57. Le clan des Vidal

9 minutes de lecture

Julia

- Si vous pouviez juste éviter de le faire fuir, en fait, ça m’arrangerait.

Je fais le tour de la table sur la terrasse en déposant les couverts, alors que toute la famille est déjà réunie. Arthur n’est pas encore arrivé, il a passé l’après-midi avec Sylvia, et c’est bien la première fois que je doute d’avoir envie de voir mon Bûcheron depuis qu’il est rentré. Dire que j’appréhende ce dîner est un euphémisme. Rien de tel que de présenter son mec à la famille pour qu’ils fassent tout ce dont ils sont incapables lorsque je suis en OPEX : chercher à me protéger. La famille étouffante dans toute sa puissance. Ma mère va être pot de colle avec Arthur tout en lui posant des questions bien ciblées, Sarah va être la reine du malaise, et je ne parle même pas d’Hector, qui va se la jouer flic en interrogatoire. Antoine sera le moins insupportable de tous, plus discret, mais il aura son avis en moins de deux minutes. Et mon père va être froid et distant, silencieux et observateur. Je l’ai déjà vécu, avec Elliott, et la famille n’était pas très emballée par mon ex. A raison, certes.

- T’inquiète pas, il restera en un seul morceau, ton mec, on va juste apprendre à le connaître, me dit Hector avec un sourire carnassier accentué.

- J’aurais jamais dû dire à quiconque qu’Arthur venait cette semaine, ça nous aurait évité cette soirée qui promet d’être bien dérangeante.

- Voiture !

Sarah, qui fait le pied de grue depuis dix bonnes minutes près du pommier, s’excite toute seule en débarquant près de moi, le sourire jusqu’aux oreilles.

- Oh là là, mais respire bon sang, t’es pire que tous les Vidal réunis.

- Eh, je suis une Vidal, je te rappelle !

Je lève les yeux au ciel et entre dans la maison pour rejoindre la porte, suivie par un wagon d’emmerdeurs.

- On peut avoir deux petites minutes, au moins ? bougonné-je en ouvrant la porte alors que je vois Arthur sortir de ma voiture.

- Ah non, depuis le temps qu’on attend ça, s’esclaffe ma mère.

- Deux minutes. C’est non négociable, sinon je rembarque mon Bûcheron et vous n’aurez même pas l’occasion de lui dire bonjour.

- Bien, Lieutenant, sourit mon père. Lâchez-leur la grappe deux minutes. Le barbecue ne va pas s’allumer tout seul.

Merci Papa ! Je sors rejoindre Arthur et lui lance un sourire crispé alors qu’il récupère une bouteille et un bouquet de fleurs dans le coffre.

- Quoi ? Ta mère est allergique aux fleurs ? Ton père ne boit pas d’alcool ?

- Hein ? Non, ris-je, tout va bien pour ça. Il ne fallait pas, voyons. C’est juste qu’ils sont collants, je suis déjà épuisée.

Je jette un œil à la maison et constate avec dépit qu’ils sont tous entassés devant la fenêtre. Bordel, c’est carrément la honte. J’attrape Arthur par le bras et l’entraîne derrière la voiture. Je lui prends ses présents des mains et les pose au sol avant de me lover contre lui et de l’embrasser sans voyeurs.

- On n’a plus qu’une minute de tranquillité, ris-je nerveusement. Je t’ai déjà dit que j’étais désolée de t’emmener dans l’arène ?

- Tu ne leur as jamais ramené de copain à la maison ou quoi ? me répond-il en me souriant. Ne t’inquiète pas pour moi, j’ai survécu à la Silvanie, je survivrai aux Vidal.

- Si, j’ai déjà fait cette expérience, t’as intérêt d’avoir le cœur accroché. Ça a été avec ta soeur ?

- Oui, elle est vraiment décidée à venir avec moi. On a vu pour les billets d’avion et il ne lui reste plus qu’à convaincre son mari, mais là, c’est pas gagné.

- On est au vingt-et-unième siècle, bon sang, si elle veut y aller, il acquiesce et il fait sans sa petite femme pendant quelques jours, soupiré-je.

- On vous attend ! vocifère Sarah, me faisant lever les yeux au ciel.

- Bienvenue dans ma famille de dingues, bougonné-je en lui rendant les cadeaux pour mes parents.

- N’aie pas peur, ma Chérie. Même si je fuis d’ici, tu sais où me retrouver ! me dit-il avant de crier vers ma famille. Ne vous inquiétez pas, Zorro est arrivé !

Zorro ? Il a picolé avant de venir ou quoi ? Je soupire et l’entraîne avec moi jusqu’à l’entrée. J’ai envie de fuir et de le laisser se débrouiller avec eux. Je n’ai aucune envie d’assister à ce massacre. Sarah est la première à agir, elle le prend dans ses bras et lui murmure je ne sais quoi à l’oreille, qui fait sourire Arthur. Antoine lui serre sobrement la main, quand Hector se la joue mâle intimidant en bombant le torse, le regard insondable. C’est tout bonnement ridicule et j’hésite entre rire et l’engueuler.

- Il est encore plus beau en vrai qu’en photo, me murmure Sarah. Bon, il est plus habillé que sur la photo que tu m’as montrée, mais canon, le Bûcheron.

J’acquiesce, le sourire aux lèvres, alors que ma mère lui tape la bise, un sourire jusqu’aux oreilles en récupérant le bouquet. Mon père lui serre la main calmement, le remercie pour la bouteille et lui tourne le dos pour aller à la cuisine sans plus lui adresser un regard. Bienvenue chez les fous, Zrinkak.

- Hé, Monsieur, c’est toi le chéri de Tata ? demande Sacha, tout timide, en tirant sur le tee-shirt d’Arthur.

- Moi, c’est Arthur. Sacha, c’est ça ? Et oui, je suis l’amoureux de ta Tata, sauf si ça veut dire que je ne pourrai pas m'asseoir à côté de toi et te raconter comment Julia m’a sauvé d’une maison qui s’est effondrée sur nous.

Je n’ai pas le temps de donner un coup de coude à Arthur que ma mère s’emballe.

- Quoi ? Une maison s’est effondrée sur vous ? Julia, mais pourquoi tu ne nous as rien dit ?

- Bien joué, Zrinkak, marmonné-je en prenant Sacha dans mes bras. C’était rien de grave, Maman, la preuve, on est là, on s’en est sorti sans encombres.

- Tu parles ! Combien de trucs tu nous as encore cachés, Julia ? Arthur, continue-t-elle en glissant son bras sous celui de mon Bûcheron, il va falloir tout nous raconter !

- Vous voulez que je vous raconte comment elle a accepté et réussi à faire venir des vaches dans le campement ? Votre fille est incroyable, vous savez ?

- Bien sûr qu’elle est incroyable, c’est ma fille ! sourit-elle. Mais ça, je suis au courant. Quelque chose me dit que tout ce qui est dangereux m’a été caché, en revanche !

- Mais non, Maman, ça, c’est le pire, soupiré-je. Allez, je crois qu’il me faut un apéro ou deux pour survivre à cette soirée.

Nous gagnons la terrasse alors que ma mère continue de le questionner sur la Silvanie et je me dis que la soirée va vraiment être longue. Je sers l’apéritif à tout le monde et souris en voyant mon père ajouter une lichette de Rhum dans mon verre de cocktail sans alcool. Arthur refuse poliment qu’il fasse de même avec le sien tandis que je m’installe sur la chaise à ses côtés.

- Alors, Arthur, content de retrouver un peu la France ? lui demande Sarah. Julia m’a dit que tu en avais pour encore trois mois là-bas, tu fais ça souvent ?

- On n’a pas vraiment de date ou de durée de mission dans mon ONG. Des fois, on a des équipes qui sont parties plusieurs années sur un site. Donc, j’y suis tant que je n’ai pas trouvé et formé mon remplaçant. Encore quelques temps, comme tu vois. Et non, je ne fais pas ça souvent. Je suis plus sur le côté back up financiers des missions d’habitude. Mais la Silvanie, comment pouvais-je refuser d’aller retrouver le pays où je suis né ?

- Donc tu peux y être pour plus de trois mois encore ? Eh bien, c’est pas cool pour la famille, ça. Au moins, les missions de Julia ont une date de fin. C’est fou ça, comment tu peux mettre ta vie entre parenthèses pendant autant de temps ?

- L’humanitaire, c’est un engagement autant que l’armée, vous savez ? Et quand je me suis lancé, j’étais seul et sans attache. Je n’ai pas réfléchi à la fin de la mission. On peut être bête parfois quand on a des chagrins d’amour.

- Et comment vous comptez vivre une relation à deux en ne vous voyant jamais ? intervient Hector. J’arrive pas à comprendre, en fait. J’ai du mal à imaginer une relation de couple saine et honnête dans ce contexte.

- Eh bien, on vivra une relation malsaine et malhonnête, alors, mais pleine d’amour. Avec l’Amour, on réussit tout, ça fait des miracles, il paraît, répond mon Bûcheron, un peu énervé.

- L’amour ne fait pas tout. Sans intimité, sans complicité, moments à deux, comment un couple peut tenir ? continue-t-il alors que je glisse ma main dans celle d’Arthur.

- Et tu penses qu’on doit forcément être physiquement ensemble pour avoir tout ça ? Tu sais qu’on n’est plus à l’âge de pierre ? continue mon Bûcheron.

- Tu parles, tu crois que passer sa vie devant sa console et délaisser sa femme, c’est mieux ? attaqué-je, agacée. Et puis, Arthur vous a dit qu’il ne partait pas souvent.

- Et je fais tout pour rentrer vite. C’est tellement difficile de vivre loin de votre Julia. Vous devez le savoir mieux que moi, non ?

- A qui le dites-vous, jeune homme, soupire ma mère. Je ne comprendrai jamais ce qui lui a pris de s’engager.

- J’aime ce que je fais, et je suis douée pour ça, Maman. Il faut arrêter d’essayer de comprendre et simplement l’accepter.

- Peut-être, mais vous, Arthur, ça ne vous fait rien de savoir qu’elle va risquer sa vie ?

- Statistiquement, elle ne risque pas plus sa vie en mission qu’en traversant la route. Il faut juste savoir relativiser le risque, vous savez, le mettre en perspective. Et elle fait redoutablement bien son travail, ça, je peux en témoigner !

- Elle les mène à la baguette, n’est-ce pas ? intervient mon père, silencieux jusqu’à présent.

- Et même sans baguette, rit mon Homme qui ne se démonte pas face à ma famille.

- Au moins, aucun doute quant à celui qui porte la culotte dans votre couple, rit Antoine alors que je lève les yeux au ciel.

- Ou qui ne la porte pas, répond Arthur avec un clin d'œil appuyé vers mon frère alors que je lui mets un coup de coude.

- Oui, j’ai entendu dire qu’elle n’avait pas beaucoup l’occasion d’en porter une depuis ton retour, s’esclaffe Sarah avant de geindre quand je lui envoie un coup de pied sous la table. Oh ça va, Juju, tout le monde ici sait que tu n’es plus vierge depuis longtemps !

- Les culottes, c’est surfait. Est-ce qu’on pourrait arrêter de parler de ma vie sexuelle devant mes parents, s’il te plaît ? J’ai encore un peu de pudeur.

- Attends d’avoir un gosse, tes parents sauront tout de ta vie après ça, et ça ne te fera plus rien.

- On n’y est pas. Et je peux t’assurer qu’à présent tu en sauras aussi peu que mes parents, bougonné-je en me levant. Je ne t’ai même pas fait visiter la maison, Arthur. Tu viens ? On fait une pause sur l’interrogatoire ?

- Oh oui, je rêve de voir la chambre où tu as grandi, répond-il avec un sourire charmeur et éclatant.

- Faites en sorte qu’elle garde sa culotte quand même, vous voulez bien ? sourit mon père.

- Je vous promets de juste vérifier s’il y en a une ! lui répond-il, toujours le sourire aux lèvres.

Mes frères grimacent alors que Sarah éclate de rire, et je lève les yeux au ciel en entraînant Arthur avec moi à l’intérieur. La soirée est bien loin d’être terminée et je me demande combien de temps je vais tenir avant d’envoyer bouler tout le monde et de retourner m’enfermer avec mon Bûcheron dans mon appartement. Je savais qu’ils allaient être chiants, et Arthur ne s’en tire pas mal, mais ça m’énerve d’être aussi couvée. Je suis une grande fille, je fais bien ce que je veux de ma vie, et Arthur est quelqu’un de bien. Qu’est-ce qu’il leur faut de plus, sérieusement ?

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