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 Quelques maisons après, Fanny arriva à sa destination. Elle toqua à la porte et y colla son oreille. Elle entendit un couinement. Elle frappa de nouveau, plus fort, et entendit du bruit.

  — Oui ?

  — C’est Fanny, je suis désolée de vous déranger mais je dois parler à Mickaël.

Un blond ouvrit la porte et sans poser plus de question tira la jeune femme dans le noir de la pièce. Elle fut accueillie par l’ül* de Kevin. Fanny tapota entre ses deux grandes oreilles et en profita pour jeter un coup d’œil dans la pièce sombre. Mickaël dormait profondément dans sa couche.

  — T’as un problème ?

Les yeux fermés, sa tête blonde penchée, frissonnant à cause de l’air glaciale du dehors, Kevin essayait de tenir debout comme il le pouvait.

  — Je suis vraiment désolée, mais c’est plutôt urgent.

  — Tu veux que je réveille Cartoon ?

  — Laisse-le dormir, murmura-t-elle. Je voulais juste savoir s’il s’était levé cette nuit pour venir chez moi ?

  — Non. C’est tout ?

  — Euh… oui.

  — T’abuse… Kevin se traina jusqu’à son lit. Tu connais la sortie.

Et il tomba sur sa couche provoquant un mouvement de panique à Fanny. Le voir s’affaler les yeux fermés à tout va ne la rassurait jamais. Elle regarda l’animal se blottir contre son maitre. Puis la couchette de Mickaël bougea. Je sors avant de me faire tuer par ces zombies. Ou par intoxication… Qu’est-ce que ça pu là-dedans.

  — Vivement le printemps. Et Fanny referma la porte.

 Une touffe noire s’éleva. Deux yeux aux paupières lourdes apparurent et une voix rauque mâchonna :

  — C’était qui ?

  — Fanny.

  — Pour quoi ?

  — Dormir.

  — Hein ?

  — Dors !

  — Ouais…

Et la tête de Mickaël vint s’écraser sur le coussin.

 Bertille s’occupait du feu lorsqu’on toqua à sa porte.

  — C’est moi ! avait crié la jeune femme du dehors.

Bertille n’eut pas de difficulté à reconnaitre la voix et la fit rentrer. La chevelure de jais repoussa son écharpe.

  — Laïka a disparue.

Bertille s’immobilisa.

  — Retire tout de suite ce sourire et viens m’aider à la retrouver ! râla Fanny.

  — Avec ce que tu lui as donné elle a réussi à descendre tes escaliers ?

  — Bertille !

  — J’arrive. Bertille se dirigea vers son porte manteau et attrapa ses bottes. Je suppose qu’on ne va pas prévenir Antoine…

  — T’es folle ! Bien sûr que non, et ce n’est pas Mickaël j’ai vérifié.

  — Et t’as fait le tour de ta maison ?

Fanny fronça les sourcils, confuse.

  — Elle n’a pas dû aller loin avec la lotion de Tehecha que tu lui as donnée hier.

  — Tu veux bien arrêter avec tes blagues et accélérer !

  — On parle de Laïka, c’est une chasseuse et elle connait les environs bien plus que nous deux…

  — Oui mais elle est droguée et n’a plus son dreïn j’te rappelle !

Bertille finit de s’habiller en se recouvrant le visage avec son châle noir et regarda Fanny dans les yeux.

  — Pardon, mais on va la retrouver alors arrête de t’inquiéter. Fanny hocha de la tête. Et après tu vas me chercher mes framboises.

  — Bertille !

  — J’ai gagné le pari…

Fanny leva les yeux au ciel.

  — Par contre, rajouta la jeune femme blonde, on pourrait peut-être en parler avec l’expédition ? Ils vont bientôt partir.

  — Non.

  — Y a Naëlle dans le lot, Laïka s’est peut-être rendu chez elle ?

Fanny réfléchit puis ouvrit la porte.

  — On se rend d’abord chez elle après on verra.

  — Elle ne serait pas retournée à la Rencontre ? s’interrogea Bertille en sortant.

  — Non, impossible, c’est trop loin.

  — Pourtant quand on y pense, la Tehecha avait excité Zoé comme pas possible. Elle était incapable de tenir en place. Peut-être que Laïka est aussi…

  — Non, elle dormait. Et les gardiens surveillent les alentours.

 Henry était déconcerté puis il murmura.

  — Treize ans. Quand tu dis treize tu veux dire…

  — La 5e D. Le jour du voyage. On était tous dans l’avion et il y a eu des turbulences… Laïka baissa la tête, les larmes aux yeux. C’est tout ce que je me souviens, l’avion. sanglota-t-elle.

Henry posa maladroitement sa main sur son épaule.

  — Laïka. Eh, relève la tête ça va aller… c’est…

  — T’as quel âge ?

Henry hésita. Il la regarda un instant avant de répondre aussi simplement qu’elle l’avait fait.

  — Vingt et un ans bientôt vingt-deux.

Laïka écarquilla les yeux.

  — Vingt et un… donc ça fait… sept, HUIT ans ! Mon dernier souvenir remonte à huit ans !

  — Tu es sûr de n’avoir aucun souvenir après l’avion ?

  — Rien. J’étais assise entre Fanny et Bertille et… Laïka plissa les yeux, Henry se pencha vers elle. Non, rien. J’ai rien d’autre Henry.

  — D’accord, calmes toi. Tu iras voir Dema, elle trouvera une solution. Elle en trouve toujours des…

  — C’est qui ?

Henry garda la bouche ouverte, essayant de trouver une formule simple pour présenter cette vieille femme extraordinaire mais il se fit couper une nouvelle fois par Laïka.

  — On est où ici ?

  — Alors c’est une question simple et à la fois compliquée parce qu’on est sur…

  — Et j’ai envie de faire pipi.

  — D’accord. Bien. C’était assez direct. Je n’y étais plus habitué. Du coup y avait un rapport avec la question sur mon slip ?

  — Henry j’ai vraiment envie de faire pipi, j’ai bu un broc entier… non attends, ça c’était mon premier réveil y a trois jours… J’ai pas fait pipi depuis trois jours ?

Henry resta sans voix un instant. Oui, y a pas de doute, elle est shootée.

  — T’as pas besoin de t’expliquer, reprit-il, attends deux secondes.

Henry se releva et alla lui chercher un pot, fait d’une coque végétale. Elle leva les yeux vers lui, aussi écarquillée qu’il lui était possible de le faire. Henry eu un rire nerveux et avant de sortir de chez lui, il lui expliqua qu’ici les toilettes blanches avec la chasse d’eau n’existaient plus.

 Dehors, Henry regretta de n’avoir pas pris son manteau. Sa migraine avait disparu, à croire qu’elle avait fui devant le problème qui lui était tombé dessus. Profite, pensa-t-il. Profite tant qu’elle ne se souvient pas…

  — Henry ?

  — Kalan.

Henry le salua. Kalan était le bras droit d’Antoine. Grand, une silhouette svelte malgré d’épais vêtements sombres et sa capuche large laissait entrevoir son visage caché de moitié par un foulard qu’il descendit. Henry se contrôla pour ne pas suivre du regard la cicatrice qui partait du coin externe de son œil gauche, traversait sa bouche et finissait au menton.

  — Je suis content de te voir, fit Henry. Elliott m’a dit que tu es rentré hier et que tu pourrais t’occuper du groupe ce matin.

  — Je vais gâcher ta joie, j’ai un problème donc il va falloir que tu me remplaces pour gérer les éclaireurs.

Henry se contenta d’hocher la tête.

  — T’es sûr de pouvoir le faire ? T’as l’air crevé, une migraine ?

  — C’est bon.

  — Aucune nouvelle depuis que je suis partie du village ?

Henry prit une grande inspiration et se surpris à fuir le regard de Kalan.

  — Non, aucunes news, rien de particulier qui mériterait qu’on s’y attarde.

  — J’ai appris d’Antoine que Laïka s’était réveillée, pardon, je voulais dire a ouvert les yeux avant de retomber. Il y a donc du mieux. fit-il avec un ton amer qu’Henry ignora.

  — Oui, t’inquiète.

Kalan pencha la tête et le regarda de haut en bas.

  — T’inquiète… t’inquiète. railla-t-il. Et t’as pas froid comme ça ?

  — Je voulais juste sortir au frais.

  — Devant chez toi ?

  — Oui.

Kalan haussa un sourcil.

  — Je retourne chez Antoine, je leur ai dit de te rejoindre au centre, ne les fait pas trop attendre.

Et Kalan s’en alla. Henry soupira, frissonnant. De l’intérieur Laïka frappa à la porte, lui disant qu’il pouvait rentrer. Il ouvrit la porte et Laïka lui tendit le pot discrètement. Il le prit et alla derrière sa maison. Comme pour toutes les maisons, on y avait planté des fleurs : des Porôdaüs. Une plante à fleurs aux odeurs très puissantes et utilisées pour diverses choses. Parfum, essence, crème, thé. Ou encore, comme ici, pour camoufler des odeurs moins agréable. Henry coula à leurs pieds le liquide chaud et jaune. Si c’était un geste qu’il avait pris l’habitude de faire, vider l’urine de quelqu’un d’autre était chose rare. Treize ans…Treize ans. Henry remplit le bol de neige, le secoua et jeta le contenu près des plantes. Il rentra par la suite rapidement au chaud.

Laïka était recroquevillée contre le mur, son manteau sur elle. À la vue du pot, elle reprit des couleurs. Henry esquissa un sourire, puis alla ranger son pot de chambre.

  — Tu n’as pas à avoir honte.

  — C’était qui ?

Henry la regarda, le sourire effacé.

  — Tu ne te souviens vraiment de rien ?

Laïka resta muette un moment avant qu’Henry reprenne.

  — Tu vas devoir retourner chez Fanny.

  — Et Alex ? Il est où ? Si tout ça n’est pas un rêve Henry on est où ? Il s’approcha d’elle. Je serai sage promis mais emmènes-moi vers lui s’il te plait.

Il s’agenouilla, elle grimaça. Elle n’arrivait plus à lire son regard. Du regret, de la pitié, de la tristesse. Ou peut-être de l’empathie, de la chaleur, de l’amour. Elle tenta une dernière fois.

  — Je veux juste voir mon frère un instant.

  — Attends Laïka.

  — Je dois attendre quoi ?

Henry ferma les paupières, il soupira puis lorsqu’il les réouvrit, ils étaient remplis de larmes.

  — Attends que ta mémoire revienne.

___

Ül : Chien de compagnie trapu, possédant une corne à la place du nez, sans queue et possédant deux doigts griffés à chaque patte.

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