Chapitre 7 - La mort de Martin Bidouré .

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Longtemps, il demeura prostré, accroupi. Il finit par se relever prudemment et sortit à tâton de son refuge. L’air empestait le soufre et la poudre noire, à ses pieds, le village grouillait de gendarmes.

C’était là où ils devaient garder leurs prisonniers, ceux qu’ils avaient glanés sur le champ de bataille. À moins, qu’ils soient conduits à Toulon, cette antichambre du bagne africain. À moins que… non, il n'était pas envisageable qu’on puisse les fusiller, ils devaient attendre leur transfert pour le sinistre fort Lamalgue.

Jean-Thomas était indécis, partagé entre le besoin de rentrer chez lui, pour oublier ce cauchemar et pleurer les siens ou enfin, participer à ces combats, dont il était frustré. Il choisit finalement de rejoindre le bourg d’Aups où était massée la grande légion du général Camille Duteil. Les insurgés plus nombreux et surtout mieux commandés sauront tenir tête aux fantassins, pensa-t-il.

En lisière de bois, il suivait à distance l’armée régulière. Impossible de les perdre, ils laissaient un cortège sanglant derrière eux. Ils venaient d’intercepter un cavalier qui galopait sur la route principale, et l’avaient violemment désarçonné. Protégé par un épais rideau d’arbres, Jean-Thomas pouvait voir sans être vu. Il reconnut la grosse pouliche crème, celle du maréchal-ferrant de Tourtour. C’était donc Martin qu’ils avaient arrêté. Mon Dieu, espérait-il , pourvu qu’ils ne trouvent sur lui aucune missive, sinon c’était le peloton d’exécution à coup sûr.

Il rampa encore un peu, pour être au plus près de ce triste spectacle. L’infortuné barjolais à terre était roué de coups. Le Martinérois, témoin de tout cela malgré lui, ne pouvait agir. Comme pour ses proches il ne pouvait que regarder impuissant. Un gradé, le même qui plus tôt avait donné l’ordre d’attaquer les républicains, questionnait rudement le pauvre émissaire. Jean-Thomas caché par la végétation avait dans le viseur de son arme le militaire. Bon chasseur, comme il l’était malgré son jeune âge, il ne pouvait le rater. Une fois de plus il ne put se résoudre à tirer. De toute façon Martin était condamné, puisqu’un hussard hilare brandissait victorieusement le message que le prisonnier avait dissimulé dans sa large taillole de laine rouge.

Maintenant, des soudards frappaient l'estafette avec les crosses de leurs fusils, le piétinaient de leurs lourds godillots. Les cris, les gémissements du supplicié étaient terribles. Le chef des soldats, un capitaine ou un colonel brutal, lui assena violemment un coup de sabre derrière l’oreille. Puis comme si cela ne suffisait pas, un civil, qui accompagnait le régiment l’acheva d’un tir de pistolet dans la tête. Le spectacle était insoutenable, Jean-Thomas retenait sa respiration. Tremblant, il s’éloigna sans faire trop de bruit, écoeuré. Il vomit tripes et boyaux dans un fossé à deux pas de là. Il ne voulut pas en voir davantage, il ne pouvait plus rien pour le brave Barjolais désormais. Plus tard, il reviendra accompagné d’un ou plusieurs camarades. Il ne pouvait laisser le corps du pauvre supplicié à la merci des bêtes sauvages. Le héros, car c’en était un aux yeux de Jean-Thomas, méritait une sépulture digne d’un être humain.

Il entendit alors… D’une voie triomphale où perçait une joie mauvaise, l’officier sabreur qui pérorait en lisant le pli cacheté, signé par Camille Duteil.

— Mr le préfet, les enragés sont à Aups, en nous rendant à Draguignan, nous les laissions filer, ils sont à deux pas de là, permettez-moi un petit détour. Ainsi le civil, un sale bonhomme assurément, était le nouveau représentant du département ! Le Var méritait mieux ! D’une voix mielleuse, le triste sire répondit au gradé !

— Je vous en prie ! Colonel Trauers, je ne peux vous priver du loisir d’aller sabrer ces crapules. Nous avons eu une chance inouïe de croiser cette racaille. Je vous accompagne bien entendu, je veux avoir moi aussi le plaisir de vous voir punir ces criminels. Je vous invite donc à commander vos troupes, partons sur le champ, nous n’avons plus rien à faire ici !

L’officier, alors, épousseta son uniforme, essuya son arme sur le col de la vareuse de la malheureuse victime et d’un geste impeccable sauta sur son cheval en criant :

— Fantassins, demi-tour, droite, changement de direction !

Écoeuré par ce qu’il venait de voir et d’entendre, Jean-Thomas tremblant s’éloigna. Le plus urgent était d’avertir les copains du danger qui allait fondre sur eux. Ensuite, il prendra part au combat,pour racheter sa couardise.

Malgré ses jambes chancelantes, il courut le plus vite possible. Les branches souples des cornouillers lui fouettaient la figure, les rideaux de genévriers lui griffaient les bras et le cou. Les murs de pierres sèches à sauter, les vallons caillouteux, les ronciers et les restanques casse-jarrets. Rien ne freinait sa cavalcade. À six reprises, il tomba. Il avait le genou écorché les mains et le visage en sang. Chaque fois, il se releva.

Il arriva juste à temps pour assister à la curée. L’armée régulière attaquait déjà la ville, par tous les côtés à la fois. Il resta caché à l’orée du village. Il ne pouvait pas traverser les lignes ennemies et se rendre dans le bourg aider les copains. Décidément, il passait sa vie camouflé en ce moment. L’armée régulière encerclait Aups, un feu nourri s’abattait sur les insurgés, ce fut la débandade. Duteil, aussi piètre tacticien qu’Arrambide s’était laissé surprendre.

Comme à Tourtour, chacun s’enfuyait comme il le pouvait. La troupe disciplinée avançait en ordre serré dans la plaine des Usclanes. Les fuyards pourchassés par les hussards du prince-président étaient tirés et sabrés tels des lapins de garenne. Les cadavres et les blessés gisaient entre les rangs de vigne et les plants d’oliviers.

La défaite était totale, plus qu’une bataille c’était une boucherie, tout était fini. Il oublia la dépouille du pauvre Martin pour ne penser qu’à lui. Trop heureux de n’être ni mort ni prisonnier.

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