17. Réveil mouvementé
Julia
Je soupire en entendant frapper à ma porte et me love davantage dans les bras d’Arthur. Encore quelques minutes de sommeil, pitié ! Pourtant, les coups résonnent à nouveau, plus brusquement.
- Lieutenant, je suis désolé, c’est urgent !
Merde, pour que Morin vienne me déranger alors que le soleil est à peine levé, c’est que c’est la galère Je me lève en trombe et enfile mon pantalon et ma veste de treillis à une vitesse pas possible avant de tirer le drap sur un Arthur qui se réveille bien moins brusquement que moi.
Morin sursaute lorsque j’ouvre la porte et me lance un regard contrit en reculant d’un pas, ses yeux fixés sur moi, sans aucune curiosité sur le Bûcheron qui bougonne dans mon dos. J’ai envie de le prendre dans mes bras pour le remercier pour son professionnalisme, mais son air paniqué ne m’en laisse pas le temps.
- Qu’est-ce qui se passe, Morin ?
- Un appel pour vous, elle dit que c’est très urgent, Lieutenant. C’est… La Gitane.
Je jette un œil à Arthur qui s’est redressé en entendant l’information, et sors en fermant la porte pour lui permettre de s’habiller alors que je gagne la pièce à côté de mes quartiers.
- Marina, c’est vous ? dis-je à peine le combiné à l’oreille. Qu’est-ce qui est si urgent ? Vous allez bien ?
- Il faut évacuer le camp ! Convaincre mon idiot de fils et mes stupides concitoyens de filer, sinon vous allez tous y passer !
- Pardon ? Maintenant ? Mais… Vous êtes sûre ? Je… Bordel, qu’est-ce qu’il prévoit cet enfoiré ? demandé-je, plus paniquée que je ne le pensais.
- Notre informateur au Palais vient de nous faire savoir qu'ils vont utiliser un des avions qu'ils ont réussi à nous subtiliser pour venir bombarder le camp et nous le mettre sur le dos. C'était prévu à midi, mais on va réussir à vous faire gagner un peu de temps. Il faut que le camp soit vide pour quatorze heures maximum. Et surtout, vous bloquez toutes les communications. Sinon, le bombardement se fera sur le convoi !
- Je… Merci, Marina. On se rappelle. Enfin, j’espère, dis-je en coupant la communication. Morin, contactez les équipes en observation à l’extérieur et dites-leur d’être vigilants et de signaler tout mouvement suspect. Dites-leur que… J’en sais rien, que des rebelles ont été repérés par le drone dans la zone.
Je me lève et prends une seconde pour inspirer profondément. Tout ce que nous avons construit ici va être détruit par la folie de ce gros porc et mon envie de lui couper les couilles s’accroît à vitesse grand V. Arthur sort de la chambre à ce moment-là et mon instinct reprend le dessus.
- Lichtin met son plan à exécution, j’en étais sûre, putain. Il faut qu’on soit tous partis en fin de matinée, soupiré-je en sortant de la salle.
- En fin de matinée ? Mais, ce n'est pas possible ! On va faire comment ?
- On va se débrouiller. Je te laisse gérer les réfugiés ? Dis-leur de nous retrouver dans le réfectoire au plus vite, Arthur, il faut qu’on soit efficace. Ta mère va faire son possible pour nous donner du temps, mais… On ne sait jamais. Ne leur dis rien avant, sinon ça va être la panique, je t’en prie.
- Je crois qu'il faut leur dire la vérité, Julia. Sinon, jamais on ne va réussir à les mobiliser dans les temps. Il faut leur faire confiance, sinon on court à la catastrophe !
- C’est déjà la catastrophe, bougonné-je en descendant les escaliers. Vas-y, fais, comme tu le sens, je te fais confiance.
- Eh Julia ! crie-t-il en me retenant par le bras. Je t'aime et on va y arriver. Moi aussi, je te fais confiance.
- Ça sonne un peu trop comme un adieu, le Bûcheron, marmonné-je en l’embrassant. Je t’aime.
Je lui fais un clin d'œil et finis de dévaler les marches pour aller réveiller mes hommes. Digne d’un entraînement nocturne, ils sont tous aux abois quand je leur hurle littéralement dessus de se lever et de me retrouver au réfectoire cinq minutes plus tard.
Je finis par la chambre où se trouve Snow, et cet abruti me lance son treillis en bougonnant avant de se redresser brusquement, les sourcils froncés.
- Bouge-toi, Sergent, c’est pas un exercice.
- Tu es enfin conquise par mes charmes ? Tu sais que je préfère les réveils en douceur avec une petite gâterie ?
- Ta gâterie s’appelle obus si tu ne bouges pas ton cul, beau gosse. On verra plus tard pour l’humour. Réfectoire, dans cinq minutes, invectivé-je les hommes présents dans la pièce avant de sortir.
Je gagne l’extérieur en soupirant et observe le campement encore endormi dans la fraîcheur de ce mois de janvier. Tout ce travail qui va être réduit en poussière, ça m’exaspère autant que cela me fait mal au cœur. Snow me rejoint rapidement, les Rangers délacées, son treillis à peine boutonné.
- La Gitane ?
- Nous sauve sans doute le cul, ouais. Je crois que j’ai choisi mon camp, définitivement. Tu veux bien aller prévenir les hommes qui sont en poste ? On commence à évacuer d’ici une heure. Le bombardement est prévu pour midi, mais Marina est censée retarder les choses. Seulement… On ne sait jamais.
- Ok, cheffe. Mais ton Bûcheron, il fait quoi là-bas ?
Je lève les yeux et je vois qu'il a pris le volant d'un de nos camions et conduit comme un dingue vers les tentes en klaxonnant comme un fou. C'est clair qu'il sait attirer l'attention sur lui ! Et ça marche, car tout le monde sort de sa tente. Ça va être le gros bordel, cette évacuation.
- C’est apparemment sa façon de réveiller la population… J’aurais peut-être dû le calmer avant de lui demander de réveiller les Silvaniens, marmonné-je. A tout de suite, Mat’.
Je file au réfectoire encore vide ou presque et prends deux minutes pour poser mes pensées et me calmer. Le timing va être serré mais c’est faisable, à condition que tout le monde ne se marche pas dessus en voulant fuir. J’espère simplement que Lichtin n’a pas envoyé d’hommes pour nous encercler ou nous empêcher de fuir, mais le plan est resté secret ou presque, seulement divulgué à des personnes de confiance. Il ne doit pas savoir. Je l’espère, vraiment.
Mes hommes ne se font pas attendre et me rejoignent rapidement, certains le visage encore marqué par l’oreiller.
- Mesdames, messieurs, une attaque est prévue pour midi par les airs. Il nous faut évacuer au plus vite. Snow, avec l’équipe de Dumont, vous prenez le camion de provisions et allez le décharger sur place dès la fin du briefing, afin que nous puissions l’utiliser au plus vite pour transporter les réfugiés. Morin, je vous laisse gérer le matériel de communication à emmener, prenez Simon avec vous. Les autres, j’ai besoin que vous soyez auprès des réfugiés. Je vous interdis de lever vos armes dans leur direction même si c’est la panique. C’est clair ? Il y a des enfants, des gens qui seront apeurés et ont besoin d’être rassurés. Dans quarante minutes, on commence à remplir les véhicules. Deux militaires par véhicule pour les allers-retours, et un à chaque fois qui reste sur place. Premier départ dans cinquante-cinq minutes. Des questions ?
- Personne ne va rester ici, Lieutenant ?
- J’espère bien que non, soupiré-je. Mais certains Silvaniens ne veulent pas fuir. Espérons que Zrinkak saura les convaincre que se battre contre des bombes ne sert à rien…
- On peut organiser un départ à pied aussi pour gagner du temps ? On pourrait emmener les vaches comme ça. Les pauvres bêtes, sinon.
- Ça fera un bon hamburger, crie un autre soldat, faisant ainsi retomber un peu la pression.
- Vous voulez vraiment prendre en charge le trajet des vaches en plus ? m’étonné-je avant de rire. Vous êtes dingues. Très bien. On va s’assurer que le champ est libre pour voyager à pied. Morin, un coup de drone sur le trajet avant de tout remballer ? Et Collins, organise avec ton équipe un convoi d’éclaireurs sur le chemin. Autre chose ?
- Qui nous attaque, Lieutenant ? Qu'on sache qui on va aller buter après.
- La pire ordure que j’ai jamais rencontrée, soldat. Victor Lichtin, Président de la Silvanie. C’est le Gouvernement qui s’en prend à l’armée française, à l’ONU et à son propre peuple, avec ce bombardement. Et, pour information, ce sont les Rebelles qui nous ont informés de l’attaque. Voilà, vous savez à quoi vous en tenir. C’est bon pour tout le monde ? dis-je alors que des murmures s’élèvent dans l’assemblée.
- Allez ! Tout le monde au boulot ! crie Snow pour motiver les troupes. On a une mission à remplir ! Go ! Go ! Go !
Je les observe sortir les uns derrières les autres, et prie pour que tout ceci se passe bien. J’espère que Marina va nous offrir ces deux heures de plus, qui ne seront pas de trop pour vider les lieux, mais dans le doute, je préfère que nous boostions tout le monde afin d’être partis le plus vite possible.
- Ça va aller, on devrait avoir le temps. Les gars sont organisés.
- Ce ne sont pas nos hommes qui m’inquiètent, mais plutôt les vaches, les poules… Et les Silvaniens. Communiquer avec eux reste compliqué et j’ai peur que ce soit l’émeute. Je ne voudrais pas qu’il y ait de blessés, soupiré-je en lui faisant signe de m’accompagner à l’extérieur.
- C’est sûr… Je ne suis pas certain que la façon de faire d’Arthur soit la meilleure, pour les réveiller.
- Je voulais réunir tout le monde dans le réfectoire au plus vite, mais il m’a dit que ça ne motiverait pas les gens…
- Il n’a pas tort, soupire-t-il. Mais il a l’air aussi paniqué qu’eux, ça ne va pas aider.
Ça court partout sur le campement, au loin, et mon stress grimpe en flèche. Il faut que tout soit organisé et fait dans l’ordre et le calme, si nous voulons être efficaces et, clairement, on est loin de tout ça, à cet instant. Evidemment, je peux comprendre que les Silvaniens paniquent, c’est un peu la première réaction logique. L’instinct de survie, l’adrénaline qui se diffuse dans tout le corps rapidement, et la peur qui s’immisce dans l’esprit de tout être humain qui prend conscience qu’il peut mourir.
- File apporter le camion à la grotte, je gère, soupiré-je.
- Tu ne vas pas gérer grand-chose, si tu veux mon avis, Ju.
- Merci pour l’encouragement. Fais attention à toi, Mat’, je ne voudrais pas avoir à sauver ton joli p’tit cul une fois de plus.
- Toi, fais gaffe à toi, Lieutenant. Si tu te fais écraser par une vache, j’aurai du mal à l’expliquer au Colonel.
Je lève les yeux au ciel, le sourire aux lèvres, et m’engage sur le chemin qui mène aux nombreuses tentes, essayant de ne pas me faire bousculer de toutes parts. J’attrape le bras d’Arthur pour attirer son attention et l’arrêter alors qu’il tourne en rond. Il va falloir nous organiser davantage, sans quoi on va perdre un temps précieux qui pourrait nous être fatal.
- Hey, respire un coup, Beau Bûcheron, souris-je en nouant mes doigts aux siens. Qu’est-ce que je peux faire ?
Annotations