Chapitre 12 – Le frère maudit.

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Ils étaient derrière lui, Jean-Thomas en était certain, ils avaient dû le voir quitter le cimetière. Il se retournait constamment, se sentait épié. Il voulut en avoir le cœur net, il n’était pas encore un fuyard de toute façon. Quand il le deviendra, il sera loin et ne risquera donc plus rien, pourtant, le cœur battant, les mains moites il avait la trouille: Une peur qui lui tordait le ventre, une frayeur infondée, une peur bleue. La terreur des gendarmes de ne plus jamais être libre de ses gestes. La crainte de ne plus pouvoir aller et venir à sa guise. L’effroi de ne plus pouvoir revenir se recueillir sur le tombeau de ses parents.

Ils lui manquaient déjà. Ces larmes qui coulaient sans plus vouloir s’arrêter, il en avait assez de pleurer, comme un gosse ou une fillette. Il ne souhaitait pas que ceux qui étaient à ses trousses puissent se moquer de lui. Il tenta de se cacher et de leur échapper. Il s’imaginait tant de choses.

Lorsqu’il sentit sa présence, cette main, sur son bras, il crut défaillir de terreur. Il se retourna brusquement et vit cette petite femme au visage ridé, semblable à une pomme de Noël cuite au four. Plus tard, il en rira de cette folle terreur, de cette couardise qui l’avait paralysé.

— Ho, pitcho ! ce n’est qu’une pauvre vieille ! lui dit-elle en provençal.

— Vous m’avez foutu une de ces trouilles Clémence, je pensais que c’était cette saloperie de Jean-Clotaire qui m’avait envoyé les argousins.

La vieille avait compris, elle ne releva pas. Elle les connaissait les angoisses de ceux qui revenaient de la guerre. Leurs cris la nuit, leurs cauchemars, elle aurait voulu serrer contre elle cet homme enfant que tant de deuils avaient bouleversé. Les charges qui pesaient sur ses épaules étaient bien trop lourdes. Et elle, comme une garce, une vieille garce, elle venait non pas pour le soulager, mais pour rajouter des brindilles à l’oppressant fagot qui écrasait son dos.

— Alors c’est vrai ce que m’a dit Mélanie, tu t’en vas, tu vas nous ramener ton frère qui serait en Amérique ?

— Mais, mais…

Décidément, il avait été bien naïf, combien de personnes avaient donc lu cette lettre, mais Clémence faisait presque partie de la famille !

— Tout d’abord, je te présente mes condoléances. Elle m’a tout raconté ta sœur. Tu as de la route, je ne te tiendrais pas la grappe pendant cent cinq ans. Je voulais juste te donner quelque chose. Avant que tu ne partes au bout du monde.

— Allez droit au but la mère !

— Oui, j’y arrive, tu sais, ou tu ne sais pas ?

— Vous l’avez déjà dit, ce serait bien si ce soir j’avais quitté le département.

— Ma fille, que Dieu la garde près de lui, était fiancée avec Auguste-César avant d’épouser Victorin. La petite Victorine ne serait pas de lui !

— Ne vous fatiguez pas, mon frère m’en a parlé. Il sait compter les mois. C’était une évidence qu’elle n’était pas de lui, seul l’idiot du village aurait pu ignorer ce fait ! Mais ça ne change rien, il l’aime comme si elle était sienne.

— Oui, de ça je n’en doute pas, Victorin a toujours été un brave petit. De cela, je lui en serais éternellement reconnaissante. Tiens, je te confie, la chaine de baptême de mon Aurélie avec le médaillon de Saint-Sébastien, elle était née le vingt janvier. Tu le donneras à ton crétin de frère. À l’autre, celui qui ne le mérite pas. Ce n’est pas pour lui que je fais ça, il doit l’avoir oubliée depuis longtemps, mon Aurélie. Il se rappellera ainsi le mal qu’il a fait et cette petite qu’il a abandonnée. Si ça se trouve, Victorin ne rentrera jamais de chez les Barbaresques. Auguste ! Quel enfant de garce ! Non, tes parents, les pauvres ne sont pas responsables. Ils ont fabriqué le pire et le meilleur.

— Oh, Clémence, avec tout le respect que je vous dois. J’ai de la route ! Et puis cette fille qui n’a plus de mère, elle a un père, il me semble. C’est Victorin ! Mêlez-vous de vos fesses !

— Il y a aussi autre chose, reprit-elle comme si elle ne l’avait pas entendu. Je l’ai appris par hasard, ne me demande pas comment, je le sais, je le sais, c’est tout. Auguste-César, ce sale type, entretenait des relations avec une femme mariée, une bourgeoise de Varages. Il l’a engrossée également. Il lui a planté une fille dans le ventre avant de s’enfuir. La gamine est née, huit jours après ma petite Victorine, elle s’appelle Césarine, tu parles d’une coïncidence. Allez, je le sais, je suis une bique qui a la langue trop bien pendue. Mais malgré ce qu’il en coûte, les choses doivent toujours être dites. Les silences font plus de mal que de bien surtout ceux qui doivent être tus. Surtout, les fils doivent être tendus entre un père et ses filles. Même si le géniteur est lâche, un enfant a le droit de connaître la vérité. Je me sauve, bonne route Jean-Thomas. Quand tu le verras, ne le salue pas ! Ce salopard ira griller en enfer. Mais toi, tu es un bon petit, le ciel te le rendra. Adéssias pitcho !

Comme elle était arrivée, la vieille dame s’évanouit dans la nature, sans un bruit, tous au village disaient qu’elle était un peu sorcière. Elle était surtout une fameuse braconnière. Tous à Saint-Martin le savaient. Pour caver les truffes et étrangler les lapins au collet, elle n’était pas la plus mauvaise.

Longtemps après son départ, Jean-Thomas n’avait pas changé de place. Comme s’il s’attendait à ce qu’elle revienne et lui fasse une nouvelle révélation sur ce frère qu’il connaissait si peu et qu’il avait adulé, enfant. À travers ses dents serrées, il marmonna :

— Quel Salopard ! Deux gamines ! Je ne suis pas fier d’être de sa famille ! Elle a raison, il finira en enfer. Si je n’avais pas promis à mère, je ferais demi-tour.

Il fut tenté de prendre une pierre, un bâton et de se venger sur la végétation aux alentours, pour se détendre. Il s’en abstint, il devait apprendre à passer inaperçu.

Enfin pour la discrétion, il y avait à redire. La moindre vieillarde le surprenait. Il devait juste se remémorer comment agissaient les héros de son enfance.

Oeil de faucon et Bas de Cuir à la recherche des filles Munro, ils devaient éviter à tout prix, les tuniques rouges et les Iroquois. Dès son premier pas, une branche craqua, dans les forêts du Nouveau Monde il se serait déjà fait tuer.Il avait des progrès à faire, la route de Nice sera longue, il pouvait encore s’entraîner.

Il regrettait maintenant d’avoir fait cette promesse à sa mère. Auguste-César s’était conduit comme le dernier des lâches, avec une femme mariée qui plus est. Le comportement de son frère l’écœurait. Mais il n’avait pas vraiment le choix. Au chevet d’une mourante, on baissait les yeux et on acceptait la mission confiée. Il se le jura, il le retrouvera, où qu’il se cache, quoiqu’il lui en coûte, il lui signifiera ses quatre vérités avant de lui casser la gueule et de le ramener à Saint-Martin.

Il s’ébroua enfin et d’un revers de ses manches, sécha ses yeux humides. Quand perdra-t-il cette manie de pleurer comme un gosse à la première émotion ?

Il se remémora le chemin qu’il devra prendre : plein nord jusqu’à saint Julien, en ligne droite, à travers bois une vieille piste le conduira à Comps. Il enjambera le Verdon ensuite, de préférence la nuit. À Saint-Benoît, à côté d’Annot, il traversera le fleuve Var au pont de Geydan. Normalement à Comps, un contrebandier repenti, ayant servi sous les ordres de son oncle, lui fera passer la frontière.

L’ancien maire, son oncle avait réussi à lui glisser le nom au cimetière. Lui aussi devait quitter son village aujourd’hui, il n’y reviendra sûrement jamais. Décidément, sa sœur et sa nièce se trouveront bien seules ce soir.

D’un pas décidé, il se mit en marche. Ses dernières pensées, avant de traverser le Grand Valat, de bifurquer à droite derrière la Blacasse et d’entrer sur la commune de la Verdiére furent pour Fernand Bidouré. Non, il ne le voyait pas allongé dans l’herbe le corps en sang. Il se le remémorait triomphalement monté sur sa pouliche, s’éloignant de Saint-Martin. Il avait la même posture en quittant le village de Tourtour. Un héros ne se retourne jamais. Alors, fier comme un prince, JeanThomas s’élança à la conquête de l’Amérique

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