Chapitre 11 - L’adieu aux parents

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Le vieux cimetière du centre du village avait été abandonné. Quelques croix moussues tordues et vermoulues se dressaient encore çà et là. Des chardons des orties et des ronces colonisaient ce lopin de bonne terre noire.

Depuis la dernière épidémie de choléra, les morts ne finissaient plus ici, mais dans une nouvelle nécropole. Un coin de garrigue, sur une colline ventée, juste assez loin des habitations ; un terrain donné gracieusement par Monsieur le Comte.

Messidor tirait le tombereau dans lequel avait été déposé le cercueil en bois de pin. Lentement, le triste cortège progressait sur la route étroite. Seuls les crissements des lourdes roues cerclées de métal et le martèlement des sabots ferrés de la bête de somme résonnaient dans la rue empierrée.

Sur le terre-plein, devant le nouveau cimetière, attendait déjà le catafalque de l’administration pénitentiaire. Le corps du père avait également été rendu à la famille. Deux gendarmes encadraient le vieux chef républicain. L’ensevelir hors de sa paroisse aurait fait de lui un martyr. Au garde à vous, sabre au clair, les pandores honorèrent la procession funèbre. On se souvenait de lui, il avait été médaillé à Modon, Coron et Patras, pendant l’Expédition de Morée, dans le Péloponnèse. Il avait été un brave alors.

Les Martinérois disaient adieu, le même jour aux deux époux, à leurs amis.

Jean-Clotaire, le maire désigné par le nouveau pouvoir, essaya un dialogue funéraire consensuel, sous la huée il préféra se taire.

Mathieu, le frère du défunt était là également. Lui aussi, avait été un héros en Grèce, sous les ordres du capitaine Cavaignac. On s’en souvenait en haut lieu, cela avait été utile pour sa libération. Sa peine avait été transformée en bannissement.

Il avait ainsi obtenu, le droit, de dire au revoir, à ceux qu’il avait aimés.

Alors qu’il sortait de sa poche un papier griffonné, l’officier de police qui était chargé de la surveillance de la cérémonie intervint et bloqua son bras. L’ancien édile se défendit vigoureusement.

— Ce sont trois mots en latin, une prière que j’adresse à ceux que je salue pour la dernière fois.

Comme le prêtre avait été chassé, il était tranquille.Tous se regardèrent, le vieux mécréant était-il devenu sénile ?

Mathieu chaussa alors ses bésicles et récita, à voix basse, dans cette langue morte que personne ne comprenait ce qui était en fait un discours politique déguisé.

— Ils vivaient sous la protection du château, sous la contrainte de l’église. Maintenant dans ce nouveau cimetière sur sa colline ventée et ensoleillée ils dominent le village des humains. Ils surplombent la maison des curés et la demeure seigneuriale, symboles d’un monde révolu qui se craquelle de toute part. Ils ont perdu, une bataille, contre des forces conservatrices d’un autre siècle. La plèbe prendra sa revanche. Ce n’est qu’une question de temps. Tremblez, tyrans ! Tremblez, vos jours sont comptés !

Jean-Thomas ne fut pas dupe. Il ne comprenait pas ce langage de catéchisme, mais il connaissait son oncle. Il récupéra le papier et le fourra dans sa poche.

Des années plus tard, une main anonyme gravera sur la pierre ce discours.

Les deux époux réunis dans la vie l’étaient également dans la mort. Enterré ensemble le même jour. Le silence était poignant, les chiens au loin avaient cessé d’aboyer, pas un oiseau ne sifflait, seul le vent faisait bouger les vêtements des villageois. La dernière pelletée fut jetée, l’assemblée s’ébroua.

Une voix timidement s’éleva. Une autre puis une autre, la totalité du groupe chantait maintenant. Ils scandaient, l’Unita, l’hymne interdit des Montagnards méridionaux.

Les gendarmes présents décontenancés par les événements feignirent de ne rien entendre. Il sera toujours temps pour eux de reprendre la situation en main, demain. Les autorités locales, le maire en tête leur avait demandé d’être indulgents aujourd’hui.

Juste après l’enterrement, Mélanie rattrapa Jean-Thomas.

— Tu dois aller chercher Auguste et partir maintenant. Ce soir, tu seras loin. Les volontés d’une mère sont sacrées. Tu dois t’y plier.

Alors, fougueusement, au risque de l’étouffer, elle étreignit ce frère qu’elle ne verrait peut-être plus jamais et lui glissa à l’oreille

— Prends soin de toi, petit frère ! Tu vas me manquer !

Elle souffla, écrasant une larme.

— File vite, ou je change d’avis, reviens avant que je ne sois devenue trop vieille.

Puis, trop bas pour qu’il puisse l’entendre alors qu’il était déjà parti.

— Moi je vous attendrai tous, les hommes de ma vie ! Toi, Jean-Thomas, Auguste-César, si tu le retrouves, Victorin sortant de prison, célestin s’il veut toujours de moi. Une femme est faite pour guetter ! J’espère ne pas être trop âgée quand mon fiancé sera de retour. Je vous ferai alors de beaux enfants pour perpétuer la race. Un jour viendra où les guerres, les révolutions, cesseront. Les hommes vivront en paix. Ils pourront aimer leurs épouses, tout simplement.

Une petite main gracile et fraiche chercha sa pogne calleuse. Mélanie serra sa nièce Victorine dans ses bras, la souleva sur ses épaules et les yeux baignés de larmes montra du doigt la silhouette qui était déjà loin.

— Regarde ton oncle, dis-lui au revoir. Maintenant Victorine nous allons être seules dans cette maison devenue trop grande. Nous sommes les dernières, les survivantes, il va falloir en faire du bruit pour oublier cette tristesse

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