76. Echec aux Zrinkak
Arthur
La nuit est tombée, il commence à faire frais mais personne ne bouge. Personne ne parle non plus. Nous sommes tous immobiles dans cette cour pavée, aussi bien les militaires que Sylvia et moi. Les minutes passent dans un silence de mort, ne laissant rien présager de bon.
Je laisse mes pensées dériver vers Julia afin d’éviter d’être submergé par le côté lugubre du moment. Je la revois comme ce matin durant mon court séjour en France, il y a si peu de temps et pourtant cela me semble s’être déroulé dans une autre vie. Elle était si belle dans ce lit que nous avons partagé, avec la lumière du soleil sur ses magnifiques cheveux auburns.
- Arrête ton char, Tutur, tu sais bien que ce n’était pas ses cheveux que tu regardais !
C’est vrai que le reste était aussi un spectacle inoubliable. Ses seins magnifiques, ses courbes de rêves, ses fesses nues contre mon érection, j’en étais même arrivé à douter que j’étais vraiment réveillé tellement le show était féérique.
Je suis sorti de mes rêveries par le bruit d’une porte qui claque. Je sursaute, me tourne vers le son et vois un des hommes en noir qui nous a enlevés faire un signe à ses camarades qui sont disposés autour de nous. Ceux-ci se font un plaisir de nous bousculer avec leurs armes pour nous faire monter les escaliers en fer qui mènent à la porte qu’ils ouvrent pour nous. Je précède Sylvia et nous suivons un petit couloir plongé dans les ténèbres, éclairés seulement par la lampe de poche de l’homme devant nous. Je me demande où ils nous emmènent comme ça et pourquoi tant de mystère est entretenu. Pourquoi prennent-il tant de précautions aussi ? Tout ça ne fait pas de sens.
Nous arrivons dans une petite pièce qui me semble à première vue vide. Il y a de grandes tapisseries sur les murs représentant des paysages silvaniens. Deux hommes prennent place derrière nous pour nous bloquer la sortie, leurs armes en bandoulière. Je regarde Sylvia qui semble aussi perdue que moi.
- Monsieur Zrinkak, vous m’aviez caché que votre sœur était aussi belle ! Quelle idée de ne pas avoir décrit ses charmes lors de notre dernière rencontre !
Je reconnais la voix et me demande d’où elle vient. Je fais deux pas pour avancer dans la pièce et je l’aperçois enfin. Il est assis sur une chaise dont le dossier cachait sa présence. Il se lève et nous indique qu’il souhaite qu’on le rejoigne à table.
- Général Ankhov, si vous vouliez nous inviter à dîner, vous n’aviez pas besoin de mobiliser tant d’hommes et tant de moyens. Un simple coup de téléphone aurait suffi, dis-je avec une assurance que je suis loin de ressentir au fond de moi.
- J’y penserai, la prochaine fois, Monsieur Zrinkak. Mais, l’effet ne serait pas aussi fort. Et puis, vous seriez encore venu accompagné, je me trompe ?
- Parce que vous pensez que je ne suis pas accompagné, là ? Vous me vexez ! Quoique… Je suis sûr que ma sœur aurait préféré être auprès de sa famille plutôt qu’à votre table. En bon gentleman que vous êtes, vous allez bien entendu la laisser partir après ce petit dîner, non ?
- Oh, ce n’est pas vraiment au programme, non, dit-il avant de faire un baise-main à Sylvia. Vous m’en voyez désolé, ma chère, mais vous allez devoir rester ici durant un moment.
- Ne me touchez pas ! Monstre ! Jamais je ne m'assiérai à votre table ! Plutôt crever de faim !
Je regarde ma sœur avec un mélange d’admiration et de crainte qu’elle ne mette en colère notre hôte, mais il se contente de sourire.
- Vous changerez d’avis, charmante Sylvia. Quel caractère ! J’adore ça ! C’est tellement rafraîchissant.
- Et vous, vous êtes un gros porc ! Pourquoi nous avez-vous faits prisonniers ? On a rien à voir avec vos magouilles !
- Vous, non. Mais votre matriarche, en revanche… Elle a besoin qu’on lui rappelle ce qui est le plus important dans la vie, non ? Des décennies sans voir votre propre mère, vous ne voulez pas lui faire payer ?
- Ne vous mêlez pas de notre vie privée, interviens-je avant que Sylvia ne reparte dans des insultes contre lui. Cela ne vous concerne pas. Nous ne sommes pas responsables des actes de notre mère. Vous pensez vraiment que notre sort l’intéresse après nous avoir abandonnés pendant plus de vingt ans ?
- Je pense effectivement que reprendre contact avec ses enfants va avoir ramolli son cœur de pierre. Ça, et l’âge, sans doute. La Gitane n’est plus ce qu’elle était. Elle a pris des risques pour reprendre contact avec sa fille. Elle aurait pu mourir il y a quelques jours, si je l’avais voulu, près de cette fontaine.
Ma soeur et moi le regardons et scrutons son visage qui reste impassible. Il a l’air heureux de son petit effet alors qu’il fait mine de s’occuper à jouer avec son couteau dans son assiette vide. Je pense que notre silence est un terrible aveu que ce qu’il avance est vrai. Mais pourquoi le nier, il a l’air de déjà tout savoir.
- Comment pouvez-vous savoir ça ? Si peu de gens sont au courant…
- Je sais tout ce qu’il se passe dans mon pays, Arthur. L’avantage d’avoir l’armée sous mes ordres. Bref ! Vous devriez vraiment vous installer pour dîner en ma compagnie. Le temps peut être très long et désagréable si vous ne vous nourrissez pas.
- En tous cas, ce n’est pas parce que nous nous sommes vus que ça change quelque chose pour elle, Général. Je pense que vous ne savez pas tout. Elle a su nous abandonner quand on était enfants et mignons, vous pensez bien que maintenant que nous sommes grands et pas beaux, on a encore moins de place dans sa vie. Vous êtes un fou si vous pensez que notre présence ici va l’influencer.
Je m’installe à ses côtés alors que Sylvia reste debout et me jette un air courroucé. Je hausse les épaules et dis, m’adressant à elle.
- J’ai faim, ça a l’air bon. Et puis, ce n’est pas en mourant de faim qu’on arrivera à quelque chose.
- Voilà qui est une sage décision, Arthur. Vous me semblez plus futé que votre petite sœur. Vraiment, chère Sylvia, vous devriez vous installer avec nous. De quoi avez-vous peur ? Je ne gaspillerais pas de nourriture en l’empoisonnant, rit-il. Nous avons des valeurs, en Silvanie.
- Vous êtes aussi horrible que l’ancien Président. Je n’ai pas confiance en vous et je ne veux rien de vous. M’asseoir à vos côtés serait déjà me corrompre. Vous n’êtes qu’un gros porc véreux !
Je la regarde, entre amusement et étonnement. Je sais, moi, qu’il y a des batailles qu’il faut savoir perdre. Avec ou sans panache, ça ne fait aucune différence. Elle ajoute cette bravade que je n’ai pas l’énergie d’afficher. J’ai compris que cela ne sert à rien de l’insulter ou de le braver. Je préfère essayer d’endormir sa vigilance et attendre le bon moment pour lancer la contre-attaque, mais Sylvia, prise par les émotions, n’a pas ce recul. Elle répond avec ses tripes. Et pour ça, je l’aime. Et je crois que le Général a trop besoin de nous vivants pour tenter quoi que ce soit contre elle pour l’instant. Je le regarde alors qu’il plisse les yeux en direction de ma sœur.
- Je vois que vous n’avez jamais rencontré notre cher Président. Je n’ai rien à voir avec ce porc, croyez-moi. Si c’était le cas, je vous aurais déjà tripotée, voire tringlée sur cette table sous les yeux de votre frère. Mais je déteste voir les gens mentir, alors peut-être que c’est ce que vous recherchez ? lui dit-il en se levant, un sourire au coin des lèvres.
- Je ne veux pas rentrer dans vos petits jeux de vérité ou de mensonge, dit-elle doucement en se reculant alors qu’il s’approche lentement d’elle.
Je me lève à mon tour pour m’interposer, mais immédiatement un garde vient pointer son arme vers moi. Impuissant, je regarde Ankhov s’approcher de ma sœur qui ne peut plus reculer, dos au mur.
- Vous êtes vraiment superbe, Sylvia, lui dit-il en caressant sa joue alors que ma sœur grimace. Je suis pour le consentement, vous savez, et je ne me permettrai pas d’abuser de vous. Pourtant, ce n’est pas l’envie qui me manque de vous faire jouir.
- Ne me touchez pas… S’il vous plaît, dit Sylvia en craquant et en se mettant à pleurer. Je n’ai rien fait, moi. Je veux rentrer en France… S’il vous plaît…
Mon coeur se serre de la voir comme ça. J’ai envie de prendre tous les risques, là, tout de suite, mais je ne suis pas un super héros. Et si je me fais tuer alors que le Général n’a fait que parler, jamais je ne serai en mesure de lui venir en aide quand elle en aura vraiment besoin.
- Ankhov, laissez donc ma sœur tranquille. Vous valez en effet mieux que Lichtin, il me semble. Dites-nous donc ce que vous attendez de nous. Sylvia, viens donc t’asseoir. Manger te fera du bien, je t’assure.
- Vous cherchez à me flatter, Arthur ? sourit-il en s’éloignant malgré tout. Ce que j’attends de vous ? Rien. Juste d’attendre patiemment. Et éventuellement de prier pour que votre mère ne soit pas trop stupide. Je n’ai aucune envie de vous tuer. Mais, vous savez, je suis militaire, et vous coller une balle dans la tête ne m’empêchera pas de dormir.
- Si vous comptez sur l’intelligence ou la raison de notre mère, c’est vous qui êtes stupide, énoncé-je alors que ma soeur s’installe finalement à mes côtés, évitant soigneusement de se rapprocher du Général qui la déshabille littéralement du regard. Je crois que vous feriez mieux de vous préoccuper de ce que va faire l’armée française, plutôt que la Gitane.
- L’armée française ? s’esclaffe-t-il. Ils ne feront rien contre moi. Déjà faudrait-il qu’ils sachent qu’il s’agit de moi. Vous comptez sur votre Lieutenant ? Elle s’est réinstallée tranquillement au camp, Arthur. Qu’est-ce que vous croyez, que parce que vous la baisez, elle va risquer sa carrière pour vous ?
- Si vous n’aviez aucune inquiétude de ce côté-là, vous n’auriez pas pris autant de précautions pour cacher vos traces, Général, rétorqué-je en souriant. La partie ne fait que commencer, pas sûr qu’à la fin, ce soit vous qui mettiez ma reine échec et mat.
- Arthur, s’énerve-t-il, si vous saviez jouer aux échecs, vous sauriez que ce n’est pas la reine qu’on met échec et mat, mais le roi. J’ai toutes les pièces maîtresses en main, et cette partie, je vais la remporter. Et vous, pauvre fou que vous êtes, vous allez pouvoir apprécier comment je m’occupe de votre sœur. Un pion de plus dans mon jeu, voilà ce que vous êtes. Rien d’autre !
Enervé, il sort de la pièce sans un mot de plus. J’ai réussi à le faire sortir de ses gonds. Une bien petite victoire dans la situation dans laquelle nous sommes, mais le regard reconnaissant de ma sœur fait plaisir à voir. Elle a compris que je ne m’étais pas résigné, même si je me suis assis à sa table. Elle sait que je ne vais pas me laisser faire. Et moi, ce que je sais, c’est que Julia, ma Reine, va tout faire pour nous sortir de là. Quelle que soit la stratégie du Général, j’ai confiance en ce qu’elle mettra en place pour nous secourir.
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