Chapitre 16 - Papistes, go home !

4 minutes de lecture

Padraig ne trouvait pas de travail, c’était le sixième chantier de la matinée qu’il visitait, chaque fois c’était la même chose, à la question qu’il posait : — Vous avez un emploi pour moi, je peux tout faire, je suis dur à la tache, vous savez ? Invariablement un contremaitre vindicatif lui répondait — Fuck, chiens de papistes, vous volez le pain des Anglais, rentrez chez vous ! Il avait essayé de travailler dans les entrepôts de son beau-frère, ça ne s’était pas mieux passé. Il devait se faire une raison, on ne voulait pas d’eux ici. Il ravala sa fierté d’homme libre, il devait attendre que sa fille soit guérie, pour partir dans le Nouveau Monde et quémander la charité chez ces braves gens. Alaina aussi changeait souvent de patron, le dernier en date, un épicier chauve lui avait dit en essayant de la tripoter — J’aime bien les Irlandaises, ce sont des tempêtes tropicales. La preuve, elles pondent des marmots comme des lapines. Cela s’était très mal terminé pour lui. Il s’en était fallu de peu qu’elle le châtre avec une paire de ciseaux. Elle se retrouvait sans emplois une fois de plus. Maureen, elle se battait encore avec la mort. La fièvre avait baissé, elle était toujours très faible. Elle avait repris un peu de poids, mais restait très maigre. Son corps parfois était secoué par des quintes de toux qui l’épuisaient. Tous étaient très inquiets sur son sort. Cela faisait quinze jours qu’elle était alitée, même le docteur de la famille Baxter n’était pas optimiste. Un soir Murray un peu plus saoul que d’habitude rentrant chez lui s’emporta violemment contre Tom et Desmond. Abigaël s’interposa. Un mot, puis un autre… Murray bouscula sa femme. Abigaël était toujours une Celte. Elle ne se laissa pas malmener. Elle rendit le coup. Murray ne tenait pas sur ses jambes, il s’étala. Alaina alertée par les jumeaux en pleurs courut dans la cuisine, elle surprit sa sœur à califourchon sur son mari, un couteau à viande pointé sur la carotide de son époux. Les yeux injectés de sang, elle vociférait. — Plus jamais, Murray Baxter, plus jamais tu ne me touches ! Ou je te saigne comme le porc que tu es ! Plus tard ils firent la paix. Tous dans la grande maison purent alors profiter des grognements de l’homme et les couinements suraigus de la femme. Les enfants que ce vacarme amusait n’arrivaient pas à dormir, les jumeaux riaient aux grossièretés que le couple proférait, on entendait à travers des cloisons les deux époux qui copulaient bruyamment tout en s’insultant copieusement. Même Anna la petite dernière répétait de sa voix de fausset des mots crus dont elle ne comprenait pas le sens. Dana fut obligée de faire la police, elle réprimanda vertement ses frères et sœurs. Elle envahit, la chambre de Padraig et d’Alaina. Elle beugla : — Je veux partir d’ici ! J’ai vendu les bijoux que m’avait offerts Nolan, un usurier me les a repris au quart de leur prix, mais grâce à cela j’ai assez d’argent pour faire le voyage de Boston. Sean nous attend ! Il n’y a aucun avenir à Liverpool ! Il est temps pour nous de partir, avant que l’Angleterre nous transforme, en animaux, nous aussi ! Maureen nous rejoindra quand elle ira mieux. Seule dans un coin, Maureen pleurait doucement. Elle le savait, sa sœur avait raison. Les O’Brien ne pouvaient, rester indéfiniment chez les Baxters. Elle avait entendu, la veille, sa mère qui disait : — Padraig, cette terre n’est pas la nôtre ! Il n’y a pas de travail pour nous ici ! J’ai besoin d’une maison à moi. Je ne peux pas rester chez ma sœur éternellement. — Moi aussi, Alaina, j’y ai pensé. J’ai toujours sur moi la lettre et l’adresse de S, enfin, tu vois de qui je veux parler. Je ne lui ai pas pardonné et je ne lui pardonnerai sûrement jamais. Mais j’ai d’autres enfants, qui ont le droit, au bonheur, également. Ils ne sont pas responsables. J’attendais juste que mon petit écureuil soit guéri. Elle ne supporterait pas la traversée dans son état. Maureen n’avait pas réussi à entendre ce que sa mère avait répondu. Ici, les cloisons étaient plus épaisses que dans leur ancienne demeure, mais elle pouvait aisément imaginer son regard noir. Elle ne devait pas être d’accord avec le père, ils se disputaient souvent en ce moment. Elle pressentait que Sean en était une des raisons. Elle ne s’en souvenait plus de Sean. Elle était si petite lorsqu’il avait quitté la maison pour aller travailler à la ville. Elle savait également qu’il y avait des questions à ne jamais poser. Sa grand-mère lui avait promis qu’un jour elle lui expliquerait des choses. Mais elle était morte trop tôt, elle ne connaîtra sans doute jamais la raison du départ du grand frère. Demain, elle parlera avec sa famille. Elle n’avait pas le droit de les retenir ici. Elle se sentait en sécurité avec sa tante qui était toujours gentille avec elle. Si Dieu voulait qu’elle vive, elle s’en sortirait. Elle les rejoindra quand elle sera guérie. Car elle ira mieux, elle en était convaincue. Sa sœur, sa Cathy le lui avait dit dans son sommeil.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Etienne Ycart ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0