37. La Salsa de la soldate
Julia
J’observe Arthur boutonner sa chemise alors que je noue celle que je lui ai piquée, l’une de mes préférées et qui lui vaut son surnom, sur ma hanche. Heureusement que le pantalon de Lorena est taille haute, je n’ai pas non plus envie que mes hommes fassent à nouveau des paris sur qui couchera ou pas avec moi, quoiqu’ils se sont calmés, je pense, ou alors je n’y fais plus attention.
Le regard appréciateur de mon Bûcheron me fait sourire, et je me dis que la Julia en civil devrait lui plaire… Dans six mois. Si nous sommes toujours ensemble, s’il n’a pas fini dans les bras de Nathalie. Ah Nathalie… Aucune envie de repenser à ma formation en sa compagnie, mais forcément, lorsque son nom fait irruption dans ma tête, difficile d’oublier nos années de jeunes recrues, où nous luttions pour être la meilleure. Elle m’en a fait, des sales coups, cette garce. Le pire étant de se taper Elliott, mon ex qui ne l’était pas à ce moment-là, dans notre véhicule de l’époque, au beau milieu de la base, au beau milieu de l’après-midi. Sa plus grande victoire, je crois, parce qu’elle n’arrivait pas à me battre au champ de tir ou sur le parcours d’entraînement. Alors évidemment, j’ai dit ça en plaisantant à Arthur, mais je redoute tout de même son penchant pour me faire chier et me planter des couteaux dans le dos. Le Sergent Nathalie Connasse Dupont est imbattable sur tout ce qui touche à la fourberie. Elle s’est tapée Snow, évidemment, et tous les gars avec lesquels je m’entendais bien, quand je gardais ma culotte et me concentrais sur ma formation, et s’en vantait à qui voulait bien l’écouter. Heureusement qu’elle fait bien son boulot. Je sais, au moins, qu’elle protègera ce camp au péril de sa vie sans souci. Sauf si elle a le pantalon aux chevilles, tout du moins.
- Julia ? Tu m’écoutes ?
- Pardon, tu disais ? soupiré-je en m’asseyant sur le lit d’Arthur pour lacer mes rangers qui font tache avec cette tenue.
- Je disais qu’il ne faut pas traîner, parce que Snow est capable de nous afficher devant tout le monde.
- Ouais, je m’en fous en fait, qu’il clame haut et fort qu’on est en retard parce qu’on a baisé comme des lapins, comme il dit, peu m’importe.
- Il ne fera pas ça, il nous aime bien au fond. Mais ne tardons plus quand même. J’ai hâte de t’inviter à danser.
- Un poil de normalité dans ces six mois de folie ? Serait-ce un rencard, Monsieur Zrinkak ?
- Oui, Lieutenant Vidal. Je requière officiellement l’honneur de vous inviter pour votre première danse. Et la deuxième aussi. Et peut-être toutes les suivantes aussi !
- J’en prends note et accepte avec plaisir, souris-je avant de l’embrasser sur la joue. Il va cependant falloir que tu négocies avec Lila, elle aussi voulait danser avec moi.
- Avec elle, je veux bien te partager, répond-il en m’invitant à le suivre hors de notre tente.
- Bien… Et je te préviens, je ne te partage également qu’avec elle, dis-je alors que mes yeux sont immédiatement attirés par la silhouette de Nathalie, discutant avec Mathias.
- C’est noté, dit-il alors que son regard se porte aussi sur elle, créant en moi la peur irrationnelle qu’il cède à ses avances.
- Rentre la langue, tu baves, bougonné-je en le distançant pour aller retrouver Lila qui porte une jolie robe fleurie sous son manteau.
Je la prends dans mes bras alors qu’elle me saute dessus et profite de son étreinte pour me calmer. Pourquoi fallait-il que Nathalie soit déployée ici, maintenant, alors que je m’en vais ? Ils ne pouvaient pas l’envoyer ailleurs, comme sur la Lune, par exemple ?
Je n’ai plus trop le temps de penser, parce que les Silvaniens viennent me voir les uns après les autres pour me remercier d’avoir fait mon boulot. Un mot en Français pour certains, juste une poignée de mains pour d’autres, mais j’accueille leur gentillesse avec un sourire non feint et mon cœur se gonfle d’amour autant que de tristesse.
- Tu fuis Zrinkak ? me demande à l’oreille Snow alors que Lila tient toujours ma main.
- Non, pourquoi ?
- Allez, je t’ai vue te déplacer quand il approchait. Y a déjà de l’eau dans le gaz ?
- Non, il y a une Nathalie dans le camp, bougonné-je.
- Oui, j’ai vu, elle pense que tu es amoureuse de moi et essaie déjà de me mettre dans son lit. J’ai pas dit le contraire, tu sais, pour brouiller les pistes, me dit-il avec un clin d'œil.
- Ouais… Sauf qu’Arthur va me coller, être tactile, et elle va piger. Non pas que ça me dérange qu’il le soit, mais j’ai pas du tout envie qu’il soit sa nouvelle cible. Déjà qu’il la mate sans vergogne, ce foutu Bûcheron.
- Fais-lui confiance, un peu. Vous deux, vous vous aimez, c’est clair. Je suis jaloux d’ailleurs, de cette connexion. Et regarde, il revient déjà vers nous. Tu veux que je le prévienne ou je le laisse venir te peloter ?
- C'est en elle que je n'ai pas confiance, bougonné-je en la cherchant des yeux. C'est une sangsue, un vampire, un dragon. Et encore, je suis polie. Je t'évite les connasses et autres salopes.
- C’est qui la salope ? me demande Arthur qui est revenu à nos côtés. Je t’ai rarement entendue parler comme ça, Julia.
- C'est que tu ne l'as jamais entendue parler de Nathalie, ricane Snow avant que je lui colle mon coude dans le ventre en le fusillant du regard.
- Pas de commentaires sur Nathalie… Merci bien.
- Ah Nathalie, c’est la fille qui va se taper tout le régiment avant la fin de ses six mois là-bas ? Qu’elle est vulgaire ! Ça change de toi ou d’Eva, même Myriam a plus de classe, renchérit mon Bûcheron, ce qui m’arrache un sourire.
- Attends, quand tu dis vulgaire, tu parles bien du physique, rassure-moi ? Parce que sinon, je ne savais pas que l'amour rendait sourd. Tu te tapes la charretière de service quand même, s’esclaffe un Snow que j'ai envie de frapper.
- Non, je parle de son attitude à la “baise mon cul, j’ai que ça à vendre” ! Tu as vu comme elle mate tous les mecs ? On dirait une mante religieuse !
- Ah mais oui ! J'avais oublié la mante religieuse dans ma liste, pouffé-je. Bien vu, Chéri. Je te déconseille de t'en approcher d'ailleurs…
- Je demanderai à Snow de me protéger quand tu seras partie, ne t’inquiète pas. En attendant, c’est l’heure de la première danse, il me semble. Tu préfères que je demande quoi au DJ ?
- Ce que tu veux… Surprends-moi, tant que ce n'est pas "Tomber la chemise", je voudrais rester habillée.
Je le regarde s’éloigner quelques instants pour discuter avec le jeune qui gère la musique. Il revient vers moi alors que les premières notes d’une salsa résonnent dans la salle. Il me sourit, confiant, et vient poser sa main sur mon épaule en se positionnant à mes côtés. Il se met ensuite à tortiller des fesses et à faire quelques pas pour me montrer ce qu’il faut faire. Je ne suis pas une experte, même si ce n’est pas la première fois que je me lance dans une telle aventure artistique. Lorsqu’il attrape mes mains, je lui souris et nous nous mettons à bouger en rythme et en parfaite harmonie, un peu comme si nous étions seuls dans notre bulle. C’est d’ailleurs un peu le cas car tout le monde s’est mis en cercle autour de nous et applaudit au rythme de la musique. Pour la discrétion, c’est mort. Mais le moment est magique et quand il m’attrape par le bras et me fait tournoyer, je le fais avec un plaisir non feint. Cet homme est magique et a un déhanché de fou. C’est un rêveur qui m’entraine avec lui dans ses rêves et il me rend heureuse.
Lorsque la musique s’arrête, il me serre contre lui et plonge ses magnifiques yeux bleu azur dans les miens. J’y lis tout l’amour qu’il a pour moi alors que je reprends mon souffle. Je l’embrasse tendrement sur la joue et glisse ma main dans la sienne pour l’entraîner un peu plus à l’écart et prolonger notre moment dans cette nouvelle bulle qu’il a réussi à nous créer.
- Tu m’as caché ce talent, Beau Bûcheron, souris-je en me lovant contre lui.
- J’ai encore plein de facettes à te faire découvrir, ma chérie. Tu es sûre que tu ne veux pas rester encore un peu pour en avoir le temps ?
- J’aimerais bien, mais tu sais, une fois les missions sur le terrain terminées, on a du boulot aussi sur la base, ris-je. Je ne glande pas la moitié de l’année.
- Tant pis pour toi, je réserverai mes prochaines danses à Snow, s’amuse-t-il à me provoquer.
- Tant que ce n’est pas à Nathalie, tu peux bien faire comme bon te semble, marmonné-je.
- Arrête de me parler d’elle, tu sais bien que c’est toi que j’aime. En plus, ça va être l’heure de faire un discours. Tu es attendue au micro.
- Quoi ? Non ! Je veux pas faire de discours, y a pas besoin de discours !
- Il va falloir, Julia, j’ai même un petit cadeau à te remettre de la part de ma mère, au nom du peuple silvanien.
Je soupire et me tourne vers la petite scène improvisée pour constater que tout le monde s’est arrêté de danser. Fait suer, je ne suis pas fan des discours et j’espérais pouvoir y échapper, d’autant plus que je me sens particulièrement à fleur de peau ces derniers temps, et ça n’a aucun rapport avec la poufiasse qui traîne dans les parages. Quoi qu’elle participe à me faire regretter mon départ encore davantage.
J’embrasse tendrement Arthur et fends la foule pour rejoindre le jeune homme qui me tend le micro. Il va falloir que je me contienne pour ne pas pleurer comme une andouille, mais j’ai aussi envie d’être totalement honnête avec toutes ces personnes qui, ce soir, sont mélangées sans faire de différences entre réfugiés et soldats. C’est plus qu’une soirée entre nous, c’est une communion de ces mois passés ensemble, un au revoir gratifiant après les épreuves que nous avons traversées.
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