Chapitre 19 - Le soleil, le ciel, la mer
Maureen somnolait à l’ombre d’un pin. Un petit vent tiède lui caressait le visage, les bras et les mollets. Sa sœur Cathy lui était apparue en rêve cette nuit, c’était rare ces derniers temps. Pieds nus dans la lande sauvage, elle sautait dans les flaques et courait dans de grands champs de fleurs odorantes. Son rire joyeux et communicatif balayait tout sur son passage. Soudain, elle s’arrêta de danser et de tourbillonner. Son air devint grave, elle voulait parler, n’y parvenait pas. Elle se retourna et disparut subitement. Habituellement elle les comprenait toujours ces rêves. Alors elle pensa également à ses parents. Étaient ils déjà arrivés, dans ce port du Nouveau Monde dont elle ne se souvenait plus du nom ? Pourquoi n’avait-elle pas de nouvelles ? Était-il possible qu’ils l’aient oubliée ? Pour dissiper son malaise, Maureen quitta la douce quiétude du petit bois de pins parasols. Elle courut le plus vite qu’elle pût sur les galets bouillants. Elle se débarrassa rapidement de sa robe. Elle aurait voulu vivre nue pour mieux sentir le vent caressant et la dure morsure d’un soleil brulant qui rougissait sa fragile peau de rousse. La mer clapotait à quelques pas de là. Elle trempa juste les orteils pour commencer, elle s’en méfiait, ne savait pas si elle pouvait s’en faire une amie. Elle avança un peu, l’eau lui arrivait à la cheville, puis aux genoux. Elle progressa encore, glissa sa main dans le liquide, s’en badigeonnait le visage. Elle se retourna, elle était assez loin du petit bois ou elle avait déposé ses inquiétudes. Elle s’allongea. Une vague l’attira vers le large, une autre la jeta sur un banc de sable blond. Au fond, entre les algues d’un vert tendre des poissons minuscules nageaient. Elle se sentait bien, merveilleusement bien. Elle resta un moment dans cette baignoire naturelle et décida qu’il était temps d’en sortir. Elle ramassa au passage sa robe de satin et son jupon de crinoline, attendit un instant avant de s’en revêtir à nouveau. Le soleil la léchait sensuellement, il était doux, mais elle savait qu’il ne fallait pas lui faire confiance. Après les caresses venaient les brulures, les belles brunes un peu sauvages du coin, s’étaient moquées d’elle, quand sa peau claire avait virée à l’écarlate, une après-midi de juillet. Elle finirait de sécher sous l’ombre bienveillante des grands conifères. Bientôt, ne subsisterait que le goût de sel sur ses lèvres. Le brave Docteur ne les avait pas trompés, c’était bien le paradis ici ! Elliott Smollet, le petit-neveu du célèbre Tobias G Smollett, les avait accueillis dans son immense villa du New Borough, à deux pas du littoral et du chemin des Anglais. Abigaël avait repéré un petit cottage à retaper, elle décida qu’ils s’y installeraient rapidement. Ce qui l’émerveillât surtout c’était la possibilité d’avoir un vaste jardin cascadant de restanques en restanque, jusque sur la plage. Murray en commerçant avisé allait développer son activité de négociant, il avait retrouvé ici une partie de la clientèle. Il avait goûté aux vins italiens, certains étaient fameux ! Il ferait découvrir aux Sardes et aux Génois le gin anglais le Whisky écossais et le Rhum jamaïcain ! Maureen, elle, oubliait les années grises et ternes, l’Irlande, les vertes vallées, les champs de patates et les famines. Mais elle attendait encore vaguement anxieuse, cette fichue lettre de Boston qui n’arrivait toujours pas. Se pouvait-il que le navire ait sombré dans une mer noire par une nuit sans lune ? Qu’ils aient fini, tel l’or du Goodluck Ireland, dans le sable blond, d’une fosse marine ou comme Jonas, dans le ventre d’une baleine. Parfois la gamine demandait à Abigaël : — Ma tante ! Comment se fait-il qu’on n’ait jamais reçu de message d’outre-Atlantique ? Ça fait déjà longtemps qu’ils sont partis. Se pourrait-il que le bateau ait coulé ? — Non Maureen ! répondait invariablement Aby. Ne te pose pas ce genre de question ! Si le vaisseau n’était pas parvenu à bon port, on l’aurait appris. Ne crois-tu pas ? L’Amérique c’est un bien vaste pays, ils ont dû être bien occupés. Tu le comprends bien, ni ton père ni ta mère ne savent tenir une plume. Il leur faudra trouver du travail et un logement, s’enquérir d’un prêtre catholique, qui veuille bien écrire à leur place. La distance est grande pour aller à Boston ou New York, la lettre peut s’égarer, se perdre. Arrête de te faire du souci, profite de ce beau soleil. C’est le paradis ici. Un matin cependant Murray se fâcha. Oh ! À la façon de Murray, bien entendu, pas bien fort, pas bien longtemps, mais il tint à dire ce qu’il avait sur le cœur : — La gamine a le droit de savoir ce que ses proches sont devenus. Si un jour elle apprend ce que tu lui caches, crois-tu qu’elle te le pardonnera ? À moi non plus d’ailleurs. Mais, moi, je ne serais plus sur la Terre, quand ça arrivera. — Regarde ta nièce ! Murray Baxter, n’est-elle pas radieuse ? Non, elle oubliera ses parents, ses frères et sœurs, bientôt, elle ne pensera plus ni à L’Irlande ni au Nouveau Monde ! Je ne veux pas être la méchante qui gâche les moments heureux ! Elle est un Baxter désormais ! Et arrête de dire des sottises, sans toi, je ne serais plus rien. Ce brave docteur Carpenter t’a sauvé la vie, quand il a décidé, qu’il fallait que tu changes d’air. Toi aussi, profite de l’instant présent. Nous ne sommes pas bien, là, tous les trois ? — J’espère que tu as raison, ma douce colombe ! Un jour Maureen demandera des comptes, que lui répondras-tu ? Abigaël se mura dans le silence, elle eut un geste excédé de la main qui pouvait vouloir dire Laisse-moi tranquille ! Chaque chose en son temps… Comme Murray Baxter n’arrivait pas à dire non à sa femme, le secret fut gardé. Nul ne saurait sans doute jamais ce qu’étaient devenus les O’Brien
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