance lui servant de pilier. Il marcha à la lisière nord du village et fit signe aux deux personnes qui faisaient leur ronde habituelle.
— Encore une migraine ? fit la femme du duo.
— Encore.
— Quand tu arrêteras d'être têtu, tu iras chercher des médicaments ?
— Le froid de la nuit me suffit Eléonore.
— Bien sûr et la crève aussi je suppose.
— Je vous attends plus loin, Henry.
L'homme d'une trentaine d'année couvert d'une étole salua le jeune et s'éloigna, lanterne à la main.
— Je vois qu'il s'est levé du mauvais pied.
— On a eu un contre-temps qui nous a retardé, mais ne changeons pas de sujet. Si je te revois à mon prochain tour de garde je t'emmène de force voir Ismaël.
— Et pourquoi pas Fanny ou Bertille ?
— Parce que je sais que t'arrives à t'arranger avec elle.
Henry échappa un rire puis regarda avec tendresse cette femme qui s'approchait de la quarantaine et qui comme lui, faisait nuit blanche.
— Je suis assez grand pour que tu n'aies plus à jouer à la mère avec moi.
— Vous ne serez jamais assez grand pour moi Henry.
— Pourtant tu disais qu'on ne te dépasserait jamais, mais regarde, moi et Antoine nous... Henry s'arrêta brusquement, sa tête pivota en direction de la forêt.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda Eléonore.
— Je crois... je crois que quelqu'un veut que je coure le rejoindre.
— Courir n'est pas bon pour ta tête.
— Oui, mais il n'a pas envie d'attendre.
— Tu ne vas pas y aller comme ça ? Il fait encore noir.
— L'aube se lève et avec le sprint que je compte faire...
— Va. Va au lieu de parler.
Eléonore le regarda s'éloigner au pas de course. Elle le laissa se rendre, bien décidé, là où on le demandait.
Genoux à terre, Laïka s'était effondrée au sol, les mains pressés sur ses tempes.
— L'avion... On était dans l'avion, il y a eu des turbulences et... et après... POURQUOI ! Pourquoi je n'arrive à me souvenir de rien !
Elle regarda ses larmes former des creux dans la neige. Elle voyait des pas, certains plus petits que d'autres.
— Qu'est-ce qu'il m'est arrivée ? Qu'est-ce qu'il nous est arrivé ?
Laïka leva les yeux sur l'horizon. Par moment elle voyait trouble et se sentait partir mais il suffisait qu'elle se calme et respire calmement pour reprendre le contrôle. Un frisson lui parcourut l'échine. Le froid ? Il fallait qu'elle rentre, elle ne trouverait personne ici. Alors elle se leva puis se retourna, pétrifiée, elle arrêta de respirer. Elle vit, sortant des buissons, un animal imposant. Mélange entre un ours par sa taille et une panthère par son allure, la bête la fixait de ses deux yeux ronds au couleur vert- bleu.
— Gentil... murmura-t-elle dans un moment de lucidité. Tout va bien, tu es un gentil chat et je ne vais pas me faire manger...
Laïka recula doucement, regardant derrière elle, sur les côtés, plus loin. La falaise s'étendait à droite comme à gauche sans en voir la fin. Elle n'avait le choix qu'entre un saut dans le vide ou une course poursuite dont elle se savait perdante. L'animal s'assit contre toute attente, bougeant de temps à autre son oreille droite, pointue. Ses yeux la troublaient, à la dévisager ainsi, ils semblaient presque humains. Déconcertée, proche du bord, Laïka se pencha vers le vide. Une brume épaisse lui cachait la terre ferme. S'il y en avait une.
Laïka entendit alors du bruit au sein de la forêt, quelque chose arrivait à vive allure. Il y en a un autre ? s'inquiéta-t-elle. Son cœur tambourina dans sa poitrine. Elle ne voulait pas mourir ainsi, dévorée par ces animaux inconnus dans un monde qui lui était ...
— C'est un rêve... c'est juste un rêve.
Laïka se retourna donc face au vide, inspira et regarda, la larme à l'œil l'aube magnifique.
— Alors mon beau qu'est-ce... ARRÊTE !
Un homme ?
— Bouge-pas. Reste calme, tu n'es pas obligé de faire ça d'accord ? On peut discuter ?
Laïka pivota. L'homme à la cagoule qui lui couvrait la majorité de son visage, au manteau de fourrure et à la lance reprenait son souffle. Au côté de l'animal qui ne bougeait pas, il lâcha son arme qui s'écroula sur la neige puis il retira sa cagoule. Il passa sa main dans ses cheveux châtain clair – de la même couleur que l'animal étrangement – pour les remettre plus ou moins en ordre. Il esquissa un sourire, le regard soudainement rempli de joie.
— Tu es réveillée.
— Henry ?
Il pleurait de joie.
— J'y crois pas, tu es réveillée et... Pourquoi tu es revenu ici Laïka ? fit-il la mine soudainement sombre. Et tu comptais faire quoi au bord ?
Laïka tira en arrière sa capuche, lui dévoilant un visage blanc, creusé par la douleur. Henry resta muet, écarquillant les yeux, horrifié par l'allure de son amie.
— Laïka... tu...
— Est-ce que tu portes un slip ?
— Je ... Quoi ?!
Henry se pencha et regarda son pantalon avant de remonter la tête pour voir Laïka tourner de l'œil. Il se précipita alors et la tira contre lui, l'empêchant de tomber et disparaitre dans la brume. Il souffla, rassuré, puis la souleva, étonné de la faible masse qu'il avait dans les bras.
— Laïka ? Laïka ?!
Les yeux entre-ouvert, elle le regardait.
— Pourquoi tu es revenu ici ? lui murmura-t-il le visage tout proche du sien.
Laïka resta silencieuse et il essuya du bout de son nez une larme qui avait débordait des yeux de son amie.
— Je vais te ramener d'accord ?
— Non, bafouilla-t-elle. Pas Fanny.
Elle tremblait. Henry alla jusqu'à son animal et la coinça entre la fourrure épaisse et son torse.
— Ecoute, tu n'es pas en forme.
— Henry...
Elle pleurait.
— D'accord. D'accord, je t'emmène alors chez ...
— Toi, le coupa-t-elle.
Surpris, il n'eut pas le temps de contester.
— Alex. Je dois... Alex. Et sa tête tomba en arrière.
— Alex ? Pourquoi Laïka tu ...
Henry leva les yeux sur le félin qui les observait.
— Tu ne pouvais pas me dire que c'était Laïka que tu suivais ?!
L'animal sembla hausser des épaules.
— Aide-moi Owk, je ne vais pas y arriver tout seul.
Owk s'abaissa de sorte que son maitre puisse se hisser après avoir installé la jeune femme. Henry colla Laika contre lui, faisant attention à bien remettre sa capuche, puis d'une main libre il attrapa au garrot l'animal et donna un coup de pied dans ses reins. Owk grogna, il récupéra la lance dans sa gueule qu'il tendit à son maitre et fondit au milieu de cette forêt bleue.
Fanny posa la tasse vide sur la table. La jeune femme aux cheveux de jais était installée dans le fauteuil au couleur ambre. Le regard vide, elle fixait les flammes de la cheminée.
— Il faudrait peut-être la faire voir à Noür. fit la jeune femme aux boucles blondes pour couper le silence.
L'hôte, assise face à Fanny, remuait le fond de sa tasse avec une cuillère en bois.
— Ou faire venir Sil, reprit-elle. La fête est dans une semaine, ça lui éviterait le déplacement de groupe.
— J'aimerais bien mais Antoine ne veut personne.
— Il ne veut personne à son chevet, pas qu'elle ne soit pas guérie.
La femme du nom de Bertille se pencha vers Fanny. Cette dernière, exténuée, leva la tête vers deux iris vertes qui attendaient une réaction.
— Tu devrais vraiment rentrer dormir.
— A quoi bon Bertille, le jour se lève, on va...
— Le ciel ne va pas nous tomber sur la tête donc on ne va pas te demander tout de suite. Et je suis là. Donc ordre du médecin, rentre dormir.
— Tu oublies Laïka. Je ne sais plus quoi faire avec elle.
— Arrête de t'inquiéter, t'as fait ce que tu pouvais et elle s'est levée il y a trois-quatre jours donc je parie qu'elle sera debout avant la fête.
— Je ne parierais pas trop si j'étais...
— Un panier de framboises.
— Pour la énième fois c'est des groä.
— C'est pareil, framboise, groä. Les grains sont juste bleus.
— Je ne savais pas que les framboises poussaient en hiver...
— Tu m'en dois un si elle est sur pied le premier jour de fête.
Fanny se redressa, un sourire au coin des lèvres.
— Bien, mais sache que, comme elle s'est vraisemblablement...
— J'le sens mal. ronchonna Bertille.
— ... évanouie de douleur, je l'ai bourré ces derniers jours aux plantes Tehecha*.
— T'as fait quoi ?!
— Donc elle est aussi shootée que peut l'être Walter lors de ces expériences.
— En fait tu ne veux pas qu'elle se réveille ?
— Bertille !
— C'est bon je rigole.
— Ha. C'est très drôle. fit-elle le visage dur.
Fanny se leva.
— Je t'ai vexée ?
— Je m'en vais dormir.
— Bien, c'est très bien.
Après une accolade Fanny enfila ses bottes, son manteau, enveloppa son visage dans une écharpe et sorti, sa lampe éteinte à la main.
Le soleil s'était levé au-dessus de la forêt de Reñt, ses rayons atteignant enfin le village. Certains débutait ainsi leur journée de travail, tandis que d'autres pouvaient aller se reposer. Fanny croisa quelques personnes en quêtes de la solitude du matin, faisant de grand geste de la main pour saluer la guérisseuse. Et dans l'angle d'une maison, Fanny tomba sur un homme qui la plaqua dans un coin, à l'abri des regards.
— Tu m'as fait peur abruti !
L'homme aux cheveux bruns échappa un rire.
— Désolé, ça fait un moment que j'attends que tu sortes de chez Bertille.
— Tu n'es pas censé surveiller l'extérieur du village ?
Il s'approcha de son visage et tira sur son écharpe, libérant la bouche de la jeune femme, puis il murmura.
— Quand tu te promènes toute seule je n'y arrive pas.
— Nicolas ! fit-elle en le repoussant. Et Carl ? Il est où ?
— Il m'a donné cinq minutes.
- Dans ce cas tu as cinq minutes pour repartir jouer ton rôle de gardien car pour ma part j'ai reçu une ordonnance du médecin.
— Une ordonnance ?
— Dormir.
Elle attrapa le cou de Nicolas et à son dépourvu l'embrassa avant de se sauver sans qu'il puisse la retenir.
Une fois la porte derrière elle fermée, le sourire de Fanny se fana et elle poussa un long soupir de fatigue. Le feu crépitait toujours, lui procurant une chaleur agréable. Elle retira alors son écharpe et, avant de poursuivre, bailla à s'en décrocher la mâchoire. S'étirant comme elle le pouvait avec ses vêtements épais, Fanny continua son rituel de déshabillage hivernal avec grâce jusqu'à poser ses bottes à leur emplacement à côté de l'autre paire...
— Je les ai mis où ?
L'emplacement était vide et en baissant la tête, Fanny trouva deux branches de Porôdaü posé au sol. L'angoisse monta, elle se retourna. L'escalier. Elle se précipita, sautant des marches et souleva le rideau. A travers elle, les filets de lumière lui montrèrent un grand lit vide.
— C'est pas vrai... Dites moi que je rêve.
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*Tehecha : se dit Téhéka.
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