61. Du Yoga pour un rencard

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Julia

- Debreuil ! J'ai dit pas de papotage de gonzesse ! Tu me feras trois tours de plus !

- Oui, Lieutenant !

J'observe les recrues, qui n'en sont plus tant, s'épuiser sur le terrain. Oui, je suis moi-même misogyne, parfois, j'ai honte. Mais au moins, ils comprennent où je veux en venir. Les mecs sont pires que les nanas, ça blablate encore et encore, joue à qui a la plus grosse, déblatère sur les femmes qui passent dans leur champ de vision, discute du dernier match de foot ou de rugby, et fait des blagues graveleuses. Beaucoup de blagues graveleuses. Bref, cette expression est stupide et j'ai presque honte de l'utiliser.

Non, je ne suis pas plus dure que d'ordinaire. Non, je ne suis pas déprimée par le départ d'Arthur et potentiellement plus irritable. Je suis tout le temps comme ça. À l'armée, on ne rigole pas, on obéit, on se tait et on fait ce qu'il y a à faire. Certains l'ont oublié, si j'en crois le groupe de soldats pas bien loin qui discutent et rient bruyamment depuis une demi-heure, mais c'est la base.

Je lutte pour ne pas me retourner en entendant Collins, dans le petit groupe de blablateurs, parler de Silvanie suffisamment fort pour que j’entende au moins le nom du pays. Qu'est-ce qu'il raconte encore comme conneries, lui ? Encore en train de se plaindre de mon management, j'imagine, vu le nombre de fois où il s'est tapé les latrines.

- Allez c'est bon pour aujourd'hui ! Étirements et douches, soldats. Je suis dans mon bureau si vous avez besoin.

Je les observe se mettre au garde à vous, tous en sueurs et épuisés, avec la satisfaction un peu malsaine que doivent avoir toutes les personnes qui ont été dans ma position. On a tous galéré en étant à leur place, et la préparation physique est essentielle pour les missions.

Lorsque je regagne le bâtiment où se trouve mon bureau, le Capitaine Torchet est à la photocopieuse avec la secrétaire et se tait brusquement en me voyant, un peu comme le groupe près du terrain à mon passage. Je ne sais pas ce qu'ils ont aujourd'hui, mais ça commence à me gonfler.

- Un problème, Capitaine ?

- Euh, non, Lieutenant. Pourquoi tu me demandes ça ?

- Je sais pas, une intuition, soupiré-je. Bonjour Caroline. Comment vont les enfants ?

- Ils vont bien. La semaine de vacances s’est bien passée ? Vous avez bien profité de votre ami ?

- Oui, c'était une très bonne semaine, dis-je sans pouvoir m'empêcher de sourire. Elle est passée un peu trop vite à mon goût cela dit, mais je ne vais pas me plaindre, je n'ai pas eu à l'écourter à cause d'un coup de fil de l'armée.

- Oh le pauvre homme quand même. Retourner en Silvanie dans les circonstances actuelles.

- Caroline ! Vous parlez trop ! l’interrompt le capitaine.

- Les circonstances actuelles ? Qu'est-ce que vous voulez dire par-là ? Il s'est passé quelque chose dont je ne serais pas au courant ? dis-je en me tournant vers mon ex.

- Non, rien de grave, ne t’inquiète pas, Julia. Tout va bien ! Tout va très bien ! dit-il d’un ton qui sonne si faux que je m’approche de lui pour savoir ce qu’il me cache.

- Tu sais que je n’hésiterai pas à retourner tous les bureaux pour savoir ce que tu me caches, n'est-ce pas ? Est-ce que le camp a été attaqué ? Tout le monde va bien ? lui demandé-je sans parvenir à masquer la pointe de panique dans ma voix.

- Tout le monde va bien, oui, me répond-il de manière assurée, ce qui me détend un peu. Mais la situation générale ne s’arrange pas vraiment, si tu veux tout savoir.

- Bien sûr que je veux tout savoir. Toujours pas d’élections en prévision ? Il s’est passé quoi ?

- Le Général a fait fermer les frontières et décrété l'État d’Urgence. Il a fait arrêter plusieurs responsables des rebelles et a demandé à l’armée française de ne plus interférer dans les affaires intérieures. Il semblerait que la guerre va reprendre, même si, pour l’instant, les élections sont toujours en cours d’organisation. Bref, le dernier rapport envoyé par le Colonel n’est pas brillant. Je ne voulais pas que ça se sache pour ne pas t’inquiéter inutilement, mais certains ici semblent ne pas savoir tenir leur langue.

- Je suis inquiète, de toute façon, marmonné-je. Dire que je devrais y être encore, bon sang, ça me tue d’être ici.

- Snow gère sur place, tu n’as pas à t’inquiéter. Le Général veut juste remettre de l’ordre, a priori. Il ne va rien arriver à Zrinkak, il est entre de bonnes mains.

- Hum… On va dire ça, oui. Zrinkak s’est juste retrouvé chez les rebelles alors qu’on assurait sa protection. Bref, est-ce que tu sais si des renforts vont être envoyés ? Ça ne serait pas déconnant, les Silvaniens sont un peu barrés…

- Non, ce n’est pas prévu. Je crois que l'État Major n’a aucune conscience de ce qu’il se passe là-bas. Je pense qu’ils n’ont même pas lu le rapport que tu as fait quand tu es rentrée. Une bande de bras cassés, si tu veux mon avis.

- Eh bien, dégote-moi un petit rencard avec un bras cassé, je vais me charger de leur faire mon rapport de vive-voix.

- Ce n’est pas en mon pouvoir, ça, ma grande. Tu sais bien que personne n’a accès à l'État Major. C’est mission impossible de les contacter. Ils s’en foutent des soldats de base comme nous.

- Le Général, alors ? Trouve-moi quelqu’un d’influent à voir, Capitaine, tu as raison quand tu dis qu’ils n’ont pas idée de ce qu’il se passe en Silvanie.

- Tu crois quoi ? Que j’ai accès à la hiérarchie comme ça ? Tu me donnes des pouvoirs que je n’ai pas, Julia.

- Peut-être que... commence Caroline avant de s’interrompre, gênée.

- Peut-être que ? Je vous écoute, si vous pouvez être plus efficace que notre cher Capitaine Torchet, je prends.

- Je ne sais pas si c’est approprié et je n’aurais rien dû dire, encore une fois, répond-elle en rougissant encore plus.

- Toutes les idées sont bonnes à prendre. Je vous assure que la situation là-bas nécessite plus d’hommes et de moyens.

- Eh bien, la femme du Général va au cours de Yoga avec moi. C’est ce soir. Je pourrais lui parler, peut-être, lui demander un entretien pour vous auprès de son mari ? Je ne sais pas si ça marcherait, mais je peux tenter, si ça peut vous aider.

Je jette un coup d'œil à Jérémy qui lève les yeux au ciel en comprenant ce que j’ai en tête, puis souris à Caroline.

- Ils acceptent les nouveaux, dans votre cours ? Je me mettrais bien au Yoga, moi.

- Oh oui, on peut inviter des personnes pour des initiations. Vous voulez apprendre le Yoga ? C’est vrai que ça vous ferait du bien avec le stress que vous vivez. Quand est-ce que vous voudriez commencer ? s’interroge-t-elle, toute innocente, bien loin de saisir les choses aussi rapidement que Torchet.

- Eh bien, je commencerais bien dès ce soir, en fait. Vous avez raison quant au stress, je suis certaine que ça ne me ferait pas de mal !

- Julia, tu vas encore te mettre dans une situation pas possible, nous interrompt Jérémy, inquiet.

- Je vais au Yoga, je ne risque pas grand-chose si ce n’est une montée de sang au cerveau, ris-je. Je peux vous accompagner, Caroline ?

- Oui, bien sûr. Mais vous n’aviez rien d’autre de prévu ? Enfin, je suis contente de vous faire découvrir le Yoga, Julia. Ce sera excitant d’y aller avec une amie !

- Mon conjoint est en Silvanie, autant dire que je n’ai pas grand-chose à faire, hormis rentrer chez moi retrouver mon chat, ris-je. Passez me chercher quand vous partez alors, on ira ensemble.

- Bien, on fait comme ça. Mais j’y pense, vous pourrez peut-être voir la femme du Général vous-même si vous venez ! Ce serait l’occasion de lui demander un rendez-vous, non ? me demande-t-elle toute fière, comme si ce n’était pas ce que j’avais en tête depuis le début.

- Oui, excellente idée Caroline ! Merci ! lui dis-je, faussement enjouée avant de gagner mon bureau.

Je soupire en m’installant devant mon ordinateur. Je n’aurai qu’une chance avec la femme du Général et il va falloir que je réfléchisse à comment m’y prendre. Est-ce que je dois jouer sur les sentiments en évoquant Arthur ? Lila ? Est-ce qu’au contraire je dois être la Lieutenant, formelle et factuelle ? Jérémy a raison, je vais me foutre dans la merde avec mes conneries. Si ça ne marche pas, la femme du Général parlera de moi à son mari dans un sens qui ne me servira pas ici et il risque de me tomber dessus.

Je lance mon pc et me connecte pour appeler Snow, en vain. Aucune réponse à la salle des opérations, et ça m’inquiète plus que nécessaire. Je bougonne dans mon coin lorsque Torchet entre sans frapper dans mon bureau.

- Ça ne sert à rien d’essayer de m’en dissuader, Jérémy. A moi le Yoga !

- Tu es folle, tu vas t’attirer des ennuis. Tu crois que le Général va faire quelque chose pour tes beaux yeux ?

- Je crois qu’en la jouant finement, je peux pousser sa femme à lui parler de la situation en Silvanie. Avec un peu de chance, elle lui répétera, et il viendra à la pêche aux infos par-ici.

- Et après, tu crois qu’il va envoyer des renforts ? Tu rêves, tu sais ça ?

- Qui ne tente rien n’a rien. J’ai bon espoir que ça fonctionne. Pour avoir côtoyé un rêveur, je peux te dire que parfois, ça marche, souris-je.

- Bonne chance alors. J’aurais aimé avoir autant de place dans ton cœur. Il a de la chance, ton Zrinkak. J’espère qu’il le sait, me lance Torchet avant de s’éloigner tristement.

- Tu as eu ta place, soupiré-je en me levant alors qu’il se tourne à nouveau vers moi. Peut-être que sans ta blessure et ton rapatriement ici, ça aurait tenu. Quoique je ne pense pas être faite pour vivre avec un soldat. Je tenais vraiment à toi, quoi que tu puisses en penser. Je n’ai juste… Pas supporté la pression d’une relation avec mon supérieur, je crois.

- Oui, et je n’ai fait aucun effort non plus pour te retenir, je le sais bien. Mais jamais tu ne m’as regardé comme ça. C’est lui, le bon numéro, Julia, et je suis content pour toi.

- C’est lui le bon, oui. Même si c’est un emmerdeur, souris-je. Je te souhaite de trouver le bonheur, Jérémy, tu le mérites. Évite juste d’étaler ta vie sexuelle devant tes hommes, ça t’évitera des disputes.

Je lui fais un clin d'œil avant de me réinstaller à mon bureau. Jérémy acquiesce et tourne les talons pour sortir de mon bureau alors que je m’attèle à mon rapport du jour, non sans tenter à nouveau de joindre la Silvanie. C’est pourtant pas compliqué de répondre, non ? Bon sang, tout ceci ne me dit rien qui vaille.

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