Chapitre 21 - Les monstres du Monte Calvo

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— Maureen ! Maureen ! Mauuuureeeeeeeen ! On l’appelait il lui semblait, elle tendit l’oreille, non, elle n’entendait plus rien. Elle devait rêver en fait. Elle ouvrit les yeux. Une saleté volante était posée sur une pierre à deux mètres d’elle ; elle haïssait ces petites créatures, mi-oiseaux, mi-rats ! elle les sentait vibrer, respirer, haleter. Elle avait froid et peur, des bruits sinistres l’avaient réveillée. Des bêtes grognaient dehors. Elle se terrait contre la roche, coincée. Les animaux à l’extérieur, le gouffre à ses pieds à l’intérieur. Et juste sur sa tête, les monstres qui attendaient qu’elle s’endorme pour lui sucer son sang ! Elle avait faim, soif, également. Doucement elle se mit à pleurer et regrettait son geste maintenant. Maureen n’avait aucune notion de l’heure qu’il pouvait être. Combien de temps devra-t-elle patienter avant que le jour se lève ? Elle s’approcha de l’entrée et regarda prudemment à l’extérieur, une douzaine de paires d’yeux jaunes courraient en tout sens. De peur de les attirer vers elle, elle n’osait s’avancer plus. Elle n’était pas armée, pas même, d’un simple couteau. Quelle exploratrice elle faisait ! Demain, elle retournerait chez sa tante, elles parleront toutes les deux. Enfin si les animaux ne l’avaient pas dévoré. Elle se recroquevilla alors contre la paroi et pria, elle demanda pardon à Dieu. Elle pensait à ses parents, elle serait déjà morte si elle les avait accompagnés ce fameux jour d’aout ou ils avaient embarqués pour une terre meilleure, la laissant aux bons soins de ce couple admirable qui l’avaient élevé comme si elle était leur fille ; c’était justement ce qu’il fallait qu’elle rappelle à Abigaël, qu’elle n’était que sa nièce ! Rien de plus ! Elle se remémorait le terme de la lettre… « Le King William III… pour une raison inconnue, vient de sombrer au large des Açores… Le Pedro Suarès, battant pavillon brésilien, s’est porté à son secours… » Nulle part, il n’était dit que ses parents étaient décédés. Son oncle avait dû prendre contact avec l’armateur, il commerçait avec tant de monde à Liverpool ! Il devait rester des traces quelque part. Ce n’était pas dans cette brousse qu’elle pourrait chercher. Elle retrouva, sa torche improvisée. Elle était à demi consumée seulement. Elle déchira le bas de sa robe, l’enroula consciencieusement autour du moignon de branche et craqua une allumette. Le tissu prenait feu, c’était gagné. Qu’était devenue l’autre Maureen ? Celle qui ne tremblait pas. Elle pria, Cathy, Birghit, Nolan, Murray… Ils étaient avec elle. Forte de leur soutien, elle décida de faire face aux fauves cruels qui peuplaient la montagne. Elle hurla en bondissant à l’extérieur de la grotte : — Les loups, je n’ai pas peur de vous ! Les petits yeux jaunes se dispersèrent dans toutes les directions en grognant… les canidés étaient en fait une harde de sangliers. Soulagée, elle fut prise par un soudain fou rire ! Elle avait été effrayée par une troupe de suidés inoffensifs qui labouraient la terre avec leur groin. Des cochons il y en avait dans sa campagne irlandaise, il suffisait de les taper sur le râble avec un bâton pour les faire dégager. Celui ou celle qui avait peur de cet animal sur son île d’autrefois était condamné à la faim et à la mort. Elle avait honte, mais si elle n’en parlait pas, personne ne se moquerait d’elle ! Sur cette montagne cette nuit elle avait fait la paix avec son passé et avec son enfance. Maureen l’Irlandaise et Maureen l’Anglaise n’étaient qu’une même et unique jeune femme. C’est ensemble qu’elles décidèrent de retourner à la civilisation. Alors qu’elle marcha précautionneusement sur l’étroit sentier, elle admirait le disque parfait d’une lune dodue. La clarté de l’astre nocturne était bien suffisante pour éclairer ses pas. En bas, la ville de Nice se lovait autour de son port, sous la protection d’un ancien château que les rois de France avaient détruit. Derrière les vestiges des remparts de la vieille ville : s’étendaient les champs les cultures en restanques et le quartier Anglais, sa prison dorée. Où l’on vivait en vase clos ! Elle devinait les pelouses. Une armée de paysans les arrosait, l’été pour qu’elles restent vertes. Les pergolas envahies par des fleurs aux tons pastel semblaient improbables sous ce climat. Elle pressentait les Eucalyptus récemment arrivés du bout du monde et qu’on protégeait du gel occasionnel comme on pouvait. Les façades en colonnade, les terrasses encombrées de lauriers roses en pots et les fausses cariatides qui soutenaient des balcons habillés de glycines. Au bout du chemin, comme elle atteignait les thermes romains de Cimiez, elle les entendit, avant de les voir ! Une farandole de lumignons marchait sur le sentier. — Maureen ! Maureen ! Mauuuu reeeeeeeen ! D’une voix qu’elle aurait voulue plus assurée, mais qui était geignarde, elle bêla ! — Ma tante ! Ils étaient tous là, le cousin du roi, le peintre mondain, l’ancien docteur gallois, les vieilles filles originaires du Sussex : ensemble ils avaient participé aux recherches. Tous soudés, dans le bonheur, les chagrins et les doutes. Abigaël avait pillé la réserve de son mari. Elle étalait sur la grande table du petit salon, aligné comme des soldats à la parade, une armée de bouteilles de gin, de vin doux ou fruité, du rhum de la Jamaïque, du whisky des Highlands, du bourbon américain et du cognac français. Elle avait découpé de larges tranches de jambon d’york. Antonietta, une lavandière qui travaillait parfois aux cuisines, avait été appelée en renfort. Elle avait préparé des tartes à l’oignon et aux anchois, des galettes de farines de poix chiche et des œufs mimosas qu’on dégustait habituellement à Pâques avec le cabri. — Buvez mes amis, buvez ! Et mangez ! Vous m’avez ramené Maureen, ma fille, le sang de mon sang, soyez bénis ! Mangez ! Buvez ! Ne soyez pas timides ! Dans son coin, Maureen écoutait la péroraison d’une jeune veuve qui se raccrochait à ce qu’elle avait. Pour l’instant, elle la laissait à sa joie et à ses bonheurs d’hôtesse comblée. Elle comprenait ses peurs, ses terreurs. Demain quand tous seront partis elle raisonnera sa tante, lui expliquera qu’une mère on en avait qu’une et que malgré toute la tendresse qu’elle lui avait prodiguée ce n’était pas elle. Le vieux berger aussi attendait dans son coin. Il savourait la pissaladière et les soccas de sa petite fille, il ne buvait que l’eau, le vin et l’alcool ce n’était pas pour lui. Il attrapa Maureen par le bras et lui dit dans son parler chantant, dans son français mâtiné de nissart. — Pitchotte personne n’a jamais vu ni brigands ni loups dans cette montagne ! Mais il rajouta, si doucement que même Maureen ne pût entendre. — Mais parfois le diable et tous ses démons sortent du puits de l’enfer, la grotte de Ratapignata t’a épargnée, ton âme est pure. Lucifer n’emporte dans son antre que les mauvaises gens. Tu as tant de belles choses à vivre. Et il rumina, plus bas encore ! — Ne sois pas trop dure avec ta tante ! On fait comme on peut pour éduquer ceux qui ne sont pas ses enfants, mais que le ciel nous a envoyés. Un jour, mon Antonietta aussi se détachera de moi, je serais le plus triste des hommes. Je deviendrais, alors, un vieux berger solitaire qui glissera doucement vers la mort

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