Chapitre 17 - Le départ du King William III

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Malgré la douceur, de la température Maureen grelottait, l’instant d’avant elle brulait, elle n’était pas tirée d’affaire, loin de là. Elle avait tenu à être présente sur ce quai, pour rien au monde elle n’aurait raté ce départ. Le King William III n’était plus qu’un point sur l’horizon désormais, bientôt il aura disparu. Elle rajusta le plaid et s’en recouvrit, elle voulait se cacher de ce bateau qui quittait les îles britanniques en emportant les siens au diable Vauvert. Elle avait été forte, elle n’avait pas pleuré malgré son désir de le faire. Elle pouvait lâcher prise maintenant. Les reverra-t-elle un jour ? Elle n’était même pas sûre d’être encore vivante à la fin du mois. Elle pria pour que la route leur soit douce, si elle ne pouvait pas les rejoindre dans ce bas monde, elle les retrouverait au ciel Murray, à jeun pour une fois, se montra presque tendre. Il serra la main de la jeune fille, lui sourit et soupira : — Rentrons, tu es gelée Maureen ! S’il t’arrivait malheur, mon Abigaël ne me le pardonnerait jamais. Il l’aida à s’asseoir dans la vieille charrette, la borda d’une couverture et enroula sa tête d’un drap pour qu’elle ne se blesse pas lors des cahots. Ces mains douces et fines qui s’occupaient d’elle lui rappelaient les larges paumes calleuses de son père, elle s’imagina courir avec lui dans les champs encadrés par d’épais murs de pierre, ce rêve éveillé lui redonna la volonté de sourire. L’instant d’après, elle se vit gambader dans la neige avec sa sœur jumelle, elle avait froid, elle claquait des dents, le gel lui pénétrait les membres, engourdissait son cerveau, puis ce fût le trou noir de la dernière demeure de sa chère Cathy dans laquelle elle se laissa choir à son tour. Elle sombra dans un sommeil sans joie et sans rêves. L’épreuve avait été trop dure pour elle. Elle n’avait plus aucune envie de vivre. Elle les attendra donc là-haut ! Murray tira sur la bride du cheval. Le colosse, un shire pur sang enleva son attelage comme s’il s’était agi d’un simple fétu de paille. Ils tournaient le dos à la Mersey désormais, ils s’éloignaient des docks. Pauvre petite, pensait-il, que va-t-il lui arriver maintenant ? Va-t-elle survivre à cette fièvre ? Il en doutait fortement, la vie était injuste quelquefois. En passant devant l’église irlandaise, il fit un vœu. Si Dieu le voulait, si la gamine s’en sortait, alors il ne boirait plus une goutte d’alcool. Ils n’avaient pas pu avoir d’enfants, ce n’était pourtant pas faute d’essayer. Petit à petit, il s’était laissé glisser, c’était si facile pour lui. Il y avait tant de bons gins, cherrys, cognacs et autres Whiskys à goûter dans ses entrepôts. Il pria avec ardeur ! — Jésus ! Marie ! J’élèverai cette gosse, comme si elle était mienne, amen ! Après George dock, commençait le quartier pauvre de Squalid Liverpool. Scotland Road en était son artère principale. La majorité des habitants y étaient des immigrants de l’île maudite. Murray était fier d’avoir pu éviter cela aux O’Brien à leur arrivée dans la ville. Les enfants en haillons erraient dans les immondices pieds nus, ils couraient derrière la charrette la main tendue. Il ne pouvait donner, la misère était trop grande, il aurait été dépouillé en deux temps trois mouvements. Il pressa le pas, il lui tardait de sortir de ce ghetto. Dimanche, il ouvrirait sa bourse. Le prêtre apprécierait. Il soulagerait ainsi sa conscience. * Maureen se réveillait enfin, cela faisait presque une semaine qu’elle naviguait entre deux eaux, sans vraiment remonter à la surface. Elle avait une faim de loup. Elle tenta de se lever, sa tête tournait. Elle était trop faible. Abigaël, sa tante l’avait entendu bouger, elle accourut dans la chambre. Elle ne la quittait plus nuit et jour. Dormant à son chevet. — Mon Dieu, Maureen, tu es revenue ! Elle s’approcha et lui toucha le front. Miraculeusement, la température avait baissé. — Alléluia, Dieu est amour ! Tu n’as plus de fièvre, ma petite. Le seigneur, loué soit son nom ! À voulu, que tu guérisses ! Elle se réveillait avec une force de vie inouïe, la mort n’avait fait que la frôler, elle en était heureuse. Le christ, Colomban, Patrick, Marie et tous les autres saints, ce n’était peut-être pas eux qui étaient responsables de son salut ! Après tout ce qu’elle avait vu, elle doutait de tout. Dieu, elle n’y croyait plus vraiment, depuis un moment déjà, mais sa petite voix intérieure lui conseillait la prudence. Elle devait apprendre à faire semblant, comme beaucoup d’adultes. Elle gigota, se releva à la force de ses bras. Sa tante, lui soutint la tête et posa un coussin, pour la maintenir assise. — J’ai faim ! J’ai une faim de loup ! Elle avala goulument la grosse écuelle de bouillon qu’on lui avait apporté. Alors qu’elle en réclamait une seconde assiette, sa bienfaitrice, riant aux éclats, refusa. — Cela fait belle lurette que ton ventre est vide. Tu n’as bu qu’un peu d’eau. Depuis tout ce temps ! Il faut que ton corps s’habitue à nouveau. Demain, je te donnerai un peu de viande ! Pour aujourd’hui, c’en est assez ! Par contre, je peux te lire la lettre, que ta mère a laissée à ton intention. Maureen, aux anges, battit des mains. Elle n’était encore qu’une fillette de onze ans. Abigaël extatique, elle aussi, ouvrit un tiroir et délicatement, s’empara d’un rouleau de feuillets attachés par un ruban mauve. Ce texte n’était pas écrit, bien entendu, par Alaina, mais par un prêtre catholique écossais, le père Archibald. Les yeux humides, elle s’humecta les lèvres et laborieusement déchiffra le message de sa sœur « Mon cher enfant, ma fille, la chair de ma chair. C’est avec le cœur lourd que nous avons pris ce bateau » la suite étant raturée, elle buta sur un mot et continua : Dieu ne nous a peut-être pas abandonnés malgré tout. À l’aube de ce départ, je regarde derrière moi. Notre belle Irlande, nous y avons été heureux et malheureux tout à la fois. Mais ne parlons plus de ce passé. Tournons-nous plutôt vers l’avenir. Cette terre promise nous attend. Si Dieu le veut, nous serons bientôt tous réunis. J’ai laissé aux bons soins d’Archibald, le prêtre qui nous a confessés et bénis avant notre exode la somme d’argent qui te sera nécessaire pour prendre un bateau et vivre quelque temps. Dès notre installation à Boston, je te communiquerai notre nouvelle adresse. Suivaient un court mot signé par le père, puis un texte plus long écrit en Gaélique par sa sœur Dana. Il commençait ainsi : « Que Dieu maudisse L’Angleterre. Que le ciel me venge de ce jour néfaste. Sur cette route, mon pauvre Nolan a été assassiné par les soldats d’une reine qui n’est pas la nôtre… » Maureen se souvenait de ce drame. Les images qu’elle avait enfouies au plus profond de son cerveau revenaient à la surface. Elle quitta le récit, la morne voix de sa tante devint inaudible. Elle cheminait. Elle marchait. Elle était affamée et avait peur. La colère, le chagrin, la haine et le désespoir habitaient son être… C’était à la sortie de Mullingar, à mi-chemin entre Galway et Dublin. La famille O’Brien venait d’ensevelir cette chère Birghit, morte d’épuisement. Maureen était très proche de sa grand-mère. Elle avait vécu ce décès supplémentaire comme une injustice de trop. Le corps de la vieille dame n’était pas plus lourd que celui d’un oiseau à sa mise en terre. Ils cheminaient sur cette route boueuse depuis si longtemps déjà. Ils ne pouvaient aller vite, la voie pourtant assez large était encombrée par une formidable migration. Une foule de malheureux maigres et loqueteux comme eux se dirigeaient vers l’est. Tout un peuple convergeait vers Dublin. Un détachement de l’armée britannique leur intima l’ordre de se serrer et de laisser passer un convoi de blé, de viande séchée et de légumes frais. Toute cette nourriture produite sur l’île sur les domaines des Landlords était destinée à l’exportation. Les crevards qui peinaient sur cette route le ventre creux depuis si longtemps criaient leur colère. Les soldats, tout de rouge vêtus, ricanaient bêtement. Pour eux ce ramassis de pauvres hères n’était rien de plus que des animaux. Ils méprisaient cette piétaille et l’auraient volontiers sabrée si l’ordre avait été donné. Le convoi avançait gentiment, les marcheurs rangés sur le bord de la voie lorgnaient cette manne qui ne leur était pas destinée. Tout se passa très vite. Personne après coup ne put expliquer ce qui avait déclenché une bousculade suivie d’une fusillade. Le bilan fut très lourd. Une dizaine de morts gisaient à terre. Nolan en faisait partie. La colonne continua sa route, comme si rien ne venait d’arriver. Dana était inconsolable, elle perdit son enfant peu après. Maureen se secoua, sécha ses larmes et sourit à sa tante qui était si bonne avec elle. Elle voulait oublier tout cela. Un jour, elle rejoindrait ses parents. Pour l’instant, elle était vivante, cela lui suffisait. Toutes ses émotions l’avaient fatiguée, elle s’endormit. Elle n’était encore qu’une fillett

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