Julia

Arthur me serre contre lui, en larmes, riant, sous le choc des dernières minutes qui viennent de s’écouler. J’aurais aimé qu’il ne voie pas ça, mais il va falloir faire avec. La chute d’adrénaline est terrible, et il n’est pas au bout de ses surprises. J’espère qu’il aura des cauchemars moins violents que les miens et que je ne risque pas de me prendre des coups. Mais je serai là pour lui, à n’en point douter.

J’entends le Commandant donner des ordres en silvaniens et des bruits de pas alors que les rebelles emmènent les nouveaux prisonniers. Arthur et moi sommes éloignés du peu d’action qui se passe encore, mais je ne manque pas le signe de tête du chef de mission lorsqu’il s’avance vers nous. Je crois que c’est la première fois que je le vois sourire depuis que je le connais. Il a les traits marqués, l’enfermement ne lui a pas réussi, et j’ai envie de lui faire un câlin. Chute d’adrénaline, je disais ?

- Marina nous attend dehors, dit-il en posant sa main sur l’épaule d’Arthur.

- Ma mère est saine et sauve aussi, alors ? Tant mieux.

- Oui, prête pour la suite. Elle attend ça depuis tellement longtemps.

- J’espère que vous allez vraiment organiser la démocratie maintenant. Ce serait bête, tous ces sacrifices pour revenir au point de départ.

- Tu as vu comme elle a hésité avant de vouloir se présenter aux élections que promettait le Général ? Tu crois vraiment que ta mère va prendre le pouvoir et faire de même ? continue-t-il en faisant l’effort de parler en français pour ne pas m’exclure de la conversation.

- Elle non, mais vous ? Un militaire pour remplacer un militaire, répond Arthur, un peu acerbe sous mon regard médusé.

- Lieutenant, vous avez encore du boulot avec lui, soupire le Commandant.

- Je confirme, bougonné-je. Il faut croire que les militaires sont sans cœur et des dictateurs selon Arthur Zrinkak. J’espère que vous lui montrerez qu’on peut être militaires et vouloir la démocratie, l’égalité et le respect du peuple.

- Heureusement qu’il y a des exceptions qui confirment la règle. Nous verrons bien, Commandant. Les actes valent plus que des paroles, continue mon Bûcheron.

Je soupire et l’entraîne dans les couloirs sans tarder. Je n’arrive pas à croire qu’il puisse encore parler des militaires comme ça. Pas après presque un an en leur compagnie, pas après avoir fait copain-copain avec Mathias, pas après nous.

Lorsque nous gagnons l’extérieur du Palais, la scène qui se présente à nos yeux est digne d’un champ de guerre. La Gitane n’a pas fait les choses à moitié. Les jardins sont sens dessus-dessous, malmenés par la bataille, et malheureusement jonchés d’hommes sans vie, même si beaucoup sont regroupés en bas des marches, à genoux, les mains sur la tête, attendant leur sort. Des Rebelles les encadrent, armes levées alors que Marina approche dans notre direction et prend Arthur dans ses bras.

- Oh Arthur, je suis tellement contente que tu ailles bien !

- Je ne sais pas si je vais bien. Le Général est mort, il s’est suicidé sous nos yeux. C’était horrible. Mais c’est bon, c’est fini, dit-il en la serrant contre lui.

- Oui, tout est enfin terminé. On va pouvoir assurer l’intérim et organiser au plus vite des élections, rendre à notre pays sa liberté et permettre à tous de recommencer à vivre normalement. J’ai… J’ai du mal à y croire.

- Bravo, Maman, tu as réussi. Ton sacrifice n’aura pas été pour rien.

- Le sacrifice de notre famille, tu veux dire… J’espère que l’on va pouvoir reprendre une vie un peu plus normale. J’ai très envie de réellement renouer avec vous, Arthur. Vous m’avez tellement manqué, lui chuchote Marina, la gorge nouée.

- Marina, maintenant que votre révolution a réussi, tout redevient possible, lui dis-je alors que les deux sont trop pris par l’émotion pour parler. C’est formidable ce que vous avez accompli.

- Retournez vite au camp avant que quelqu’un ne remarque qu’il y avait des Français parmi nous. Sinon, vous allez avoir des problèmes avec vos supérieurs, dit la Gitane en repoussant gentiment son fils.

J’acquiesce et me permets de la prendre dans mes bras en la félicitant, avant de faire signe à Arthur qui ne peut s’empêcher d’enlacer une nouvelle fois sa mère. C’est un tableau attendrissant, même si je suis pressée de rentrer et de retrouver les miens.

Nous récupérons finalement un véhicule rebelle et prenons la route. Marina nous a dit que son responsable de la communication a prévenu Snow que la guerre était finie. Apparemment, le bombardement du camp n’a pas eu lieu et tant mieux, car il n’a pas pu organiser l’acheminement des réfugiés jusqu’à la grotte à cause des soldats silvaniens postés tout autour du camp. Les rebelles ont également attaqué l’armée là-bas pour tenter de les libérer, j’espère qu’il n’y a pas eu trop de dégâts.

Nous roulons en silence, tous les deux perdus dans nos pensées. Je crois que tout le monde a du mal à réaliser que tout est fini. Vraiment. Je suis convaincue que la Gitane ne fera pas comme le Général, qu’elle fera les choses en règle, accompagnée de son fidèle Commandant, mais ce ne sera pas facile. Après plus de deux décennies de guerre, le pays aura du mal à se relever.

- On arrive, tu devrais fermer les yeux si tu ne veux pas voir encore des morts, suggéré-je à Arthur. Je doute que l’armée silvanienne se soit rendue sans se battre…

- Ça m’étonnerait qu’il y ait tant de morts que ça. Ils ne se sont pas battus contre les français ici, quand même ? La bataille s’est déroulée à la capitale, rien ne sera aussi terrible que là-bas.

- Je ne sais pas, on verra bien…

Effectivement, il y a bien moins de monde qu’il n’y en avait lorsque j’ai quitté le camp. Un groupe de Rebelles garde à présent l’entrée de notre chez-nous silvanien, et quelques soldats d’Ankhov sont sous bonne garde en attendant les ordres de la Gitane, j’imagine. Il nous faut montrer patte blanche pour pouvoir pénétrer dans l’enceinte, et c’est avec une joie non feinte que je me gare près de la grange alors que je vois Snow et Sylvia en sortir. Timing parfait.

Je m’apprête à sortir de la voiture lorsque Arthur attrape ma main et m’attire contre lui pour me serrer dans ses bras. Je crois qu’il a bien du mal à réaliser, lui aussi, que tout est fini.

- On est en vie, Julia, et on est de retour à la maison, c’est fou !

Je ris et l’embrasse tendrement, ce qui ne semble pas lui suffir. Mon Bûcheron approfondit notre baiser et tente de m’attirer sur lui. L’adrénaline, encore. Le besoin de se sentir vivant, je ne connais ça que trop bien. Je le serre contre moi alors que la porte de son côté s’ouvre.

- Eh, mollo les Lapins, on veut notre dose de câlins aussi, nous ! s’esclaffe Snow alors que Sylvia le pousse pour étreindre Arthur.

- Oh Sylvia ! J’ai cru ne jamais te revoir ! s’exclame Arthur en sortant de la voiture pour enlacer sa sœur.

- Et moi donc ! Quand j’ai vu qu’ils ne t’amenaient pas avec moi, j’ai eu tellement peur, Arthur !

Je souris en les observant se retrouver, et sursaute quand ma portière s’ouvre. Snow m’attire hors du véhicule sans ménagement et me serre contre son grand corps d'Apollon durant une éternité. Je profite de cette étreinte et relâche un peu la pression, même s’il me répète encore et encore que je suis folle.

- Tu m’étouffes, Snow, ris-je au bout d’un moment sans pour autant le repousser.

- Julia, tu aurais pu y rester, tu le sais ? Heureusement que ça s’est bien passé parce que le Colonel veut te voir. Il avait l’air moins énervé suite à l’annonce officielle de la chute du Gouvernement. Il faudra que tu l’appelles quand tu pourras.

- Oui, ben il va attendre. J’ai besoin de manger, de me doucher, de dormir et de prendre mon pied avant, souris-je en l’embrassant sur la joue. Je suis là et je vais bien, tu vas devoir me supporter encore longtemps, Mat’, désolée !

- En d’autres circonstances, j’aurais tenté ma chance pour t’aider à prendre ton pied, mais je crois que tu as ce qu’il faut, dit-il en regardant Arthur, visiblement déçu. Pourquoi Justine n’est pas là quand j’en ai besoin ? Je ne vais quand même pas me jeter sur Sylvia juste pour suivre ton exemple !

- L’abstinence ne va pas te faire de mal, ris-je. Chacun son tour, Beau Blond !

- Arthuuuuur !

Lila débarque comme une furie et saute littéralement sur mon Bûcheron, qui la réceptionne avec un sourire jusqu’aux oreilles. Ces deux-là font fondre mon cœur en un quart de seconde, et cela doit se voir à ma tête parce que Snow se moque ouvertement de moi, ce qui lui vaut une bourrade dans l’épaule qui le fait grimacer. Je rejoins Arthur et fais rire Lila en la gratifiant de bisous sur la nuque.

- Arrête, Julia, tu me chatouilles !

- Non, des chatouilles, c’est ça, Jolie Lila, ris-je en glissant mes doigts sous ses bras, ce qui fait redoubler ses rires. Tu vois, je t’avais dit qu’Arthur allait revenir.

- Oui ! Arrêteuh ! rit-elle en se tortillant dans tous les sens. Tu m’as manqué Arthur, c’est nul quand t’as trop de travail !

- Je sais, Lila. Promis, à partir de maintenant, je travaille moins et je ne te quitte presque plus !

- Promis ? Vraiment ?

- Oui, Mami a gagné alors la guerre va se terminer. C’est tout le pays qui se réveille, Lila. C’est la fin de toutes ces bêtises ! s’exclame mon Bûcheron en la faisant tournoyer autour de lui dans ses bras musclés.

La petite rit aux éclats et je ne peux m’empêcher de sourire. La guerre est finie. Lila va pouvoir découvrir son pays. Sans heurts, sans peur. Elle qui n’a connu, dans sa vie, que ça, va enfin pouvoir vivre dans la sérénité, ici ou en France, qui sait ? Puisque Arthur a entamé des démarches pour l’adopter, tout est possible. Tant qu’elle peut enfin découvrir la vraie vie, celle qu’on souhaite tous pour nos enfants, c’est l’essentiel, non ? J’avoue que, de mon côté, je me vois mal vivre sans sa petite frimousse, maintenant.