78. Ankhov la menace

8 minutes de lecture

Arthur

Cela fait trois jours que nous sommes arrivés au Palais Présidentiel. Trois longues journées où les seuls contacts que j’ai eus avec Sylvia, c’était pendant les temps de repas que nous avons partagés, à deux, sans nouvelles du Général. Nous sommes toujours accompagnés par des soldats, mais ils ne communiquent pas avec nous. Ils viennent ouvrir la porte des deux chambres dans lesquelles nous sommes enfermés et nous emmènent dans un petit salon où nous pouvons manger. Quand nous entrons dans cette pièce, le repas est déjà servi et nous ne croisons personne. Je ne sais pas pourquoi ils ont choisi une telle organisation. Peut-être qu’ils souhaitent nous maintenir en état psychologique satisfaisant et ne veulent pas nous isoler complètement du monde en maintenant ces échanges entre frère et sœur ?

- Ou alors, c’est que toutes les pièces sont sur écoute et qu’ils veulent savoir les secrets que vous vous partagez, avec ta sœur.

C’est une possibilité que nous avons pris en compte. Le premier midi, Sylvia s’est jetée dans mes bras et a commencé à me parler d’évasion, de fuite, de contact avec l’extérieur. Je lui ai rapidement fait comprendre qu’il ne fallait rien dire et depuis, nos échanges se limitent à savoir à quoi nous occupons nos journées et comment nous allons. Et ça va vite. Sylvia a la chance d’avoir une baignoire dans son coin et elle y passe de nombreuses heures à essayer d’oublier notre condition de prisonniers. Prisonniers de luxe, certes, mais prisonniers quand même. Moi, j’occupe mes journées à écrire des lettres à Julia. Je ne les enverrai jamais, elle n’y aura sûrement pas accès, mais j’écris pour m’occuper l’esprit. J’imagine des projets humanitaires que je me vois réaliser avec elle. Je décris notre vie future à deux.

- Tu écris aussi tout ce que tu aimerais lui faire, gros pervers !

Ah oui, il y a aussi quelques lettres qu’il ne faudrait pas que Lila lise ! Mais c’est vrai que le temps est long et que nous sommes coupés de tout contact extérieur. Sauf hier soir. J’ai essayé de faire couler de l’eau dans mon lavabo, mais rien n’est sorti. J’ai donc tapé à ma porte jusqu’à ce qu’un garde vienne m’ouvrir, méfiant. Je lui ai expliqué le problème et il a passé un appel sur son talkie. Un homme d’entretien est arrivé peu après. La façon dont il m’a dévisagé m’a fait comprendre qu’il savait qui j’étais. Les gardes, toujours aussi professionnels, ne nous ont jamais laissés seuls un instant, mais quand il est parti, j’ai trouvé sous le tapis de la salle de bain un petit mot avec juste quelques mots en Silvanien : “Je préviens la Gitane.” Depuis, je sais que les choses vont bouger. Je ne sais pas encore comment, mais l’important est de rassurer ma mère. Et j’espère qu’elle pensera à rassurer Julia aussi. C’est terrible cette absence de contact avec elle. J’ai vraiment l’impression d’une séparation teintée d’un caractère définitif qui me fait peur. Vais-je la revoir ? Que nous veut donc le Général ?

Ce midi, lorsque je rejoins sous bonne escorte le salon, j’ai la surprise de le voir. Ankhov est installé et se permet de caresser la main de ma sœur qui le regarde, répugnée mais tétanisée.

- Général, quelle surprise ! Vous vous êtes souvenus de notre existence ? demandé-je en m’installant entre lui et ma sœur, rompant ainsi le contact qu’il avait instauré entre eux.

- Croyez-moi, difficile d'oublier les Zrinkak, mon cher Arthur. Entre votre mère qui remue ciel et terre, l'armée qui vous protège et qui pose des questions et votre délicieuse sœur, j'ai de quoi m'occuper.

- Vous pensiez quoi ? Qu’on allait vous laisser nous enlever sans rien faire ? Seriez-vous un utopiste, Général ? demandé-je comme si nous étions dans un discours mondain et non prisonniers du Palais.

- Pour être honnête, je m'attendais presque à ce que votre militaire ait déjà tenté d'entrer ici. Il faut croire qu'elle est moins futée que ce que je pensais, ricane-t-il. Baisable, tant qu'elle ferme la bouche au final ? Enfin… Bouche fermée au lieu de parler, entendons-nous bien.

- Votre libido est en feu, Général. L’excitation du pouvoir se transformerait en excitation tout court ? Ma militaire, comme vous dites, n’est pas folle comme vous. Mais quand elle va réagir, à votre place, je choisirais l’exil plutôt que sa colère.

Ma sœur ne dit rien et se contente de nous regarder, perplexe. Aucun d’entre nous n’a touché le ragoût que l’on nous a servi et je ne peux m’empêcher de me dire qu’il va refroidir. Pour bien montrer que le Général ne m’impressionne pas, je n’attends pas sa réponse et prends un morceau de pain que je trempe dans la sauce et croque sans me préoccuper de lui.

- Oh Arthur, j'ai trente ans de services rendus à la Nation, vous croyez que les petits jeunes de l'armée française me font peur ? Je peux vous assurer que ce n'est pas le cas. En revanche, vous, vous devriez avoir peur, parce que je vous ferai tuer à la seconde où le Palais sera attaqué si c'est nécessaire.

Ma sœur pâlit à cette évocation, mais je continue d’afficher une bravoure de façade.

- Si vous aviez voulu nous tuer, vous l’auriez déjà fait, non ? Pourquoi nous garder enfermés ? Vous pensez que ça va empêcher ma mère de continuer la rébellion ? Que pour son bonheur personnel, si elle nous prend en compte dans l’équation, ce dont je doute fortement, elle va mettre fin à un mouvement qu’elle a préféré à sa famille depuis plus de vingt ans ? Vous êtes vraiment fou, Général. Lichtin a dû déteindre sur vous.

- Oh Arthur, s’esclaffe-t-il avant d'afficher un rictus satisfait. J'ai trouvé mieux que de tenter d'attirer la Gitane dans mes filets. Vous connaissez le pouvoir de l'amour ? Je vous le donne en mille. Votre jolie militaire est mon arme de guerre. Ma pépite. La solution à cette satanée guerre avec les rebelles. C'est elle qui me livrera la Gitane sur un plateau d'argent pour récupérer son foutu humanitaire.

Je le regarde sans comprendre où il veut en venir. Comment compte-t-il procéder pour forcer une militaire française, sous mandat de l’ONU, à s’impliquer ainsi dans de la politique locale ? Et puis, jamais Julia ne trahirait ainsi son code de l’honneur et sa mission !

- Tu crois qu’elle est raisonnable ? Par amour pour toi, elle serait prête à tout, non ? Le Général est en train d’avancer ses pions. L’échec et mat n’est pas loin.

Il est machiavélique, son plan, car c’est sûr qu’entre la Gitane et moi, Julia va me choisir et qu’elle n’hésitera pas à remettre ma mère aux autorités si on lui fait comprendre que c’est ça ou ma mort.

- Je pense qu’elle vous connaît assez, Général. Votre parole a tellement peu de valeur qu’elle saura que même si elle vous livre ma mère, jamais vous ne nous laisserez partir.

- Je n'ai qu'une parole, gronde-t-il en tapant du poing sur la table. La Gitane a recommencé, sans quoi je ne serais certainement pas en train de vous menacer. La Lieutenant est amoureuse, et il n'y a rien de plus stupide qu'une femme amoureuse.

- Ce n’est pas bon de vous énerver, Général. La digestion va être difficile après, m’exprimé-je, l’air de rien en continuant de manger sous le regard horrifié de ma sœur qui se mure dans un silence effrayé. Vous sous-estimez la Lieutenant, ce n’est pas bon.

- Je ne sous-estime personne, Arthur. Mais vous allez m'aider dans ma quête, croyez-moi. Vous et la délicieuse Sylvia allez nous faire une petite vidéo bien sympathique où il serait bon que vous ayez l'air aussi effrayé que votre sœur.

- C’est mort, Général. Jamais je ne ferai ça. Plutôt mourir, déclaré-je avec bravache.

- Oh ce n'est pas vous qui allez mourir, Arthur, rit-il en se levant pour mieux m'intimider, la voix grave et posée. Mais, si vous ne coopérez pas, je vous laisse le choix entre un petit bombardement sur le camp des réfugiés et une balle dans la tête de votre sœur. À vous de voir.

Il joint le geste à la parole et sort son arme qu’il pointe sur le front de Sylvia qui se met à sangloter en silence. J’observe et cherche à vraiment réaliser ce qu’il me dit. En gros, soit j’accepte de jouer le rôle du prisonnier apeuré et coopérant, soit je déclenche un malheur. Quel gros porc ! J’ai envie de l’étrangler, de défoncer ce sourire qui m’énerve au plus haut point. Mais je ravale ma fierté. Je vais coopérer, je n’ai pas le choix.

- Je crois que je suis obligé de céder à vos arguments, Général, mais je pense que vous vous trompez royalement si vous pensez qu’ils vont y croire. Tout le monde sait que les vidéos d’otages sont fabriquées par les kidnappeurs.

- Vous avez raison. Peut-être que je devrais vous faire tabasser en vidéo avant ? Ce serait sans doute plus fort et cela aiderait. Non ?

- Quitte à ne pas être cru, je préfèrerais que vous ne m’abîmiez pas, Général. Bref, vous voulez qu’on dise quoi sur cette vidéo ? C’est quoi le message ?

- J'aimerais que vous disiez à votre chère et tendre que si elle ne me livre pas la Gitane dans les soixante-douze heures, je ferai pire que de vous abîmer, Arthur.

- Et on a carte blanche pour dire ce que l’on veut ou le texte a déjà été écrit par vos sbires ?

- Arthur ! se réveille ma sœur. On ne va pas entrer dans son jeu quand même !

- On n’a pas le choix, Sylvia. Pour l’instant, il maîtrise le jeu, on doit se soumettre, expliqué-je, résigné. Alors lecture ou improvisation, Général ?

- Je vous laisse improviser, Arthur. Avec vos mots, ce sera plus naturel. Mais… Nous ferons vingt prises si c'est nécessaire, croyez-moi.

- Je vous crois, soupiré-je alors qu’il s’éloigne et nous laisse Sylvia et moi seuls dans la petite pièce.

Sylvia est effondrée et je me dis que ça ne va pas être difficile pour elle de jouer la femme éplorée. Pour moi, ça va l’être un peu plus car ce n’est pas de la peur ou de la résignation que j’éprouve. Non, c’est de la haine et de la colère, une farouche envie de survivre et de me venger de cet homme en qui le peuple avait placé tant d’espoirs et qui est en train de tous les piétiner. Quel con j’ai été, moi aussi, de croire qu’un meurtrier comme le Général pouvait devenir un bon leader de transition démocratique !

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0