3.1 Jaem (part 1)

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Au terme de la bataille du mausolée, quatre jours furent nécessaires pour achever une nouvelle traversée de la galerie de verre. Enfin, depuis le sommet d'une dune, Ravik embrassa le paysage de Del'Ashaan. La capitale concurrençait le ciel avec ses mille lampes à huile brillant comme les étoiles.

— Bon retour chez vous, glissa le capitaine Orban en plaçant son chameau à hauteur de son jeune seigneur.

— Je n'aurais jamais cru que cette vue me procurerait un jour autant de plaisir, soupira Ravik en rendant son sourire au commandant de la garde Abelam.

Derrière eux, la colonne ashaan se traînait, ralentie par des carioles récupérées dans les ruines. Les dévots de la Vérité y avaient parqué les sans-âmes libérés, en laissant une pour leurs morts. Un dévôt était tombé dans l'affrontement, puis il y avait Mina, Lina... et Haqim.

Comme il le faisait constamment, le visage de son ami s'imposa dans les pensées de Ravik, balayant sa bonne humeur. Il allait falloir annoncer la nouvelle aux parents de son ami. Comment pouvait-il s'y prendre ? Comment faire face à Dame Célinde Doran, elle qui l'avait toujours traité comme son propre enfant ? Comment lui avouer que son fils était mort par sa faute, parce qu'il s'était obstiné à affronter leurs ravisseurs plutôt que d'attendre patiemment les secours ?

— On peut y aller ? demanda Orban avec douceur.

La façon dont le vétéran parvenait à se montrer humble et dévoué le prenait encore parfois par surprise, alors qu'un seul regard sur le visage couturé de cicatrice du soldat suffisait à intimider la pire des crapules.

Pour toute réponse, le jeune homme lança sa monture au galop. Arrivés à deux pas de la cité en fin de matinée, ils avaient été contraints de patienter jusqu'à la nuit tombée pour y entrer. Ravik en comprenait la raison - la population ne devait pas apercevoir les sans-âmes tant qu'ils n'en savaient pas davantage -, mais ne pouvait-il pas jouer les avant-gardistes avec Orban ? Pourquoi l'obliger, lui, à ronger son frein une demi-journée en plein désert ? De toute façon, la population serait au courant du retour de l'enfant chéri de Del'Ashaan dès le lendemain !

Devant les grandes portes, les gardes de faction décroisèrent leurs hallebardes à l'approche du compagnon bestial du capitaine, Orpik. Ce hérisson des sables les devançait prudemment. Seule de son espèce dans la capitale, cette créature mystique de trois pieds de long se déplaçait en se roulant en boule avant de se propulser sur de courte distance. Capable de se jeter au cœur d'une mêlée en toute sécurité grâce à l'épaisseur de son cuir et la dureté et ses pics, elle pouvait également éjecter ces derniers comme des carreaux d'arbalète. Une authentique arme de siège vivante qui rivalisait en célébrité avec son maître.

Dès qu'ils eurent franchis les murs, Orpik partit seul tandis que les cavaliers démontaient. Étrangement, Ravik se sentit rassuré en voyant la créature s'éloigner. Alors qu'il connaissait Orpik depuis toujours, il ne pouvait s'empêcher de ressentir une sorte de malaise à ses côtés.

— On ne peut vraiment pas filer le long de l'avenue principale ? soupira le jeune homme.

— Le prêcheur Alaric a été clair à ce sujet.

— Et depuis quand tu tiens compte des consignes d'un officier de l'Ordre ? piqua le jeune Abelam.

Sans répondre, le capitaine Orban s'engagea dans une ruelle. À contrecœur, Ravik suivit le mouvement. À pied, cachant leurs visages sous un voile, ils suivirent mille tours et détours à travers les venelles peu fréquentées de Del'Ashaan. Les rares passants s'écartaient de leur route sans leur jeter un second regard. Seuls les agents des grandes Maisons couvraient ainsi leurs visages et il n'était pas bon de se mêler de leurs affaires.

On était loin d'une entrée triomphale pour l'héritier de la Maison Abelam, mais l'absence de défilé, de danseurs et de musique ne le dérangeait pas vraiment. Il se sentait surtout impatient de retrouver les siens, de revoir son père. Des sentiments étranges pour lui, mais les circonstances l'étaient davantage.

En arrivant devant la Résidence Abelam, Orban devança son maître à la rencontre de ses hommes en faction. Ces deux derniers s'empressèrent d'ouvrir les portes, puis l'un d'eux courut à l'intérieur.

— Maître Jarol vous attend dans vos quartiers, annonça le capitaine en revenant.

— Jarol ? Je pensais voir mon père immédiatement...

— Le Duc reçoit des invités, expliqua le capitaine. Je l'ai fait prévenir, mais j'ai pensé que dans l'intervalle...

Ravik grimaça.

— Tu as raison. Merci Orban.

Il laissa le capitaine dans son sillage et s'engagea dans le jardin. La fontaine l'attira. Il s'agenouilla devant elle et y plongea la tête tout entière. En la retirant, il ne put retenir ses éclats de rire, secouant ses cheveux mi-longs qui lui retombèrent sur les épaules. Qu'il était bon de sentir les gouttelettes glisser sous ses vêtements ! De sentir les massifs de fleurs des Abelam qui embaumaient l'atmosphère !

S'observant dans l'eau cristalline, le jeune homme se caressa lentement la barbe. Il manquait un sacré spectacle en ne se présentant pas ainsi devant son père. Quelle sensation il aurait fait dans sa combinaison sanmaj, sans avoir pris de bain ni s'être rasé en trois semaines ! Jarol était bien capable de tout gâcher en moins d'une demi-heure. Au moins ne pourrait-il rien pour la cicatrice.

Entendant des pas dans son dos, le jeune homme se retourna et fit face à un vieil homme malingre, voûté et au teint cuivré. Ce dernier marqua un temps d'arrêt, puis il lâcha brusquement l'arrosoir qu'il brandissait en échange d'une révérence prononcée.

— C'est un plaisir immense de vous revoir, jeune maître ! assura l'esclave.

Ravik sourit et se leva, venant tapoter l'épaule du vieillard.

— C'est un plaisir de te revoir également, Malik.

Le vieil homme marqua un temps d'arrêt, puis recula avec une nouvelle révérence. Ravik lui-même fronça les sourcils. Cet esclave servait sa famille depuis des temps immémoriaux, bien avant sa naissance. Pour autant, il ne se souvenait pas l'avoir jamais salué. Vraiment, il était bon de revenir chez lui !

Le jeune Abelam entra dans la demeure, accueillant avec ravissement la fraîcheur ambiante. Il s'engagea dans les escaliers, les monta quatre à quatre comme un enfant, puis chemina joyeusement dans le corridor en se laissant éblouir par la foule de couleurs présentes sur les tableaux et tapisseries. Il s'étonna même de découvrir certains détails, comme ce soldat ashaan fuyant en arrière-plan d'une scène de bataille antique. Enfin, il entra dans sa chambre où l'attendait maître Jarol.

Le maître de maison des Abelam pouvait se targuer d'être encore plein de charme en dépit d'une cinquantaine bien avancée. D'une stature solide avec des traits fins, il prenait particulièrement soin de son apparence. C'était Jarol qui avait inspiré l'idée à Ravik de se laisser pousser la barbe, contre la mode dans la noblesse ashaan. Suite à cette décision, nombre de ses condisciples l'avaient imité.

— Jeune maître vous êtes... Eh bien, repoussant je dois dire, commenta le serviteur.

Encore une fois, Ravik éclata de rire. Jarol était l'un des rares capable de se permettre pareil discours devant lui, sans même prendre la peine de le saluer ! Pour faire bonne mesure, il s'empressa de l'enlacer, provoquant un petit cri du maître de maison qui s'empressa de reculer en époussetant ses vêtements.

— Je pense que nous allons commencer par un bain, attaqua Jarol en se pinçant son nez.

Ravik ne fut autorisé à quitter la pièce que près d'une heure plus tard, quand bien même un serviteur était venu le chercher bien plus tôt. Dans une robe violette, ses cheveux coupés juste au-dessus des épaules et retenus sur son cou par un lacet, sa barbe taillée, peignée et parfumée avec soin, Ravik sentait la violette sur sa peau. Tout cela lui donnait presque le tournis tant le changement était brutal. Il suivit le garde venu le chercher en soupirant d'aise, traversa l'aile des invités et son hymne artistique à la gloire de la Maison Abelam, puis arriva devant la porte du bureau.

Les deux gardes le saluèrent et Ravik inspira à fond. Une fois les battants ouverts, il franchit le seuil d'un pas décidé.

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