77. Un chef susceptible peut en cacher un autre
Julia
Lila dort à poings fermés tout contre moi et je savoure ce petit moment de répit avant de repartir en guerre pour retrouver Arthur et Sylvia. Je me suis accordé quelques heures d’un sommeil qui a tardé à venir, et j’ai finalement passé un temps fou à observer ce petit ange au souffle apaisé.
Je me lève tout doucement et commence à m’habiller quand je l’entends bouger dans sa couchette. Lila se frotte les yeux en se redressant puis s’étire comme un chat.
- Tu fais quoi, Julia ?
- Il faut que je retourne travailler, Jolie Lila, murmuré-je.
Lorena, qui s’est installée dans le lit d’Arthur pour s’occuper d’elle depuis qu’il a disparu, nous tourne le dos en soupirant bruyamment dans son sommeil.
- Déjà ? Mais, le soleil dort encore !
- Chut, souris-je en me glissant à nouveau sous les draps avant qu’elle se blottisse contre moi.
- Pars pas, Julia. Je veux pas rester seule.
- Tu n’es pas toute seule, Lorena s’occupe de toi, ma Puce, soupiré-je en la serrant contre moi.
- Oui, mais si tu pars aussi, après, Lorena va me laisser. Comme tous les grands ! Pourquoi il est parti, Arthur ?
- Je ne pars pas, Lila, je suis même revenue, tu vois ? Ce n’est pas parce qu’on s’en va qu’on ne revient pas. Arthur va revenir, mais il doit d’abord finir son travail, dis-je en essayant d’être convaincante.
- Il m’a pas dit qu’il partait. Il m’avait promis de toujours me dire tout. Et là, pouf, il a disparu. Il est rentré en France avec Tata Sylvia ?
- Non, ma Puce, je te promets qu’il n’est pas rentré. Il ne savait pas qu’on le garderait pour travailler, sinon il te l’aurait dit, je t’assure.
- D’accord. Il revient quand ? Tu peux pas aller le chercher pour qu’il vienne ici ?
- J’irai le chercher dès que ce sera possible, Lila. Il ne faut pas que tu t’inquiètes, Arthur va bientôt revenir.
Enfin, je l’espère. Je ne suis définitivement pas douée avec les gosses. Je lui mens ouvertement et dis des choses dont je ne suis même pas certaine, et j’ai l’impression que j’essaie de me convaincre moi autant qu’elle.
- C’est si terrible que ça de dormir avec moi ? continué-je doucement en faisant la moue.
- Non, c’est bien, mais Arthur, il a dit qu’il allait devenir mon papa. Toi, tu fais moins bien le papa.
- C’est sûr que ça fait pas pareil quand c’est moi qui fais ça, souris-je en lui faisant des bisous dans le cou.
- Hihi ! Non, ça pique pas avec toi !
- Je suis là, Lila, et Arthur rentrera le plus vite possible, tu sais. Ça va aller, ma Puce, et bientôt tu pourras visiter la France si tu en as envie.
- Je t’aime Julia. Tu es jolie ! Bonne nuit ! me dit-elle alors avec un sourire qui accompagne ces quelques mots prononcés sur le ton d’une récitation, mais avec un tel cœur qu’ils m’émeuvent profondément.
- Je t’aime aussi, jolie Lila, souris-je. Tu veux aller finir ta nuit avec Lorena ? Tu devrais essayer de dormir encore un peu, il est encore tôt.
Non, je vais dormir ici. Il fait chaud.
- Bien ma petite demoiselle. Alors rendors-toi, chuchoté-je en caressant ses cheveux doucement.
Lila lutte un petit moment avant de finalement sombrer à nouveau dans le pays des rêves, et j’attends un peu pour me lever, encore plus prudemment que tout à l’heure. Je m’habille en silence, sors de la tente après avoir déposé un baiser sur son front, et retourne à la grange où je prends le temps de relire encore et encore les informations que j’ai pu recouper depuis le kidnapping des Zrinkak.
Il est un peu plus de onze heures lorsque je lève les yeux de mes dossiers, alors que Mathias débarque dans la salle des opérations.
- Tiens donc, le retour de l’estropié, souris-je en me levant pour le prendre dans mes bras. Comment tu vas ?
- Je ne suis pas estropié. J’ai juste pris un petit coup sur la tête, grommelle-t-il en me serrant contre lui.
- Le Doc t’aurait-il amputé de ton humour ? Prêt à reprendre du service ?
- Oui, je suis prêt à reprendre mon poste. Et il faut qu’on retrouve Arthur et sa sœur rapidement. Je pense que je vais organiser une petite réunion avec les anciens, ils ont peut être des informations.
Je lui montre du doigt toute la paperasse étalée sur la table de réunion, ainsi que la carte de la région au mur.
- Tu crois que j’ai hiberné en t’attendant ?
- Tu les as vus sans moi ? s’énerve-t-il un peu.
- Heu… Oui. Nous n’avons pas de temps à perdre. Arthur a déjà disparu depuis deux jours, tu voulais que je te tricote une couverture en attendant ?
- Tu aurais pu me demander mon avis, quand même. Et ils disent quoi ? On a des pistes ? Peut-être qu’on devrait organiser une battue pour trouver des indices ?
- Je te laisse consulter les documents, on en parle après, soupiré-je en me réinstallant à la table.
- Pourquoi tu ne me dis pas ce qu’il y a dans ces foutus documents, qu’on gagne du temps ?
- Parce que j’en ai marre de lire et relire ces trucs sans avoir de révélation. Je reste des heures devant ces papiers sans jamais faire de liens, ça me tue, marmonné-je.
- Tu devrais peut-être arrêter et aller faire un tour, alors. Je suis de retour, je vais gérer. Tu n’as pas à t’inquiéter pour le camp, au moins.
- Oui, tu as raison, je vais aller cueillir des fleurs et prendre un petit bain, soupiré-je, cynique. Arthur et Sylvia peuvent bien attendre.
- J’ai pas dit ça non plus, mais on va finir par avoir des nouvelles des kidnappeurs non ?
- Ouais, ou on va recevoir un joli colis avec leur langue ou je ne sais quelle connerie, dis-je avant de grimacer. Bref, j’ai fini d’organiser les équipes et les tours de garde au fait, comme je ne savais pas quand le Doc allait te laisser sortir. Dossier rouge.
- Tu dramatises, là. Ils vont bien, je suis sûr. Et pour les tours de garde, tu as vu que j’avais un peu modifié les choses ou tu as fait comme avant ? demande Snow en ouvrant le dossier.
- T’avais modifié des trucs ? Non, j’ai pas fait gaffe, désolée, j’ai fait vite fait.
J’essaie d’oublier la vision que j’ai eue des langues de Sylvia et Arthur dans un paquet cadeau et jette un œil distrait vers Snow qui semble agacé.
- Tu sais que je gérais très bien tout avant que tu arrives ? Tu pourrais au moins respecter l’organisation que j’ai mise en place. J’ai doublé les gardes sur le côté Est pour éviter les soucis avec l’armée silvanienne.
- Mes excuses, Lieutenant, j’avais autre chose à penser que tout vérifier avant de dire aux hommes quoi faire. Comment je pouvais savoir que tu avais modifié des trucs ?
- Tu ne pouvais pas savoir, c’est vrai, désolé, je suis un peu sur les nerfs. J’ai l’impression que l’enlèvement, c’est de ma faute, et que c’est toute ma gestion du camp qui est remise en question. Par la hiérarchie, mais aussi par toi. Et ça m’énerve car je fais vraiment mon maximum, Julia, tu le sais, hein ?
- Je n’ai jamais rien dit en ce sens, il me semble, soupiré-je en allant me poster devant la fenêtre.
- Non, mais tu as vu comme tu me regardes et comme tu me juges ? Tu penses que c’est de ma faute s’ils sont prisonniers, je te connais bien, tu sais. Tu ne peux pas me le cacher !
Je réfléchis quelques secondes à la situation, à ce que je peux lui répondre sans trop le froisser. Mon cerveau est tellement focalisé sur l’enlèvement d’Arthur que je cherche à tout prix un coupable, en ce moment, et Mathias est le coupable idéal puisque le seul identifié. Mais je sais aussi qu’il a dû faire tout son possible pour protéger mon Bûcheron.
- J’ai du mal à comprendre pourquoi vous n’étiez que deux militaires et qu’un véhicule, oui. Mais ce n’est pas toi qui l’as enlevé…
- Non, ce n’est pas moi, maugrée-t-il avant de me regarder. On n’était que deux parce que le reste de l’équipe était occupé à accueillir et gérer l’arrivée de la garnison. Et que je pensais que l’armée silvanienne allait nous protéger. Jamais je n’aurais pu croire que quelqu’un attaquerait un convoi protégé par l’armée avec les enfants de la Gitane à l'intérieur ! C’était clairement le convoi inattaquable !
- Sauf s’il s’agit d’Ankhov et que c’est un plan pour attaquer Marina, marmonné-je.
- Oui, plus j’y réfléchis, plus je me dis que ça ne peut être que lui, et qu’il n’a pas les couilles pour assumer. Tu t’imagines si c’est bien le cas ? Il a fait tuer trois de ses hommes !
- Alors qu’est-ce qu’il pourrait bien faire à Sylvia et Arthur, hein ? S’il est capable de ça, il est capable de tout… Je crois que je n’ai jamais eu autant la trouille de ma vie, honnêtement, murmuré-je en lui tournant à nouveau le dos pour regarder par la fenêtre, pas très à l’aise de me livrer ainsi.
- Il est capable de tout, mais il n’est pas bête non plus. Ce sont trois minots qu’il a fait tuer. Je pense que pour l’instant, ils sont en sécurité. Il faudrait voir pour contacter la Gitane et essayer de savoir ce qu’elle sait, indique Snow, en retard d’un train.
- Elle doit nous recontacter. Je vois que tu es comme Arthur, lire des dossiers t’enquiquine. J’ai discuté avec elle hier.
- J’ai pas eu le temps de lire, Julia. Je sors de l’infirmerie. Tu vois comme tu es injuste envers moi ? Je sais que c’est difficile pour toi car tu es inquiète pour ton amoureux, mais je ne fais pas que de la merde, rage-t-il en tapant du point sur la table.
- Qu’est-ce que tu es susceptible, bon sang ! Franchement, je suis pas en état de supporter tes sautes d’humeur, là, m’agacé-je.
- Alors, là, c’est l'hôpital qui se moque de la charité ! Tu as vu comment tu me parles ? J’ai demandé à revenir ici le plut tôt possible pour te donner un peu de réconfort, mais là, clairement, tu n’es pas prête pour ça.
- Du réconfort ? Non, t’es sérieux, là ? Parce que me reprocher tout ce que j’ai fait pendant que tu étais à la base, c’est du réconfort ? Tu te fous de moi ou quoi ? Me prendre dans tes bras et me dire que ça va aller, ça, c’est du réconfort ! J’y crois pas, grogné-je.
- Julia, me répond-il en se levant et en s’approchant doucement de moi. Il faut qu’on arrête nos conneries. Tu as vu comment on se parle ? Je suis désolé si je t’ai blessée. Je m’en veux pour Arthur et Sylvia. Et je te promets de tout faire pour t’aider à les retrouver. Tout. Alors, tu me pardonnes ? finit-il en ouvrant ses bras pour moi.
Pourquoi faut-il toujours que je sois bornée et celle qui ne lâche jamais l’affaire en premier ? Bien sûr que Mathias s’en veut, c’est évident. Et au lieu de le rassurer, de voir qu’il est mal à ce propos, j’en rajoute une couche ! Quelle andouille !
Je vais me lover dans ses bras et le serre contre moi alors que ses bras se referment sur mon corps. Je tente de ne pas craquer, mais l’étreinte de mon partenaire, de mon ami et de la personne sur qui j’ai toujours pu compter fissure le mur que j’ai dressé depuis que j’ai réalisé que l’homme que j’aime pourrait ne jamais me revenir.
- Tu n’y es pour rien, je suis sûre qu’Ankhov est derrière tout ça et il faut qu’on les libère. Je ne tiendrai pas sans lui, Mat’, il faut qu’il soit en vie, il faut qu’on le retrouve, sangloté-je dans ses bras.
- On va le retrouver. A deux, on forme une équipe imbattable, non ?
- J’espère… Je refuse de perdre.
C’est tout simplement inenvisageable. Arthur doit me revenir, il est hors de question que je rentre en France sans lui. Je veux revivre des repas de famille dérangeants, je veux me réveiller à nouveau à ses côtés et pouvoir me perdre dans nos étreintes. Je suis prête à tout pour ça, et Ankhov a plutôt intérêt à assurer ses arrières, parce que je n’aurai aucune hésitation à mettre fin à ses jours si c’est nécessaire. Oui, je suis prête à tout pour libérer Arthur et Sylvia.
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